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DES NATIONS

ET DE LEURS RAPPORTS MUTUELS:

Ce que ces rapports ont été aux diverses époques de la civilisation; ce qu'ils sont; quels principes de conduite en dérivent (1);

PAR A. THIERRY.

(Brochure in-8°. de 150 pages).

QU'EST-CE qu'une nation? Quelles conditions sont nécessaires pour former une nation? Une multitude d'hommes constituent-ils une nation, par cela seul qu'ils sont nés dans un certain nombre de licues carrées, par cela seul qu'ils sont renfermés dans de certaines limites? mais alors on ne sait plus de quelle nation sont les hommes; car le nombre des lieues carrées peut tous

(1) Cet écrit se trouve inséré dans un ouvrage publié récemment, ayant pour titre : L'Industrie littéraire et scientifique liguée avec l'industrie commerciale et manufacturière, etc.

les jours diminuer ou s'accroître; tous les jours, les limites peuvent s'étendre ou se resserrer; et trois hommes qui croyaient hier très-fermement être Polonais, par exemple, peuvent très-bien se trouver aujourd'hui, l'un Autrichien, l'autre Russe et l'autre Prussien. Suffit-il pour former une nation de parler la même langue? mais les Belges et les Français parlent la même langue, et cependant ils sont de nation différente; mais le peuple, au midi de la France, ne parle pas le même idiome qu'à l'ouest, et cependant un Breton et un Provençal sont de même nation. Faut-il, pour former une nation, être soumis aux mêmes lois, vivre sous le même gouvernement? mais tous les peuples de l'Allemagne ne sont soumis aux mêmes lois et au même gouvernement, et cependant on dit vulgairement la nation allemande. Qu'est-ce donc qu'une nation? On voit qu'en se servant de ce mot dans le sens ordinaire, on est exposé à tomber dans d'assez grandes contradictions, et qu'on ne sait pas trop précisément ce que l'on dit.

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Cela étant, nous adopterons volontiers la définition que M. Thierry nous donne du mot nation. Elle nous paraît beaucoup plus satisfaisante que celle qu'on en donne vulgairement. Nation et société, dit-il, sont des termes syno

nymes: or, société, association, c'est ligue; ligue, c'est union d'efforts pour un intérêt commun; donc nation c'est ligue, c'est union d'efforts. << Partout où il se trouve un objet où des hommes tendent, de concert, là, et seulement là, il y a

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>> une nation. »

« C'était une nation, dit M. Thierry, que le peuple de guerriers, qui, par des éfforts communs, défendit sa liberté contre les Perses; et cette nation c'étaient tous les Grecs. C'était une nation que le peuple de marchands, qui, dans le treizième siècle, maintenait de concert son indépendance contre l'Empire germanique ; et c'était l'Italie presque entière. C'était aussi une nation que le peuple de dévots qui se jetait sur l'Afrique, pour rendre aux Sarrasins tout le mal qu'il en avait reçu; et cette nation, c'était l'Europe. »

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Voulons-nous donc savoir, ajoute M. Thierry, quelles sont en Europe les nations? Jetons hardiment les yeux au loin, sans nous laisser arrêter ou distraire par les inégalités du sol, par les différences du langage, du gouvernement, de l'habit, des manières ; et partout où nous verrons des hommes pensant et voulant de même, à l'égard de ce qu'ils croient être leurs plus chers intérêts, disons, sans craindre de nous tromper :

Ces hommes s'entendent, ils sont unis, ils sont actifs dans des vues communes ; ici il y a une nation.

» C'est une chose commode pour la géographie que les divisions de territoire formées par des limites remarquables; mais c'est tomber dans un abus de mots que de donner, sans examen le nom de nation au nombre de peuple contenu entre deux mers, deux rivières, deux chaînes de montagnes. Tel prince qui dit : « La nation à qui je commande. bâtit souvent d'une

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seule parole un édifice que toute sa puissance ne saurait élever là où les bases n'en sont point posées, une société. On n'associe les hommes que lorsqu'ils consentent: il faudrait au préalable avoir vérifié le consentement.

Voit-on dans les villes les mêmes partis, les mêmes coteries, toujours renfermés dans les mêmes quartiers, entre les mêmes rues ? Les intérêts qui amentent les factions ne planent-ils pas au-dessus de la population toute entière ? ne la séparent-ils pas lorsqu'elle est rapprochée ? ne l'unissent-ils pas lorsqu'elle est séparée? Les na tions sont des partis. Tel homme vivant où il est né, a ses concitoyens loin de lui, et les étrangers à sa porte.

» Les nations se forment d'elles-mêmes, se Cens. Europ. Tom. II.

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détruisent d'elles-mêmes, se maintiennent d'ellesmêmes. La guerre et la diplomatie ont beau faire, ce qu'elles divisent reste uni, ce qu'elles unissent reste divisé : leur action ne change point les choses; elle trouble seulement, et pour un temps. La diplomatie opère, et les nations subsistent ; la diplomatie passera, et les nations resteront. »

Il n'y a donc de nation, selon M. Thierry que là où il y a des hommes unis dans un intérêt commun, organisés en vue de cet intérêt et agissant conformément à leur organisation. S'il en est ainsi, quels seront les peuples en Europe que nous pourrons considérer comme une nation? Quel sera l'état où nous trouverons la population ralliée autour d'un même intérêt et agissant dans des vues communes? Interrogez le premier ministre de tel pays de l'Europe que vous voudrez; demandez-lui quel est l'objet des dix, des vingt, des trente millions d'hommes qu'il administre ; demandez-lui si cette multitude a un intérêt commun, si elle est unie et agissante dans la vue de cet intérêt, si elle est une nation en un mot : qu'aura-t-il à vous répondre ?

Il y a eu plusieurs nations en Europe. Les Romains, depuis la fondation jusqu'à la chute de leur république, ont été certainement une nation. Leur objet, durant cet intervalle, n'a pas été un

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