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Une fois que l'on a pénétré dans le bassin du haut Niger, le changement est complet. C'est là que se trouvent les pays les plus riches, les populations les plus nombreuses; là le sol est hospitalier et la nature féconde. Le Quassoulou, autrefois le cœur de l'empire de Samory, peut être considéré comme le centre de la région la plus saine et la plus habitable pour l'Européen de tout le bassin constitué par le haut Niger et ses affluents. Ces plateaux ont une superficie d'environ 200.000 kilomètres carrés. Suivant l'expression de Faidherbe, s'il se fonde un empire français au Soudan, c'est là qu'en sera la capitale. Les régions. voisines s'étendant, d'un côté jusqu'au Fouta Djallon, de l'autre jusqu'au Mossi, forment encore un territoire salubre dont la superficie est supérieure à celle de la France. C'est sur ces régions que se concentrera, suivant l'expression du docteur Barot, l'énergie coloniale de la France. D'ailleurs n'a-t-on pas dit déjà que la vie de la brousse excelle à tremper les caractères et qu'elle est le meilleur professeur d'énergie et de virilité ?

Une des causes qui rendent habitable le bassin du haut Niger est l'altitude même où il se trouve. Le système orographique de l'Afrique occidentale ne renferme pas, courant parallèlement au littoral de la Guinée, cette grande chaîne des montagnes de Kong que mentionnaient tous les atlas d'il y a 15 ans, mais que le capitaine Binger ne put jamais découvrir dans ses explorations, par l'excellente raison qu'elle n'existait que dans l'imagination des cartographes d'alors. Si la chaîne n'existe pas, il y a par contre un relief assez accentué du sol et en certaines régions des groupements de montagnes qui, sans approcher de nos Alpes, atteignent cependant des altitudes appréciables. C'est ainsi que le Fouta Djalon, considéré comme le futur sanitorium de l'Afrique occidentale, forme une terrasse s'élevant de 600 à 900 mètres, d'où émergent des hauteurs dont la plus élevée, le mont Conrard (nom d'un chef de colonne mort au Soudan), atteint 1.350 mètres. Plus à l'est se dressent les monts de Touba, dont le sommet le plus élevé, le pic de M'Nimba, source du Cavally, cote 2.000 mètres d'altitude.

C'est de ces montagnes que sortent les grands fleuves de l'Afrique occidentale, le Niger, qui n'a pas moins de 4.200 kilomètres ; le Sénégal et la Volta, qui en ont plus de 1.500; la Gambie, le Bandama, le Comoé, qui en comptent plus de 600, soit la longueur de la Seine. De ces 6 fleuves, tous plus ou moins coupés par des rapides ou des chutes,

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les 2 qui offrent la plus grande surface navigable sont le Niger et le Sénégal.

Le Niger, ou Dioliba, qu'on appelle aussi le Nil des noirs en raison de ses bienfaisantes inondations, est, on le sait, coupé dans la partie inférieure de son cours de nombreux rapides qui arrêtent la navigation régulière, bien que le capitaine Lenfant ait réussi à y faire passer un convoi de chalands. Mais, dans son cours moyen, il présente un admi rable bief navigable de 1.700 kilomètres, entre Koulikoro et Ansongo. De son côté, le Sénégal est navigable pendant les hautes caux, pour les vapeurs de 2.000 tonneaux, de son embouchure jusqu'à Kayes, à 820 kilomètres de S'-Louis. Au delà de Kayes, il y a 400 kilomètres à franchir pour atteindre le grand bief du Niger.

