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HARVARD COLLEGE LIBRARY

GIVEN IN MEMORY OF ARCHIBALD CARY COOLIDGE

OCT 21 1980

Dans l'ensemble du vaste empire colonial de la France, il est peu de régions qui aient été aussi décriées et dénigrées que l'Afrique occidentale et particulièrement le Soudan. « Terre de mort », disaient les uns; << pays insalubre et sans cultures où il n'y a rien à faire », s'écriaient les autres. Il est certain que, pendant les premières années de la pénétration européenne, le Soudan a joui de la plus détestable réputation; il était considéré comme un territoire néfaste, un véritable cimetière pour les Européens. Et, de fait, les conditions désavantageuses dans lesquelles les premières colonnes venant du Sénégal débouchèrent sur le Niger étaient de nature à impressionner d'une manière fâcheuse les esprits les moins prévenus. Les colonnes Borgnis-Desbordes présentèrent en effet une mortalité qui était, en moyenne, de 40 %. Une année même, en 1884, la mortalité atteignit le chiffre énorme de 60%.

Aussi la grande masse de l'opinion publique, au parlement aussi bien que dans la presse, voyait-elle d'une façon défavorable les grandes entreprises coloniales dans lesquelles nous nous engagions presque en même temps sur les points les plus opposés du globe, au Soudan, au Tonkin, à Madagascar. Cette mauvaise réputation de l'Afrique occidentale prit même, à un moment donné, un caractère si déterminé que le général Faidherbe, l'inspirateur et le premier instrument de la pénétration du Sénégal au Soudan, crut devoir adresser à ses collègues du Sénat une lettre qui eut un retentissement marqué et dans laquelle il pronostiquait une belle et riche moisson succédant aux durs labeurs des premiers défrichements. Cette période des vaches grasses se dessine aujourd'hui admirablement et le général Faidherbe, s'il eût vécu, aurait aujourd'hui la satisfaction intense de voir qu'il a été bon prophète et que sa voix ne s'est point perdue dans le désert.

L'Afrique occidentale française est formée actuellement par la réunion du Sénégal, de la Guinée française, de la Côte d'Ivoire, du Dahomey et des territoires militaires du Soudan. Ce vaste domaine compte environ 4.500.000 kilomètres carrés, soit 9 fois la superficie de la France. Si l'on y ajoutait les territoires du Tchad et la région du Congo français, ce bloc colonial dépasserait 7 millions de kilomètres carrés, représentant de 13 à 14 fois la superficie de la France.

L'origine de ces diverses possessions est peu ancienne, sauf pour le Sénégal. C'est en 1626 que l'Association des marchands de Dieppe et de Rouen fonde ses premiers comptoirs au Sénégal. Ces établissements se développent très lentement et passent de mains en mains avant de devenir domaines de l'État et après avoir été conquis à plusieurs reprises par les Anglais, puis restitués par eux. Après 2 siècles d'existence nous ne sommes guère plus avancés au Sénégal qu'au début et il faut le gouvernement de Faidherbe (1854-1865), pour donner de l'air à la colonie, réduite à quelques lambeaux de territoire autour de S'-Louis et de plusieurs autres points, la délivrer des taxes et redevances de toute nature que les trafiquants sont obligés de payer à tous les chefs du voisinage, soumettre ces derniers et porter un coup fatal au conquérant musulman El Hadj Omar, dont le prestige s'écroule au siège de Médine. La voie est ouverte sur le haut fleuve, mais ce n'est que 20 années plus tard que s'effectue la pénétration au Niger où le drapeau tricolore flotta pour la 1re fois à Bamako, sur les bords du grand fleuve, en 1883. Dès lors la marche en avant se poursuit avec rapidité. En 1890 Ségou est occupé; en 1894, Tombouctou; en 1896, Ouaghadougou et Say. La capture de Samory en 1898, assure la complète conquête du Soudan, qu'il s'agit maintenant de relier pratiquement aux diverses colonies du littoral.

En 1889, la région des Rivières du Sud est distraite du Sénégal et constituée en colonie autonome, qui prend, en 1891, le nom de Guinée française. Son premier gouverneur et en quelque sorte créateur, est le docteur Ballay qui devait y rester 10 ans. En 1893, la Côte d'Ivoire est érigée en colonie distincte avec son premier gouverneur, le capitaine Binger. A la même époque, les Établissements du golfe du Bénin sont séparés de la Côte d'Ivoire et prennent, en 1894, après la conquête du Dahomey (1892) et la capture de Béhanzin (1893), le nom de colonie du Dahomey, avec M. V. Ballot comme gouverneur.

