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La pénétration à l'intérieur de la Côte d'Ivoire était toute récente. C'est en 1893 que ie capitaine Marchand s'était avancé dans la vaste forêt qui couvre tout le pays, en remontant le Bandama. Dès le début de sa mission, il avait dû enlever de vive force le village de Thiassalé qui avait fait acte d'hostilité. En 1894, il parvint à Tengréla (12 fév.), effectuant ainsi la jonction avec le Soudan, puis se rendit à Kong, où il laissa un poste de 15 hommes et revint à la côte par Kodiokofi et et Toumodi où des postes venaient d'être créés (1) C'est alors que, sur l'avis du gouverneur de la Côte d'Ivoire, M. Binger, qui se trouvait en France, la colonne Monteil fut envoyée à Grand Bassam avec mission d'arrêter la marche de Samory.

Le premier objectif de la colonne fut de rétablir l'ordre dans la colonie, où, en l'absence de troupes régulières, les miliciens étaient mutinés, les factoreries barricadées et la région de l'Indénié en pleine révolte. Là, à la suite d'un échec, les postes avaient été abandonnés, les factoreries pillées, des administrateurs massacrés.

Le colonel Monteil ayant dù laisser une partie de ses troupes et de son matériel au Congo, il fallut reconstituer la colonne et lui envoyer personnel, vivres et matériel, du Sénégal, du Dahomey et de France. La base de la ligne d'opérations par la vallée du Bandama ayant été établie à Grand Lahou, le colonel Monteil demanda que tout le matériel fùt débarqué en ce dernier point. Mais les bureaux firent la sourde oreille et presque tous les navires déchargèrent à Grand Bassam. Il fallut alors effectuer le transport à Grand Lahou (150 kilom. environ), ce qui fit perdre un temps précieux.

La colonne qui, en débarquant à Grand Bassam, ne comprenait plus que les 9e et 10o compagnies de tirailleurs, reçut du Sénégal les 13, 14, 15 compagnies presque entièrement composées de recrues et, du Dahomey, les 2 et 4e compagnies haoussas. Elle comptait, en outre, 40 spahis et 2 sections d'artillerie de 80 millimètres de montagne.

A la fin d'octobre, la concentration était à peu près complète à Grand Lahou et la marche vers Thiassalé commençait, lorsque le soulèvement de l'Akapless (à 15 kilom. de Grand Bassam) arrêtat net la marche de l'expédition. Une colonne légère, sous les ordres du c' Pineau, revint à Grand Bassam et se porta, le 9 novembre, sur Bounoua, centre de

(1) Voir, plus loin, la carte hors texte de l'Afrique occidentale.

LA COLONNE DE KONG

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résistance des révoltés. L'affaire fut des plus chaudes; la position ennemie, fortement établie dans la forêt vierge et protégée par 3 séries d'énormes palanques, ne put être abordée que d'un côté et résista à toutes les attaques. Les indigènes, parfaitement abrités, tiraient avec une précision meurtrière. En peu de temps nous eûmes 5 tués et 69 blessés. Sans artillerie, ayant le tiers de ses 2 compagnies hors de combat, le c Pineau dut se résigner à battre en retraite. Tous les officiers étaient blessés ou contusionnés.

A la nouvelle de cet échec, le colonel Monteil fit revenir son artillerie déjà en route vers Thiassalé et se dirigea en personne sur Bounoua avec des renforts importants. Le 16 novembre, le village de Bounoua fut enlevé et détruit. Quelques jours après les chefs révoltés venaient faire leur soumission.

La colonne peut alors reprendre le chemin du Baoulé, et le 13 décembre la concentration est terminée à Thiassalé. La colonne a suivi la route de de 106 kilomètres ouverte dans la forêt vierge par ses propres moyens, pour atteindre Thiassalé, tandis qu'une partie du matériel était remorquée par les chaloupes à vapeur sur le Bandama, jusqu'à la zone des rapides.

Le colonel Monteil, qui a trouvé à Thiassalé les envoyés du Djimini et du Djamala venus pour implorer du secours, prépare activement la marche en avant. Les mulets sont décimés par la maladie; il faut recourir aux porteurs, qui témoignent peu de bonne volonté. Néanmoins les postes d'Ouosso, Toumodi, Kodiokofi, par où doit passer l'expédition, sont approvisionnés pour 2 mois de vivres. La colonne active comprend le bataillon sénégalais à 5 compagnies, le demi-escadron de spahis et la batterie de 80. Les 2 compagnies haoussas sont affectées à la garde de la ligne de ravitaillement. Un mois après le dernier débarquement, un effectif de 700 combattants est prêt à occuper le Djamala. Mais au momeut où le gros de la colonne passe le Bandama (26 déc.) après avoir quitté Thiassalé, une redoutable insurrection éclate sur la roule même de l'expédition et remet tout en question.

