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tion pour être à même de reprendre enfin toute sa liberté d'action.

Il prévint le gouvernement de Mexico qu'il quitterait Téhuacan le 1" avril, et il invita le général de Lorencez, qui l'avait rejoint depuis le 26, à arrêter à Cordova les troupes récemment débarquées et à prendre ses dispositions pour les faire rétrograder en deçà du Chiquihuite.

Il n'y avait plus à se méprendre sur les résolutions extrêmes auxquelles le gouvernement de Juares s'était arrêté notre retour dans les terres chaudes, à la veille de la saison des pluies, et son entente avec les plénipotentiaires anglais et espagnol, laissaient le champ libre à ses violences. Nous fût-il resté une illusion, que l'exécu tion du général Robles, sorte de défi jeté à la France, l'eût rapidement fait évanouir.

Robles, un des hommes les plus modérés et les plus estimés du Mexique, accusé de nourrir des sentiments trop français, avait été interné dans une ville et surveillé de près.

Un jour, croyant avoir endormi la vigilance de ses gardiens, Robles se lance au galop sur la route de Téhuacan, accompagné d'un aide de camp il se rend auprès de l'amiral. Les heures s'écoulent, la distance diminue, l'horizon se rapproche; encore quelques pas, et Robles aura conquis la liberté !... mais, au passage d'une bar

ranca (ravin), un lazzo tournoie dans l'espace, s'abat sur lui, l'étreint, l'arrache de cheval, et son aide de camp, qui redouble de vitesse pour éviter le même sort, peut voir, en tournant la tête, le corps meurtri de son général labourer le sol sur les pas des cavaliers qui l'entraînent.

La négligence apparente qui avait décidé Robles à une fuite n'avait été qu'une feinte pour l'y déterminer : son arrêt était prononcé d'avance. Robles est conduit à San-Andres et jeté en prison comme un malfaiteur. En apprenant son arrestation, Saragoza avait prononcé ces simples mots : « Qu'on le fusille. »

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Arrêté le 21, Robles sort de prison le 23 pour être conduit sur le lieu de l'exécution. Il a un bras cassé; la fièvre et la souffrance ont altéré ses traits et épuisé ses forces; il se traîne plutôt qu'il ne marche. Sur son passage, cependant, se découvrent les fronts les moins disposés à la pitié, et lorsqu'il arrive sur le lieu de l'exécution, une profonde émotion secoue la foule qui encombre la place.

L'arme au pied, les soldats muets et indécis semblent attendre du patient l'ordre de tirer. Alors Robles, se roidissant dans un dernier effort contre les douleurs aiguës qui font de lui un martyr, offre sa poitrine aux balles qui le frappent et mettent fin à une existence qu'il avait rêvé de consacrer à son pays.

CHAPITRE V

Le général de Lorencez quitte la Vera Cruz, le 20 mars, pour rallier l'amiral à Téhuacan. Son chef d'état-major, le

Le

colonel Valaze, attend l'arrivée des dernières troupes. Notre vie à la Vera Cruz. Un prophète en tablier blanc. Organisation et acheminement successif des troupes, du matériel et du convoi sur la Soledad. colonel Valaze, à la tête d'une petite colonne, prend, le 5 avril, la route de Cordova. Souvenir aux morts. Le capitaine de vaisseau Roze, commandant supérieur de la Vera Cruz. Le vomito dans toute sa violence. tation de l'alcade de la Soledad. Le Chiquihuite, limite des terres chaudes. - Entrée dans les terres tempérées. Cordova.

Arres

En apprenant les événements qui se passaient à Téhuacan, le général de Lorencez avait quitté la Vera Cruz pour rejoindre l'amiral. Il voyageait sans escorte, avec les seuls officiers de son étatmajor particulier, se hâtant dans l'espoir de pouvoir encore empêcher la retraite des troupes campées sur les hauts plateaux.

Parti de la Vera Cruz le 20 mars, le général est à Téhuacan le 26. Il voit l'amiral, pèse longuement avec lui la situation qui nous est faite, et

bien qu'arrivé avec « la résolution de maintenir à Téhuacan les forces qui s'y trouvent et de marcher droit sur Mexico le plus rapidement. possible", il finit cependant par se rendre aux considérations de l'amiral et par demeurer convaincu que la signature du plénipotentiaire français est un engagement d'honneur pour lui comme pour la France, et que personne ne peut l'en relever.

En passant par Orizaba, le général avait vu les plénipotentiaires d'Angleterre et d'Espagne. Ceux-ci lui avaient affirmé que la présence du général Almonte au camp français était le seul obstacle à une entente cordiale entre eux et les représentants de la France, et ils avaient si vivement pressé leur nouvean compagnon d'armes de faire cesser cette cause de discorde, que le général avait été, un moment, ébranlé par leur insistance. Il n'avait cependant pas cédé; il avait senti toute la justesse de ce cri de désespoir échappé au général Almonte : « Veut-on que ma tête mise à prix soit à la merci des assassins qui ne manqueront pas de me frapper dès qu'ils me verront abandonné? » Et se souvenant que le proscrit était débarqué à l'ombre du drapeau de la France, il avait écrit et recommandé au comman

1 Lettre du 22 mars au colonel Valaze.

dant Mangin, du 1er bataillon de chasseurs à pied, de veiller sur lui avec plus de vigilance que jamais.

Le commandant du corps expéditionnaire avait pu s'éloigner de la Vera Cruz en toute sécurité; il y avait laissé le colonel Valazé pour recevoir les troupes et les acheminer vers l'intérieur, et le capitaine de vaisseau Roze, homme d'une extrême distinction et d'une énergie cachée sous les dehors de la plus exquise politesse, pour commander l'escadre et les troupes de la Vera Cruz. Mais la situation des premiers jours ne fut pas sans embarras; le commandant Lacroix avait été atteint par le vomito, le capitaine Roussel, très-souffrant, avait été emmené par le général, de telle sorte que notre état-major se trouvait réduit à deux officiers : le colonel Valaze, lui-même fortement éprouvé par le climat, et le lieutenant Georges Bibesco. Le nombre des malades augmentait de jour en jour; nous n'étions encore en possession ni de nos médecins, ni de nos infirmiers, et nous nous fussions trouvés dans une position critique sans la présence de la flotte. La marine partagea avec nous les lits de son hôpital, comme nous allions bientôt, dans un jour de malheur, partager avec elle nos civières. Nos malades reçurent des soins dont ils ont gardé le souvenir, et ils trouvèrent dans le docteur Gantelme les ressources d'une intelligence dévouée et d'un art mûri par une longue expérience.

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