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ou d'un pays entier, la nation conquérantè s'empare des revenus publics de la nation conquise, mais en même temps elle demeure chargée de ses dépenses publiques; autrement la nation conquise n'aurait plus ni administration, ni justice, ni défense, ni établissemens publics, et elle échapperait à ses conquérans par sa désorganisation même.

» Il est bon de remarquer que les dépenses publiques doivent même monter plus haut dans un pays qui a passé sous une domination étrangère, que sous un gouvernement indigène. Qui envoie-t-on pour le gouverner? Des proconsuls, des vice-rois, chez qui la cupidité naturelle se trouve rarement balancée par des sentimens nobles. Pourquoi ménageraient-ils les hommes qu'ils gouvernent? Ce ne sont pas leurs compatriotes. Que leur importe leur amour et leur estime? Ils ne séjourneront que passagèrement parmi eux; ils aiment bien mieux se livrer aux impulsions de leurs caprices et de leur avidité, jouir et amasser; et pour faire tolérer leurs déprédations, les autoriser dans toutes les parties de l'administration. De là, l'épuissement d'une province, le déclin de son industrie, de sa population, de ses richesses, de ses forces.

» Ainsi, un pays conquérant ne retire d'une

province conquise que le montant des dépréda-: tions que ses agens y commettent, pourvu même qu'ils ne dissipent pas à mesure, tout entier, le montant de leurs déprédations, et qu'ils en rapportent chez eux une partie. C'est là tout ce que l'Inde rapporte aux Anglais.

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Lorsqu'on laisse au pays conquis son administration propre, le pays conquérant en retire un subside qui n'est jamais bien considérable, et qui ne dure pas long-temps: car un peuple conquis ne peut fournir beaucoup au-delà de ses propres consommations publiques, et s'affranchit d'un pareil tribut à la première occasion favorable.

» Lors donc qu'une nation a accru par des conquêtes son territoire, sa population, ses im-pôts d'un cinquième, il ne faut pas croire qu'elle ait accru sa puissance dans la même proportion; car ses charges sont en même temps plus fortes; et si l'on considère que plus un pays est vaste, moins il peut être bien administré ; si l'on considère qu'il est plus difficile à défendre contre les entreprises du dehors et contre celles du de◄ dans, et qu'il engendre tous les abus dans son sein en même temps qu'il éveille toutes les jalousies au dehors, on ne sera plus surpris que les états s'affaiblissent en s'agrandissant ; vérité qui

aurait l'air d'un paradoxe, si elle n'était pas

un fait. >>

Au sujet des dépenses relatives à l'enseignement public, M. Say examine si le public est intéressé à ce qu'on cultive tous les genres de connaissances, et s'il est nécessaire qu'on enseigne à. ses frais celle qu'il est de son intérêt qu'on cultive. Il observe que toutes les connaissances sont utiles à la société ; cependant il les distingue en deux classes: les unes présentent à ceux qui les cultivent des avantages assez considérables pour que la société n'ait rien à faire à cet égard; les autres, quoiqu'utiles à la masse des citoyens, n'offrent pas assez de profit à ceux qui sont portés à les exercer, pour que la société puisse les abandonner à elles-mêmes. De ce nombre sont les hautes sciences dans lesquelles on ne s'occupe que de la théorie.

<< En traitant des profits du savant, dit M. Say, j'ai montré par quelle cause ses talens n'étaient point récompensés selon leur valeur. Cependant les connaissances théoriques ne sont pas moins utiles à la société que les procédés d'exécution. Si l'on n'en conservait pas le dépôt, que deviendrait leur application aux besoins de l'homme? Cette application ne serait bientôt plus qu'une routine aveugle qui dégénérerait prompte

ment; les arts tomberaient, la barbarie repa

raîtrait.

» Les académies et les sociétés savantes, un petit nombre d'écoles très-fortes, où non-seulement on conserve le dépôt des connaissances et les bonnes méthodes d'enseignement, mais où l'on étend sans cesse le domaine des sciences. sont donc regardés comme une dépense bien entendue en tout pays où l'on sait apprécier les avantages attachés au développement des facultés humaines. Mais il faut que ces académies et ces écoles soient tellement organisées, qu'elles n'arrêtent pas les progrès des lumières au lieu de les favoriser, qu'elles n'étouffent pas les bonnes

méthodes d'enseignement au lieu de les répandre. Long-temps avant la révolution française on s'était aperçu que la plupart des universités avaient cet inconvénient. Toutes les grandes découvertes ont été faites hors de leur sein; et il en est peu auxquelles elles n'aient opposé le poids de leur influence sur la jeunesse, et de leur crédit sur l'autorité (1).

(1) « Ce qui a été appelé Université sous Bonaparte était pis encore. Ce n'était qu'un moyen dispendieux et vexa»toire de dépraver les facultés intellectuelles des jeunes>> gens, c'est-à-dire de remplacer dans leur esprit de justes

» Cette expérience montre combien il est essentiel de ne leur attribuer aucune juridiction. Un candidat est-il appelé à faire dés preuves ? il ne convient pas de consulter des professeurs qui sont juges et parties, qui doivent trouver bon tout ce qui sort de leur école, et mauvais tout ce n'en vient pas. Il faut constater le mérite du candidat, et non le lieu de ses études, ni le temps qu'il y a consacré; car exiger qu'une certaine instruction, celle qui est relative à la médecine, par exemple, soit reçue dans un lieu désigné, c'est empêcher une instruction qui pourrait être meilleure ; et prescrire un certain cours d'études, c'est prohiber toute autre marche plus expéditive. S'agit-il de juger le mérite d'un procédé quelconque ? il faut de même se défier de l'esprit de

corps. >>>

M. Say pense qu'on ne saurait sur-tout donner trop d'encouragement à la composition des bons ouvrages élémentaires. L'honneur et le profit. que procure un bon ouvrage de ce genre, dit-il, ne paient pas le travail et les connaissances qu'il suppose. C'est une duperie de servir le public par ce moyen, parce que la récompense natu

» notions des choses, par des opinions propres à perpétuer » l'esclavage des Français. »

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