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Cet essai de translation du marché touchait trop vivement aux intérêts de Sountiana pour être accepté sans débats par ses habitants, et ceux-ci partirent d'abord attaquer Mourdia, d'où ils furent d'ailleurs repoussés avant d'avoir obtenu aucun résultat. Ils décidèrent alors avec leurs concurrents de soumettre à Diara fama (roi) de Ségou, l'arbitrage de leur différent.

Une délégation de Sountianankés, conduite par le chef des Massassy Soussa Massa, se rendit la première auprès de Diara; elle lui représenta que l'usage de traiter à Sountiana les affaires avec les Maures constituait pour cette ville un privilège traditionnel et que nulle bonne raison ne pouvait être invoquée pour modifier cet antique état des choses. De cette simple requête, ils reçurent du roi l'assurance d'une décision favorable à leur cause et une promesse de protection le cas échéant. Les Massassy rentrèrent dans leurs foyers pleins de confiance.

Les Diara de Mourdia arrivèrent ensuite, bien que leur procès fût mal engagé, ils entreprirent la justification de leur projet: et de fait ils réussirent à circonvenir le roi et à conclure une alliance effective avec lui. Ils vinrent ensemble assiéger Sountiana. La ville fut enlevée (1734); la plus grande partie des Massassy fut emmenée en captivité par le roi de Ségou et le marché se trouva acquis à Mourdia.

Sept guerriers, dont les trois chefs Massa Bakary, Chébé et le brave Denis Babo échappèrent à l'esclavage qui suivit la ruine de Sountiana; ils se réfugièrent à Diagounté-Kamara, importante ville du Kinguy, où ils furent reçus avec urbanité par les Sarakolés et les Diavandos qui leur offrirent asile. Les Sarakolés de la famille Diavara se montrèrent particulièrement généreux à leur endroit, et leur donnèrent des bœufs et des chevaux; cette sympathie décida les réfugiés à se fixer au village de Fara. La belle province du Kinguy, avant d'appartenir aux Sarakolés, avait dépendu des Mandings, et Diarabougou, qui s'appelait alors Darmella, était la capitale de ce peuple.

La race sarakolé s'attribue une origine arabe, comme la plupart des peuples musulmans de l'Afrique; voici cette légende: au commencement du xvIe siècle, sous Banou Mayetta (ou Banou Oumi Yata), chef de Kouroubilatou (ville à huit jours de la Mecque (?)) et du pays de Dah el Tih, des insurgés de ce pays passèrent en Afrique et se dirigèrent vers l'ouest. Il en vint un petit nombre dans le Kaniarémé, le Kinguy, le Bakounou et le Kaarta, d'autres dépassèrent Kankan. Un groupe plus

considérable vin! plus tard les rejoindre lorsque, à la suite des guerres entre les chefs arabes Allou Siny et Yaguidou, la vie devint impossible sous la tyrannie de ce dernier qui avait vaincu Allou Siny.

Le nommé Dah, reconnu au Soudan comme chef de ces émigrants, eut six fils, dont cinq sont particulièrement vénérés: Kiné Sokna, Tiry Kala, Diabé Cissey, Dia Founé (la mère de la famille diakanté), Sy Kadou Bigoussou (la mère de la famille dahoussou).

L'aîné Kiné Sokna donna son nom à la famille Soninké des Sarakolés; Kala forma les Kaladiat, Cissey les Cissey et ce fils eut le commandement à la mort de son père. Il employa pour l'obtenir et évincer son aîné, auprès du vieux Dah devenu aveugle, le même subterfuge que Jacob vis-à-vis d'Abraham; la tribu maure des Dzounagué a recueilli beaucoup de membres de cette famille, dispersés dans le Sahel. Kiné Sokna fut simplement chef de Karsala.

Diabé Cissey fonda Goumbou. D'après la légende, pendant qu'un des serviteurs de ce chef abattait un arbre pour la construction des habitations, un serpent sortit de l'entaille faite par la hache et dit qu'il ne permettrait l'établissement projeté qu'à la condition de recevoir tous les ans un captif en pâture. Ce serpent négociateur avait le pouvoir de renouveler dix-sept fois sa tête lorsqu'on la lui coupait. Pourtant, par la suite, une des victimes sacrifiées au monstre put réussir à le détruire.