Le 26 décembre, la tète de la colonne échelonnée sur une distance de 60 kilomètres jusqu'à Toumodi est brusquement attaquée de tous côtés par les indigènes, soulevés à l'instigation de la tribu des N'Gouans dont on traverse le territoire. La colonne fait face à l'ennemi sur un terrain particulièrement difficile; mais le mouvement en avant est complète

ment arrêté, car les porteurs ont déserté et la colonne ne dispose plus que de 150 mulets. D'autre part, les villages sont abandonnés et tous les habitants paisibles ont fui. Alors, pendant un mois, commence une guerre d'embuscade. « Les indigènes, tapis dans les hautes herbes ou dissimulés derrière les termitières, derrière les grands fromagers, dans les bouquets d'arbres qui bordent les marigots, attaquaient tous les convois on recevait à l'improviste une décharge à bout portant, et l'ennemi, toujours invisible, se reportait un peu plus loin, sur le trajet bien connu du convoi. »>

Enfin, des opérations combinées dirigées par le ct Caudrelier, les 6, 15 et 16 janvier 1895, infligèrent de sévères leçons aux indigènes, et le 5 février les derniers coups de feu furent tirés. Peu après le grand chef de la révolte vint faire sa soumission, Ces opérations dans la grande forêt vierge, très démoralisantes pour nos troupes qui ne pouvaient prendre le contact avec un ennemi insaisissable, nous coûtèrent 14 tués dont un Européen, et 67 blessés, parmi lesquels 5 Européens, dont 1 officier.

Le 25 janvier, le colonel Monteil arrive à Toumodi, que l'insurrection n'a pas atteint, et y accumule quelques approvisionnements. Puis la colonne se remet en marche le 15 février et arrive le 19 à Kodiokofi, où elle trouve le capitaine Marchand, qui revient de Satama où il a été reconnaître la situation. C'est alors que vont commencer les opérations contre Samory. Mais auparavant il a fallu assurer les derrières de la colonne. C'est au ct Caudrelier, qui s'est particulièrement distingué dans la répression de la révolte, qu'est confiée cette tâche ingrate. Ce dernier a, avec lui, à Toumodi, la 13 compagnie, et les 2 compagnies haoussas sont réparties dans les postes de Thiassalé à Kodiokofi sur étendue de près de 300 kilomètres. Par suite il ne reste plus, pour la colonne d'opérations, que 3 compagnies, le détachement de spahis et la batterie de 80; le nombre des fusils susceptibles d'être mis en ligne est ramené à 340. Enfin, une garnison de 45 hommes est laissée à Kodiokofi.

Samory se trouvant toujours dans le Djimini, au sud de Kong, le colonel fait partir le 21 février au soir le capitaine Marchand, de l'étatmajor, avec la 9o compagnie (capitaine Desperles) pour Satama, afin de préparer les gîtes d'étapes. Le reste de la colonne quitte Kodiokofi le 22 à 3 h. du soir. Elle comprend le colonel, le c' Pineau, chef d'étatmajor; les Its Baratier et Largeau, de l'état-major, le médecin-major

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Réjou, les 10 compagnie (capitaine de Léséleuc), 14o (capitaine Boussac', 15e (capitaine Tétart); une section de 80 (capitaine Gigou); 19 spahis. Ce dernier corps se réduit chaque jour.

Le 28 février, la colonne arrive à Satama où elle t ouve à peine de quoi subsister, les habitants n'apportant pas de vivres, malgré promesse de paiement. Le 2 mars, la marche en avant est reprise. Le 3, a lieu le premier engagement avec les sofas que repousse la 9 compagnie. Le 5, le passage du Bé est forcé. Le colonel entreprend alors de se porter par une marche de nuit (38 kil.) sur la ligne de ravitaillement de Samory. Partie à 9 h. du soir, la colonne débouche au matin sur un village d'où elle débusque quelques sofas et trouve une grande quantité de vivres.