Il y a plus de 15 ans que l'on a commencé la construction d'un chemin de fer destiné à servir de trait d'union entre les deux flancs. Cette ligne, tour à tour abandonnée et reprise, a subi des vicissitudes variées qui en ont singulièrement retardé la construction. Elle doit être achevée vers 1905. D'autre part, la colonie de la Guinée a entrepris d'atteindre également le Niger, mais sur la partie supérieure navigable de son cours. Un chemin de fer en construction de Konakry à Kouroussa doit être ouvert, sur 150 kilomètres, en 1903. Une 3e ligne est en construction au Dahomey et doit réunir Kotonou au Niger vers Say. Lorsque ces lignes seront terminées et mises en exploitation, le Niger, et par lui le cœur de l'Afrique occidentale, sera mis en communication directe et rapide avec le littoral. C'est ainsi que se dessine et s'accomplit, lentement mais régulièrement, la grande œuvre de mise en valeur de l'Afrique occidentale. Quand l'intérieur sera pratiquement ouvert au commerce, les comptoirs du littoral verront se former un courant commercial qui dépassera toutes les prévisions et dont le coton pourra être un des principaux éléments.

Mais pour arriver à ce résultat il faudra parachever les grands travaux en cours et en entreprendre de nouvaux reconnus indispensables. Aussi le gouvernement de l'Afrique occidentale a-t-il projeté dans ce but un emprunt de 50 millions de francs, qui serait garanti par l'Etat français. C'est ce que M. Roume annonçait dernièrement au conseil général du Sénégal. Depuis que le gouvernement de l'Afrique occidentale a cessé d'être un pouvoir à peu près nominal et qu'il a été doté de ressources financières lui assurant un revenu annuel d'environ 25 mil

lions, il lui est permis d'entrevoir de plus vastes horizons et de faire œuvre utile.

Des 50 millions de l'emprunt projeté, une part importante serait consacrée à poursuivre les travaux de chemin de fer de la Guinée française. Jusqu'ici cette colonie a construit à ses frais, à l'aide d'un emprunt de 12 millions, les travaux de la voie ferrée qui doit être ouverte sur une longueur de 150 kilomètres. Mais il y a encore loin jusqu'au Niger et même jusqu'au Fouta Djallon. Il manque encore 200 kilomètres pour atteindre cette région saine, fertile et peuplée. Un subside de 17 millions, pris sur l'emprunt, permettra de poursuivre la ligne jusque-là.

La moins développée de nos possessions du littoral du golfe de Guinée, la Côte d'Ivoire, ne possède ni port, ni chemin de fer. Son hinterland, formé surtout par la grande forêt équatoriale, s'est révélé depuis peu comme renfermant des gisements aurifères qui ne seraient pas sans valeur. Le rush qui s'est produit dans la colonie anglaise voisine, la Côte d'Or, a rejailli quelque peu sur la Côte d'Ivoire où les prospecteurs deviennent de plus en plus nombreux. Le mouvement a gagné les financiers et 25 sociétés de recherche ou d'exploitation, ayant un capital de plus de 60 millions de francs, ont jeté leur dévolu sur les richesses minières de la colonie. Bien que l'insalubrité du sol ne soit pas sans réserver de nombreux déboires à ceux qui entreprendront l'extraction des gisements aurifères, il n'en résulte pas moins pour la Côte d'Ivoire un sérieux courant d'activité qu'il importe de seconder.

C'est dans ce but qu'une part de 10 millions serait réservée pour commencer les travaux d'une voie ferrée, à l'étude depuis plusieurs années, et la construction d'un port. La côte basse et sablonneuse n'offrant aucune sécurité pour les navires, il est question de couper, près de Petit Bassam, la langue de terre qui court entre la mer et la grande lagune parallèle à cette dernière. Les navires entrant ainsi par un chenal dans la lagune y trouveraient, non seulement la profondeur, mais encore l'abri qui leur fait défaut sur le littoral. Si une somme de 10 millions seulement doit être affectée à ces grands travaux c'est que la colonie, amorçant seulement la construction de la voie ferrée, se propose d'affermer celle-ci à une compagnie.

Le Sénégal, non plus, n'a pas de grand port; mais il a une rade magnifique, Dakar, point d'appui de la flotte et siège du gouvernement de l'Afrique occidentale, où tout reste à faire : quais, terre-pleins avec

leur outillage, magasins, docks. 10 millions lui seront affectés dans ce but et les travaux du port de commerce, profitant de l'outillage réuni pour la construction du port militaire, pourront être poussés rapidement. Saint-Louis, qui n'a pas de quais,malgré le trafic important de son port fluvial, et Rufisque où seront faits quelques aménagements, se partageront 2 millions.

