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inutiles! Après chaque retour de convoi, la vérité apparaissait plus poignante; on se retrouvait toujours devant cette obligation inéluctable : vivre au jour le jour!

Cette fois le général de Lorencez n'avait pas attendu le retour du commandant Lefèvre pour diriger vers la Vera Cruz une colonne légère composée de 200 mulets de bât et seulement de 8 voitures. Quatre compagnies du 1er bataillon de chasseurs à pied et 25 gendarmes, sous les ordres du lieutenant-colonel Mangin, les escortaient. Le trajet à l'aller se fit sans accident; mais au retour le lieutenant-colonel pensa un moment à abandonner ses voitures, qu'on ne parvint à arracher du milieu des vases où elles disparaissaient presque qu'au prix des plus grands efforts.

Les quatre jours de marche employés pour se rendre de la Tejeria à la Soledad prouvèrent l'impossibilité de continuer, entre ces deux points, le mode de transport par voitures, vu les difficultés du terrain et la mauvaise saison auxquelles on allait encore être exposé au moins pendant deux mois. Le mode qui s'imposait désormais était le transport à dos de mulet. Par ce moyen les voitures n'auraient plus à franchir le Rio Jamapa; elles attendraient sur la rive droite les convois de mulets qui viendraient apporter leurs charge

ments.

Sans doute, c'était bien là le remède au mal, mais les moyens pour l'appliquer nous faisaient défaut. Il eût fallu, en effet, pour opérer cette importante modification, se procurer un certain nombre de mulets de bât et faire occuper la Soledad; mais entre Orizaba et la Vera Cruz on n'aurait su trouver un mulet ni pour argent ni pour or; et quant à diminuer les garnisons du Chiquihuite, de Cordova ou d'Orizaba, il n'y fallait pas songer, dans un moment où il n'était bruit que d'une attaque de cette dernière place par toutes les troupes de la République.

C'est dans cette situation critique que nous surprit la nouvelle de l'arrivée des renforts attendus de France. Elle fut apportée à Orizaba, le 29 août, par le lieutenant-colonel Mangin, en même temps que le courrier d'outre-mer. Nous apprîmes qu'une première colonne de 2,000 hommes, commandée par le colonel Brincourt du 1 régiment de zouaves, précédait un corps d'armée de 25,000 hommes placé sous les ordres du général Forey, et que l'Empereur l'avait fait partir en toute hâte, dans la crainte que le général de Lorencez n'éprouvât de sérieuses difficultés à se maintenir avec le faible effectif dont il disposait. Cette colonne était pourvue de train, de voitures, de mulets de bât en quantité suffisante pour que les mulets d'attelage pussent être utilisés au

transport à dos, et elle comptait des troupes d'administration. En résumé, elle était constituée de manière à se suffire à elle-même.

L'intendant Friant, l'intendant Wolf, le sous-intendant Lejeune suivaient de près cette colonne. L'intendant Friant venait prendre la direction des services administratifs, lourde tâche échue au sous-intendant Gaffiot dans les circonstances les plus accablantes, le 5 mai, le jour même de la mort du regretté Raoul, frappé par un boulet ennemi. Cette succession, l'intendant Gaffiot l'avait conservée jusqu'à l'heure présente, c'està-dire pendant la période la plus critique de la campagne; il avait fait face à des difficultés sans précédent et s'était montré de taille à porter la responsabilité écrasante qui a pesé sur lui pendant cinq mois de semi-détresse. Sans sa robuste constitution le sous-intendant Gaffiot aurait payé de sa vie ses fatigues et ses angoisses, et quand, l'année suivante, il dut rentrer en France pour se soigner, sa santé était gravement compromise.

L'intendant Friant, qui allait lui succéder, était connu de toute l'armée pour ses éminentes qualités d'administrateur. Il lui était réservé de marcher avec la division Douay et d'y conquérir le surnom de mère nourricière de la colonne.

La nouvelle de l'arrivée prochaine des renforts traversa le Mexique avec la rapidité de l'éclair,

portant le découragement parmi les Mexicains, ranimant l'enthousiasme des troupes françaises, dont le moral, d'ailleurs, n'avait souffert aucune atteinte. Ces troupes attendaient fières, résolues, que la France s'émût de leur sort et vînt à leur aide; et si l'on tient compte de la distance qui les séparait de cette France, si l'on met dans la balance, d'une part, les souffrances endurées, de l'autre, les modestes distractions qu'il leur était donné de goûter et qui se réduisaient en somme, pour les privilégiés, à la musique entendue chaque jour sur la place et au théâtre de l'armée qui allumait sa rampe une fois par semaine, personne ne marchandera son admiration à ces hommes qui toujours avaient su voir la France là où flottait son drapeau.

CHAPITRE XIV

LA MUSIQUE ET LE THEATRE A ORIZABA.

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deux remèdes souverains, en campagne, pour les blessés et les malades; ils combattent victorieusement la nostalgie, le découragement, et relèvent le moral de l'être qui souffre : ce sont la musique et le théâtre. Ces remèdes ne font pas partie du domaine scientifique de la médecine, et le chirurgien militaire ne peut que les recommander; c'est au général qu'il appartient de les employer, de les multiplier, quand il le peut; - et s'il a pour ses soldats la sollicitude paternelle qu'il leur doit, il ne faillira jamais à ce devoir. Il y trouvera d'ailleurs un double profit, puisque, en accomplissant une bonne action, il assurera et hâtera la guérison de malades qui, demain, redeviendront des combattants.

Ainsi pensait le général de Lorencez ; et chaque jour, dans l'après-midi, à l'heure où la température était la plus clémente pour les malades, il faisait jouer l'excellente musique du

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