La fortune de Diabé Cissey se développa si largement à Goumbou, et son prestige devint si considérable, que, de nos jours encore, on raconte l'anecdote suivante pour donner une idée de sa puissance : S'étant mis en campagne pour aller attaquer le village de Kossimaly, Diabé Cissey, qui marchait en tête de ses troupes, se retourna, arrivé sous les murs du village, et dit aux guerriers placés près de lui, « J'ai oublié ma pipe à la maison! » Le nombre des guerriers était tel que l'exclamation du roi se propageant de proche en proche arriva à Goumbou oú des hommes attendaient encore leur tour pour se mettre en route, et la pipe, passée de main en main, put parvenir à son maître.

Le Kinguy et les provinces environnantes exerçaient un altrait particulier sur les familles sarakolé: il en venait toujours de nouvelles, telles les Niaré et les Nyakaté, mais dans leur route ceux-ci furent quelque temps gardés en captivité par des Mandings qui se croisèrent avec eux; de même, d'ailleurs, les gens de Goumbou s'étaient fusionnés avec des familles de cette race, telles que les Ouakané Sako, les Kaméné

Fady qui fondèrent Diabika et furent la famille ancestrale des Diarisso, les Diaouraga Taraoré qui constituèrent la famille de ce nom, les Kagoro furent aussi formés de Sarakolés et de Bambaras. Le fondateur de cette famille fut Makou Kamara. La famille sarakolé des Doukouré, qui avait d'abord vécu nomade dans le Sahel, vint comme les autres s'installer à Goumbou et dans le Diafounou; Maka envoya son fils Soukaka. comme percepteur de tribut à Kéniéra, ce fils forma la famille des Boradié; la province cependant ne resta pas sous cette domination et ce fut un nommé Massa Kaya des Taraoré, venu du Sahel, qui en devint le chef à la suite d'un partage dans lequel les Boradié n'avaient pu s'entendre.

Les Sarakolés se répandirent aussi dans le Ouagadou; mais, en général, ils fréquentaient tous le Sahel, ils y devinrent même chefs du Gangaran ou Assaba, au nord du Kaniarémé et de Birou (aujourd'hui Oualata). Ils prétendent même qu'à l'époque de leur puissance, Oualala était arrosé par un affluent du Niger; un cheik de Tombouctou aurait essayé depuis de faire recreuser le lit ensablé de ce marigot.

Malgré la longueur de cette digression, avant d'en revenir aux Massassy fixés à Farabougou, nous donnerons entièrement la légende de la fondation de la famille sarakolé des Diavara qui leur avait permis l'établissement chez eux :

Vers le milieu du xvI° siècle, un Arabe (?), nommé Damanguilé, fils fils de Mody Moussa Mousmin, prit encore le chemin qu'avait suivi le vieux Dah. Il se mit donc en route vers l'ouest du continent africain et s'adjoignit bientôt trois compagnons d'aventures: deux pouls, les nommés Deba Né et Niana Maka, puis un griot appelé Hahé Hanisy. En chassant pour subvenir à leur existence, ils parvinrent jusqu'aux états mandings et, à leur insu, ils se trouvèrent un jour fort près de la résidence d'un puissant roi de ce peuple, nommé Soundiata. Des ouvriers en cuirs, sujets de ce chef, les ayant rencontrés et les croyant égarés, leur demandèrent d'où ils venaient et où ils voulaient aller; après avoir répondu à ces questions, Damanguilé demanda à son tour le nom du pays, puis pria ces gens de le conduire à leur chef. Un des ouvriers, un cordonnier, emmena d'abord les voyageurs chez lui où il leur offrit la plus large hospitalité.

Plusieurs jours s'étaient écoulés et le cordonnier ne se hatait pas de conduire ses hôtes auprès du chef, il répondait invariablement aux

instances de Damanguilé à ce sujet : « J'ai beaucoup de travail, nous irons plus tard ». Étant chasseur, Damanguilé était versé dans l'art de la préparation des pelleteries et des cuirs; aussi, pour avancer la tâche de son introducteur et l'époque de sa visite à Soundiata, il offrit ses services au cordonnier, qui accepta son aide. Dans le dialecte manding de l'endroit, les cordonniers étaient appelés « diavara », et c'est à cause de ce concours prêté un moment que le nom de Diavara fut attribué à la famille fondée par Damanguilé, et maintenant, lorsqu'on veut rabaisser cette famille, dont les chefs actuels sont encore des hommes de valeur, on dit qu'ils sont des esclaves de cordonniers.