Une part importante sera faite à la navigation fluviale pour le redressement et l'amélioration du cours du Sénégal d'abord, du haut Niger ensuite. Une mission dirigée par le l' de vaisseau Mazeran, étudie en ce moment le cours du Sénégal, si peu connu encore, qu'à Kayes même, la cote d'altitude au-dessus du niveau de la mer n'avait pas été relevée. Ces travaux absorberont 5 millions 1/2.

Enfin 4 millions 1/2 seront consacrés à des travaux d'assainissement, notamment à St-Louis, Dakar et Rufisque, où la construction d'égouts et le dessèchement des marais environnants rendront moins dangereuses à l'avenir les épidémies qui ont causé tant de ravages jusqu'ici.

Si la majeure partie des ressources du futur emprunt est affectée au Sénégal,il est juste de reconnaître que cette colonie est celle où le trafic est le plus intense et le plus porté à se développer rapidement. En effet sur les 156 millions que représente le mouvement commercial de l'Afrique occidentale pour 1901, 102 sont afférents au Sénégal.

Grâce à l'exécution de grands travaux publics, grâce aussi à l'activité des compagnies commerciales qui ont fait énormément pour le développement du pays, grâce enfin à une meilleure connaissance des ressources, du climat et de l'habitabilité de l'intérieur, l'Afrique occidentale va pouvoir prendre son essor. Aprè le Tonkin, après Madagascar, elle démontrera que les colonies qui ont coûté de grands sacrifices sont également capables de devenir une source de richesse pour la métropole.

G. VASCO.

La plupart des expéditions coloniales ont eu jusqu'ici leur relation officielle, ou quasi officielle, lorsque l'un des membres de l'expédition se faisait en quelque sorte le porte-parole autorisé de ses compagnons d'armes. Deux, cependant, faisaient exception à cette règle: la mission Marchand, à qui on en voulait presque, en haut lieu, d'avoir atteint son but, et la colonne de Kong qui, plus à portée que la mission Marchand, fut rappelée en plein cours de son action. Grâce au lieutenant-colonel Monteil, qui fut son chef, la lacune n'existe plus pour cette dernière, dont le récit de campagne vient d'être publié (1). Il sera donc désormais possible de juger, documents en mains, les faits et gestes d'une colonne sur laquelle planait un silence douteux et de rendre non seulement hommage, mais encore justice, aux vaillants combattants dont les actes d'endurance, de dévouement et de bravoure tombent dans le patrimoine d'honneur de la nation.

Lorsqu'un accord intervint avec le gouvernement de l'État du Congo pour la fixation de la frontière française dans le haut Oubangui, la colonne expéditionnaire qui était envoyée sur les lieux sous les ordres du lieutenant-colonel Monteil se trouva être sans objet. A peine débarquée à Loango, elle reçut l'ordre de se rendre à la Côte d'Ivoire et fut transportée à Grand Bassam où elle arriva le 12 septembre 1894. Le nouveau but de l'expédition était d'arrêter les progrès de l'almamy Samory qui, battu et chassé des bords du Niger, poussait vers l'est ses bandes dévastatrices afin d'envahir les régions, jusqu'alors paisibles, arrosées par le Bandama et le Comoé. Dans le courant d'août 1894, la présence de Samory était signalée dans l'hinterland de la Côte d'Ivoire; par suite le pays de Kong, le Djimini et le Djamala étaient menacés d'envahissement. Placés sous protectorat français par le capitaine Binger, ces pays faisaient appel à notre assistance qu'il était difficile de leur refuser. Nous étions, d'ailleurs, en lutte ouverte avec Samory et il importait non seulement de soutenir nos protégés, mais encore d'empêcher Samory de reprendre un ascendant qui ne pouvait que croître à notre détriment.

(1) La colonne de Kong, par le l'-colonel Monteil. Lavauzelle. éditeur.

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