Toutes ces colonies, une fois pourvues de leur autonomie, agissaient isolement sans se préoccuper de leurs voisines, au grand détriment des intérêts de la politique générale coloniale. Pour remédier à cet état de choses, on créa un gouvernement de l'Afrique occidentale française (1895), mais sans donner à son titulaire des pouvoirs bien étendus, ni bien précis. En 1899 (17 oct.) est prononcée la dislocation du Soudan, dont les provinces sont partagées entre les colonies du littoral voisines,

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ou érigées en territoires militaires. Enfin en 1902, un décret du 1er octobre modifie l'organisation du gouvernement général en fortifiant les pouvoirs du gouverneur général. Tel est, en peu de mots, l'historique très sommaire de la fondation de l'empire colonial français de l'Afrique occidentale.

Que valent ces immenses territoires, quel est leur climat et leur habitabilité pour l'Européen, quels sont les grands travaux qu'il importe d'y exécuter pour activer leur mise en valeur?

L'Afrique occidentale peut se diviser en 3 grandes zones sous le rapport de la végétation et du climat :

1o La zone sablonneuse, comprenant le pays des Maures au nord du Sénégal et la région saharienne, zone brûlante, sèche, aride et à peine peuplée;

2o La zone de la brousse, comprenant le Sénégal, la Guinée et le Soudan, zone à température moins élevée, renfermant des terres fertiles et des populations denses avec le climat des tropiques;

3o La zone des forêts et du littoral, à température humide et chaude, mais peu variable, riche et fertile là où ne s'étend pas la grande forêt vierge, mais plus particulièrement malsaine, avec le climat de la région équatoriale.

Dans la 1re zone la pluie est un phénomène rare et le vent chaud et brûlant qui vient de l'est dessèche tout. Dans la 2e zone, l'année se partage en 2 saisons: sèche et pluvieuse. La saison sèche, qui est la moins chaude, s'étend de décembre à avril. L'hivernage ou saison des pluies, qui varie un peu selon les régions (plus étendu en Guinée qu'au Sénégal), dure en général de mai à novembre. Dans la 3 zone ou compte 2 saisons sèches et 2 saisons des pluies. La quantité d'eau qui tombe est considérable, car elle atteint une hauteur moyenne qui n'est pas inférieure à 2 mètres.

Dans la zone saharienne, la température atteint des variations considérables. A Tombouctou, le thermomètre marque 42° centigrades, à l'ombre le jour, et descend la nuit jusqu'à 1° ou 2o. Aussi ne sauraiton trop recommander à ceux qui vont pour la première fois au Soudan d'emporter des vêtements de drap et des couvertures, ce qui au premier abord peut paraître tant soit peu ridicule. Au Soudan, où on ressent des chaleurs torrides, on souffre plus du froid à 15° qu'en France à la

température de 0°. La force de pénétration de la lumière est telle que le soleil impressionne les plaques photographiques d'un appareil en bois, qui lui-même est enfermé dans une caisse en bois.

Plus on s'approche de l'équateur, plus les extrêmes de température se rapprochent. Ainsi à la Côte d'Ivoire le thermomètre ne s'élève qu'à 30° et 32° le jour, et ne descend pas au-dessous de 20° à 22o la nuit. Au Sénégal, dont la réputation de chaleur a été faussement créée par les thermomètres, sur la légende desquels on lit encore aujourd'hui, audessus des mentions « Vers à soie » et « Bains ordinaires », celle de « Sénégal » en face du 50°, la température est moins élevée qu'au Soudan et plus supportable que sur tout le littoral de la Guinée. Pendant la saison sèche elle varie entre 11° et 25° et, pendant l'hivernage, la moyenne est de 27° à 30°. La température du Sénégal est même sensiblement inférieure à celle du Sud algérien où l'on atteint parfois les 50o à l'ombre des fabricants de thermomètres.

Si la région du littoral est parfois ravagée par des épidémies, on peut dire que le bassin du Niger en est exempt. En effet, on n'y rencontre ni la fièvre jaune, ni la fièvre typhoïde. La tuberculose y est rare. Seul le paludisme y fait encore de trop nombreuses victimes. A l'époque des expéditions militaires, des décès assez fréquents ont eu lieu parmi les Européens; mais cela tenait surtout aux fatigues de la marche, à l'insuffisance d'une nourriture appropriée au climat, au manque de soins et de médicaments pour les malades et parfois à l'absence de médecin. Ces conditions ont complètements changé, et il ne se produit pas plus de décès aujourd'hui dans le bassin du Niger, qu'en Algérie par exemple. Ainsi une colonne, qui comprenait 105 Européens, n'a eu à enregistrer, pendant le cours de sa longue période active, que 2 décès et 9 maladies graves. C'est là une proportion infime et qui indique une hygiène remarquable.

Le Soudan n'est donc pas cette « terre de mort » dont on parlait il y a 12 ou 15 ans. C'est un pays où l'Européen peut parfaitement vivre, à la condition de s'abstenir d'alcool ainsi que de tout excès et de s'alimenter d'une façon substantielle.

Si la région du littoral est malsaine à cause des deltas de ses fleuves, de ses marécages et de ses lagunes, où pullulent les moustiques qui sont les meilleurs véhiculateurs de la fièvre jaune, il faut ne la considérer que comme une halte, un lieu de passage pour gagner l'intérieur.

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