Reçu enfin par Soundiata, Damanguilé exposa son odyssée, sa fuite de son pays pour se soustraire au joug d'un roi cruel. Quel est ton second nom? lui demanda le roi des Mandings. « On ne m'a donné qu'un nom dans mon pays », dit le voyageur. Finalement Soundiata autorisa Damanguilé et ses compagnons à rester dans la région; ils y continuèrent leur existence de chasseurs et, pour exprimer qu'ils se considéraient comme sujets du roi, ils envoyaient chaque jour du gibier à ce chef, sans accepter jamais aucun dédommagement.

En chasse, Damanguilé rencontra un jour un pèlerin mourant de soif; c'était un marabout qui allait à La Mecque; il le conduisit à une mare qu'il connaissait et le fit désaltérer avec l'eau d'un trou qu'il creusa auprès, pour ne pas faire boire les impuretés de la mare; le marabout, réconforté par ses bons soins, reprit sa route. Après son départ et alors qu'il était trop loin pour être rattrapé, Damanguilé découvrit une peau de bouc pleine d'or qu'avait perdue le pèlerin; ne voulant pas se l'attribuer, il l'enterra sur le lieu même, au pied d'un baobab.

Quelques années plus tard, le pèlerin, revenant de la ville sainte, passa de nouveau par le pays; dès qu'il en eut la nouvelle, Damanguilé courut lui indiquer l'endroit où il avait caché sa trouvaille. « En reconnaissance de ton honnête action, je ferai pour toi ce que tu voudras »>, lui dit le hadj. Eh bien! si tu retournes une autre fois à La Mecque, va demander pour moi un bon sabre à X... le marabout vénéré ».

Trois ans plus tard, le marabout renouvela son pèlerinage; mais, rendu sous les murs de la Kasbah, il oublia son engagement et il fut bien surpris un jour lorsqu'il fut accosté par le saint homme que lui avait désigné Damanguilé, et que cet homme lui dit : « N'as-tu pas été prié de me demander quelque chose?» « Si fait, Damanguilé te de

mande un bon sabre ». A son départ, le pèlerin reçut l'arme réclamée. Dès son premier repos, ayant suspendu le sabre à un arbre, le pèlerin eut la surprise de voir tous les oiseaux du voisinage venir pépier dans le feuillage voisin, et lorsqu'il se remit en route, les oiseaux l'accompagnèrent en chantant; enfin l'arme maintint ce charme pendant tout son voyage. Rendu chez les mandings, le marabout, moins scrupuleux que son bienfaiteur, offrit le sabre enchanté à Soundiata pour gagner la faveur de ce monarque, et, ne mentant qu'à moitié, il dit à Damanguilé qu'il avait oublié la mission dont il l'avait chargé.

Dans l'intervalle, Damanguilé était devenu le meilleur ami de Soundiata, puis même son gendre dans la suite, et un jour qu'il demandait à son beau-père un sabre pour aller à la chasse, le roi lui dit « Va en demander un à Niahalé Missamé, la griote chargée de la garde de mes

armes ».

Le premier sabre que présenta la griote fut justement le sabre enchanté; mais Soundiata ordonna qu'elle en prît un autre. La griote choisit à plusieurs reprises, mais le sabre merveilleux revenait toujours dans sa main; voyant cela, Soundiata l'envoya dans un magasin voisin où il y avait beaucoup de sabres, mais, chose surprenante, ce fut encore l'arme du marabout qu'elle rapporta!

<< Puisque Dieu te le donne, prends-le donc », dit Soundiata au chasseur, « mais cette arme devant te rendre puissant et invincible, quitte

ce pays ».

Damanguilé s'en alla dans le Ségou, où régnait Soro Silla Maka Ba Koyta. Damanguilé fixa sa résidence à Nianinko et continua auprès de son nouveau souverain l'office désintéressé de chasseur qu'il avait rempli auprès de Soundiata.

Il avait été annoncé à Ba Koyta que sa fille Koria donnerait le jour à un enfant qui serait chef d'une grande famille. Pour que cette prophétie ne se réalisât pas à ses dépens, Ba Koyta avait toujours ajourné le mariage de cette enfant. Lorsqu'il connut l'esprit aventureux de son nouveau sujet, il imagina de la lui donner pour femme, à condition qu'ils s'éloigneraient secrètement. Damanguilé s'accommodait de cette prédiction; il accepta et vint s'établir à Toudougoumé, dans le Kinguy; ce village existe encore et n'est habité que par des ouvriers en cuirs, Le roi de Ségou répandit le bruit que sa fille était morte.

Toujours chasseur, Damanguilé se fit autoriser à s'installer à Tou

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