Le 7, la colonne livre une série d'engagements, dont un très vif à Kadiaouli, qui l'amènent devant Sokola Dioulasso qu'elle occupe à 10 h. du soir. Samory s'y trouvait dans la journée; il en partit précipitamment à la nuit en entendant le bruit de la fusillade, laissant une partie de ses bagages, environ 200 tonnes de vivres, des boeufs, des chevaux, etc. La capture du principal centre d'approvisionnements de Samory, sa fuite rapide, les échecs répétés de ses sofas inauguraient bien les opérations. Mais que pouvaient faire 300 fusils, tout ce que comptait encore la colonne? Si l'on pouvait vaincre il était par contre impossible de tirer parti de la victoire.

Les jours suivants se passent en reconnaissance autour de Sokola. Un prisonnier ayant déclaré que Samory était disposé à traiter, des ouvertures lui sont faites. Le 12 et le 13 mars, les pourparlers entamés avec Samory échouent, l'almamy ne voulant pas évacuer le Djimini et le Djamala et se retirer vers l'ouest.

Le 14, les opérations reprennent. La colonne quitte Sokola après avoir détruit tous les approvisionnements qu'elle n'a pu emporter. Une heure après elle est attaquée par une nuée de sofas. L'arrière-garde est serrée de près. Au moment où il donne l'ordre de prendre l'offensive, le colonel Monteil est grièvement blessé à la jambe. Le l' Testart l'emporte sur son dos pendant que le ct Pineau refoule l'ennemi qui abandonne la lutte. Cette affaire nous coûte 3 tués et 8 blessés.

Le 15, la marche sur Dabakhala est reprise. Le passage du Segueno est enlevé a la baïonnette par les capitaines Marchand et Desperles. Puis on arrive devant Dabakhala, marché central du Djimini et quartier

XXVIII (Janvier 1903.) N° 289.

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général de Samory. Le village est enlevé. Sur une hauteur voisine Samory avait établi un diassa (groupe de cases retranché). Des obus à mitraille y sont envoyés et la 9 compagnie, en tête de laquelle se trouvent le capitaine Marchand et le l' Baratier, s'élance à l'assaut. Les sofas prennent la fuite. La journée nous coûte 1 tué et 2 blessés. La veille. Samory avait pris en toute hâte la direction de l'est.

La colonne qui a obtenu d'importants succès, ne peut pousser plus loin ses avantages. Elle est sans communications avec sa base d'opérations, les munitions se raréfient et il faut mettre en sûreté les blessés et les malades qui alourdissent la colonne. Dans ces conditions le colonel donne l'ordre de revenir vers le sud.

Le 16 au matin la colonne, se met en marche. Presque aussitôt un parti de sofas dirige sur elle un feu très vif. Plus loin, à Tagono, l'arrière-garde doit s'ouvrir un passage parmi les sofas qui lui blessent 6 hommes. A la fin de la journée, en approchant de la rivière Bé, la colonne, qui chemine dans la brousse, se trouve brusquemment en face d'une forte palissade derrière laquelle sont des sofas. Les tirailleurs, un moment surpris, ouvrent un feu rapide; mais la palissade est à peine accessible. Cependant quelques tirailleurs, en tête desquels le ct Pineau et le l' Baratier, parviennent jusqu'à elle, y font brèche et poursuivent vivement l'ennemi. Le l' Baratier tombe sur un cavalier qui essaie de monter à cheval, mais la selle tourne et le cavalier est blessé. Celui-ci demande à se rendre, mais au même moment un tirailleur lui porte un coup mortel. Le cavalier était Sékouba, un des principaux lieutenants de Samory et le meurtrier du capitaine Ménard. Le passage est forcé, mais les sofas reprennent la lutte sur les ailes; une intervention énergique de l'artillerie les oblige à abandonner la lutte. A la nuit la colonne bivouaque à Lafibaro après avoir parcouru 39 kilomètres, en faisant le coup de feu presque sans interruption.

Le 17, la marche est reprise à midi. Au passage d'un marigot a lieu un vif engagement qui nous coûte 2 tués et 3 blessés. Il faut une offensive énergique pour avoir raison de l'ennemi. Enfin, à 10 h. du soir la colonne est de retour à Satama, d'où elle était partie 14 jours auparavant, après avoir parcouru près de 200 kilomètres, et avoir eu 11 tués et 36 blessés. Pendant le cours de ces opérations l'ennemi a toujours été repoussé et a subi des pertes considérables.

En arrivant à Satama, le colonel trouva une dépêche ministérielle du

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