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ravin qu'elle passe pour remonter vers un plateau entièrement découvert et aboutissant à Paso del Macho. Entre ce pueblo et le rancho de Chiquihuite, il reste à franchir trois profonds ravins, sur trois mauvais ponts. Là on est à la limite des terres chaudes.

C'est donc sur cette route mauvaise, difficile dans des conditions ordinaires, praticable pendant une partie de la saison des pluies au prix de fatigues inouïes et de dangers sans nombre, que va se jouer le drame du ravitaillement d'Orizaba.

Or, cette saison redoutée a commencé. Il pleut déjà, il pleut chaque jour, et les eaux de la veille s'ajoutant à celles du lendemain transforment les terres chaudes en lacs de boue, grossissent les rivières et les jettent hors de leur lit.

D'ailleurs, la lutte entre le climat de la tierra caliente, ses guerrillas et nos colonnes n'est pas à son début; elle remonte au lendemain de notre retour de Puebla, et nous avons pu constater dès le mois de mai la marche ascendante des maladies, par les ravages faits dans la colonne Douay, et l'excellente organisation des partis de guerrilleros, par la nécessité où la colonne du colonel Hennique s'est trouvée de reprendre à l'ennemi les positions du Chiquihuite.

En réalité, la lutte ne fait que se poursuivre. Malheureusement, malgré toute la prévoyance

du commandement pour régler la marche des convois de manière que le service des subsistances ne souffrît jamais de retard, il se passa un fait qui faillit avoir les plus graves conséquences. On attendait le général Marquez parti au commencement de juin avec 2,000 cavaliers et 180 voitures d'administration qu'il devait faire charger à la Vera Cruz et ramener aussitôt. Or, le général, en apprenant l'attaque d'Orizaba, avait subitement quitté la Tejeria, et il était revenu, sans vivres, mais avec sa cavalerie dont nous n'avions que faire et que nous allions avoir à nourrir.

Il est très-probable qu'en agissant ainsi Marquez avait cédé à la conviction que sa présence à Orizaba était indispensable; mais il n'est pas invraisemblable non plus que, connaissant la répugnance de ses troupes à escorter des convois en terres chaudes, il n'ait cru prudent de profiter de la circonstance pour les ramener, tout d'une traite, dans la région tempérée, plutôt que de s'exposer à les voir déserter. Toujours est-il que Marquez proposa au général de Lorencez d'employer aux convois des terres chaudes les troupes françaises stationnées à Cordova et de faire occuper cette place, sous son commandement, par l'infanterie, l'artillerie et une partie de la cavalerie mexicaines. L'offre fut accueillie, à cela près que le général de Lorencez trouva bon de maintenir à

Cordova un bataillon de fusiliers marins et une

section d'artillerie de marine, et ce fut le colonel Hennique qui partit à la place de Marquez pour ramener de la Tejeria le convoi de vivres que ce dernier y avait laissé. У

que

Ce convoi était fortement escorté, attendu le ravitaillement du corps expéditionnaire se trouvait intimement lié au succès de sa marche et de son prompt retour. Aussi, quelle ne fut pas l'angoisse générale quand, peu de jours après le départ du colonel Hennique, on apprit que toutes les guerrillas du général La Llave se concentraient entre la Vera Cruz et Cameron, avec l'intention de lui barrer la route! Cette nouvelle détermina le commandement à prendre sans retard une mesure d'économie indispensable. Toutes les rations, celle de la viande exceptée, — on augmenta celleci, furent réduites'; la ration de fourrage fut remplacée par du maïs vert, en attendant l'heure prochaine où la canne à sucre verte2 serait ellemême substituée au maïs.

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En même temps, il acheminait le bataillon

La ration de pain fut réduite de 750 à 500 grammes; les officiers n'en touchèrent plus qu'une. La ration de viande fut portée à 360, puis à 400 grammes. La ration de vin fut réduite à deux par semaine.

Cette nourriture finit par déterminer chez nos chevaux, dont la langue se coupait, la salivation, l'impossibilité de macher et la mort.

Souville vers le Chiquihuite pour qu'il se mît en communication avec la colonne Hennique et lui prêtât main-forte. La précaution ne fut pas inutile; 4,000 guerrilleros avaient occupé la Soledad aussitôt après le passage de cette colonne et se disposaient à brûler le pont construit sur le Jamapa. L'arrivée inopinée, le 6 juillet, du commandant Souville, qui, n'ayant trouvé au Chiquihuite aucune nouvelle du colonel Hennique, avait eu l'heureuse inspiration de descendre immédiatement jusqu'à la Soledad, fit battre en retraite les guerrillas.

A la vérité, leurs bandes sont là; on les sent rôdant autour du bataillon du 99 et du convoi Hennique en route depuis le 5 juillet pour Orizaba; mais le commandant Souville garde le pont de la Soledad; les deux colonnes françaises sont déjà en communication et peuvent se prêter un mutuel appui. L'ennemi en fait l'expérience le jour même, au retour du capitaine Vercin, qui avait été envoyé à la Soledad avec un peloton de chasseurs et une compagnie de zouaves pour reconnaître le bataillon Souville. Le capitaine ralliait les zouaves qu'il avait laissés à 10 kilomètres de là au Rio de Piedra, quand, à mi-chemin, il se voit tout à coup assailli par une troupe de 150 cavaliers mexicains. Envoyer aussitôt deux chasseurs, l'un au commandant Souville, l'autre au capitaine

de la compagnie de zouaves, pour les prévenir de sa situation, telle est la première mesure prise par le capitaine Vercin. Mais que faire avec 25 cavaliers attaqués par devant, exposés par derrière à la fusillade partant des fourrés environnants, sinon battre en retraite et attendre du secours? C'est le parti que prend le capitaine, qui lentement se rabat sur la Soledad sans se laisser entamer. Un chasseur est blessé, deux tombent au pouvoir de l'ennemi, et celui qui a été envoyé au poste de Rio de Piedra est massacré. Mais, plus heureux que son camarade, le cavalier parti pour la Soledad ramène une compagnie du bataillon Souville. Alors la scène change; l'infanterie ouvre son feu, les chasseurs chargent, et les guerrilleros qui ont 30 hommes sur le carreau lâchent pied. Cette leçon a pour effet de permettre au convoi et à son escorte d'atteindre la Soledad, le 11 juillet, sans apercevoir l'ombre d'un sombrero. Ils ont mis six jours pour franchir une distance de 8 lieues; et ils ne sont au terme ni de leur voyage, ni de leurs fatigues, ni de leurs souffrances. Il pleut, en effet, sans désemparer, et à tous moments ce sont de nouveaux abîmes sous les pas de nos colonnes de ravitaillement.

Le général de Lorencez, qui suivait avec anxiété la marche du colonel Hennique, apprécia rapidement la situation daus toute sa gravité, et, déses

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