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continué à se livrer à ce noble métier, lorsqu'ils eurent envahi les provinces qui avaient été déjà subjuguées par les Romains, les habitans, pour trouver auprès de certains d'entre eux quelque protection, consentirent à leur payer un tribut et à devenir les complices de leurs brigandages dans les guerres qu'ils se firent mutuellement. Il ré sulta de là une espèce de subordination qui soumit les hommes laborieux aux hommes oisifs et dévorans, et qui donna à ceux-ci les moyens d'exister sans rien produire, ou de vivre noblement.

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nom

Comme le gouvernement, connu sous le de féodal, était essentiellement militaire, on avait établi ou conservé divers grades qui donnaient à ceux qui en étaient revêtus des noms analogues à leurs fonctions. Le gouverneur d'une province, qui avait tout à la fois le commandement de l'armée et l'administration de la justice, se nommait duc, du mot latin dux, qui signifie chef. Les lieutenans du duc ou du chef, qui lui aidaient à rendre la justice et qui commandaient les troupes en son absence, se nommaient comtes, du mot latin comites, qui signifie compagnons.Les gouverneurs des frontières appelées marches, se nommaient marchis, dont nous avons fait marquis. Les capitaines qui

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commandaient les places fortes, moindres que les villes où résidaient les comtes, se nommaient chatelains. Ces diverses dénominations n'étaient que des titres d'office, et ne se donnaient que pour un temps; ceux qui en étaient revêtus étaient de simples administrateurs, comme sont aujourd'hui nos gouverneurs militaires, nos préfets ou nos sous-préfets. Par suite des progrès que fit le gouvernement féodal, le commandement des provinces, des frontières, des villes, des places fortes fut donné en propriété aux titulaires, sous la condition de rendre foi et hommage à leur chef, c'est-à-dire, sous la condition du service militaire; enfin ces titres devinrent héréditaires, et ceux qui en étaient revêtus furent les grands vassaux de la couronne.

en

Dans la suite on érigea des terres en duchés, en marquisats, en comtés, en baronnies châtellenics. Suivant les édits de Charles IX et de Henri III, la terre d'un duché devait produire huit mille écus de rente; le marquisat devait être composé de trois baronnies et de six .châtellenies unies, et tenues du Roi seul à hommage; le comté, de deux baronnies et de trois châtellenies, ou d'une baronnie et de six châtellenies, et la châtellenie devait avoir haute moyenne et basse justice, et autres droits honorifiques ou prééminences.

Il était naturel que les Francs qui étaient inca pables d'exister autrement qu'en dépouillant les hommes industrieux qu'ils avaient asservis, avilissent ceux d'entre eux qui se livreraient à des en¬ treprises industrielles. Celui qui abandonnait le métier de pillard pour devenir un homme industrieux, renonçait à l'état de barbarie, et passait dans l'état de civilisation; il abdiquait son titre de vainqueur pour se ranger dans la classe des vaincus; cela s'appelait déroger. On disait au contraire qu'un homme s'annoblissait, lorsqu'il sortait de la classe des hommes industrieux ou civilisés pour passer dans la classe des hommes oisifs et dévorans, dans la classe des barbares. (1) Une organisation sociale aussi vicieuse portait en elle-même le germe de sa destruction. Aussitôt que les hommes qui n'appartenaient pas à la caste dominante eurent trouvé le secret de créer des richesses par leur industrie, et que les nobles eurent perdu la puissance de s'en emparer autrement qu'en leur donnant en échange une valeur égale, les premiers habitués à l'ordre, au

(1) Les enfans nés d'un homme qui avait dérogé en exerçant une industrie, ne succédaient pas à la noblesse de leurs ancêtres; mais ceux d'un homme qui n'avait dérogé qu'en commettant des crimes, étaient nobles comme leurs

ayeux,

travail et à l'économie, s'accrurent continuellement, tandis que les seconds, ne sachant rien produire, et faisant consister leur gloire à beaucoup dévorer, tombèrent en peu de temps dans une décadence complète. Sous Louis XIII, la noblesse marchait escortée d'une multitude. de pages, de serviteurs, de gens armés; l'industrie se montra sous le règne de Louis XIV, et tout ce cortège disparut.

« Je venais de rechercher récemment l'histoire et les détails des états de 1614, dit M. Montlosier, lorsque je vis ouvrir ceux de 1789. Dans tous les deux figure un ordre de noblesse. Grand dien quelle différence! Quel lustre d'un côté et quelle pompe! De l'autre côté quel dénuement, quel délabrement! Là, tous les vestibules de la noblesse sont remplis de pages, de serviteurs, de gens de livrée armés. Un simple seigneur se trouve avoir un grand nombre de gentilshommes à cheval et à sa suite, Ici, le plus grand seigneur est sans pages, sans écuyer, sans gentilhomme de suite, sans un seul homme à cheval. Le plus grand seigneur a pour escorte un misérable laquais sans armes tout honteux des couleurs ou des habits de son maître.» (1)

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(1) De la Monarchie française, liv. 3, sect. 11, t. 1er.g p.297. A côté du tableau de la décadence de la noblesse,

En 1989, le gouvernement féodal était done anéanti én France. On y trouvait encore des

on pourrait placer le tableau des progrès de la partie industrieuse de la nation.

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Si l'on compare, pourrait-on dire, les hommes industrieux de 1614 à ceux de 1789, grand Dieu quelle différence! quelle misère et quel avilissement d'un côté! đẻ F'autre, quelle richesse et quellé magnificence! Là, on nê trouve que quelques pauvres artisans qui peuvent à peine gagner de quoi vivre; le plus riche fabricant se voit méprisé, et ne compte qu'un petit nombre de misérables ouvriers tout humiliés du métier qu'ils exercent. Ici, le plus simple manufacturier possède de riches ateliers, et est environné de la considération publique; des villes entières se peuplent, des chantiers se forment, les mers se couvrent de vaisseaux; les ports reçoivent les richesses des deux mondes, les campagnes sont mieux cultivées et plus peuplées, parce que les cultivateurs trouvent à en échanger les produits contre les produits que crée l'industrie, ou que leur apporte le commerce; un peuple nouveau plus laborieux, plus riche, plus puissant, plus éclairé et plus heureux que l'ancien, s'élève ainsi sur les dé bris du régime féodal. Tout cela peut bien nous consoler de la perte des pages, des varlets, des gens de livrée et de la ruine de quelques misérables gentilhommières. — Ce qui est arrivé en France, arrivera infailliblement dans tous les pays soumis au régime féodal; les seigneurs de ces pays n'ont pas d'autre d'éviter leur ruine, que d'abandonner la vie oisive des sauvages ou des barbares,

moyen

et de s'élever à la dignité d'hommes laborieur.

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