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ressées à la défendre? Est-ce le seul et unique moyen d'établir la liberté publique, lorsqu'il serait plus vrai de dire que c'est le seul et unique moyen de la conserver long-temps? Ne pourrait-on enfin trouver des hypothèses dans lesquelles, loin d'être un moyen utile à l'établissement de la liberté publique, ce ne serait qu'une occasion de danger pour elle?

Pour répondre avec plus d'exactitude aux questions que je viens de poser, qu'il me soit permis d'entrer dans des développemens de quelque étendue, et d'établir comment je conçois que la liberté de la presse s'applique d'une manière salutaire aux gouvernemens de la nature de celui qui nous régit; comment elle devient plus ou moins utile et nécessaire, comment enfin elle peut produire des dangers dans un instant donné: car, on ne peut disconvenir qu'il en est de la liberté de la presse comme des meilleures institutions parmi les hommes ; c'est-à-dire qu'elles ont leurs avantages et leurs dangers selon la nature des élémens sur lesquels elles sont destinées à agir, et selon les circonstances dans lesquelles on les applique.

Je disais plus haut que la liberté de la presse est la sauvegarde de la liberté publique ; je dirai maintenant que la liberté de la presse est la

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sauvegarde d'un bon gouvernement : car, en dernière analyse, la liberté publique ou de fait, ou de droit, n'est que le résultat d'un gouvernement affermi, d'un gouvernement fort et juste.

Dans une association qui se forme, son premier besoin, celui qui se fait ressentir avant tout autre, c'est le besoin de se donner des chefs qui la gouvernent dans le sens de son intérêt, des chefs investis d'assez d'autorité pour forcer chacun des associés à l'exécution du contrat qui la lie. Il en est de même pour une nation; son premier besoin, c'est d'avoir un gouvernement, un gouvernement assez puissant pour forcer chacun à obéir aux lois qui la constituent. A côté de cette vérité, il en est une autre : c'est qu'un gouvernement ne s'établit jamais d'une manière plus solide et plus stable que lorsqu'il suit invariablement, dans sa marche la direction qui résulte de la combinaison et des efforts des divers intérêts existans, intérêts dont toujours une partie tend à s'unir, tandis que les autres cherchent à se repousser et à s'exclure; qu'un gouvernement n'ayant de force que celle dont il dispose dans le sein de la nation, il n'est jamais plus puissant que lorsqu'il dispose de la majeure partie de ses forces, sur-tout lorsqu'il

les fait agir dans le sens de leur direction naturelle.

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Le premier besoin d'un gouvernement est done de pouvoir reconnaître avec exactitude cette direction qui résulte de l'union ou du choe des divers intérêts, et qu'on appelle intérêt général. : Dans l'enfance de la civilisation et à la nais sance des sociétés politiques, les intérêts sont simples, peu nombreux, faciles à distinguer; ib s'agit moins d'habileté pour les connaître, que: de sagesse pour les vouloir. Mais ces sociétés faisant chaque jour des progrès dans leur richesse et dans leur intelligence, chaque jour leurs intérêts se multiplient, se croisent, se compliquent; et dans ce dédale inextricable, l'attention la plus ferme et la plus soutenue ne saurait plus reconnaître la direction réelle de l'intérêt général.

Serait-ce à cette difficulté et à l'instinct social que serait due la naissance des gouvernemens représentatifs? Lorsqu'on ne savait plus reconnaître où était l'intérêt général, il fut natureł d'appeler tous les intérêts eux-mêmes pour le débattre et le déterminer. Dans les états qui se bornaient à l'enceinte d'une cité, tous les citoyens purent être réunis. Mais lorsque la population devint trop nombreuse et répandue sur un trop vaste territoire, on ne chercha pas à y

appeler les hommes, mais les intérêts seuls, en désignant pour représentans de l'intérêt de chacun d'eux, des citoyens naturellement placés pour le connaître, le sentir et le défendre.

Les délibérations de ces assemblées, et leurs déterminations, furent pour les gouvernemens une première indication. Mais ce moyen pouvait encore être incomplet et défectueux. Les vices du système électif, les chances de l'élection même, pouvaient ne pas laisser arriver dans ces assemblées tous les intérêts qui méritaient d'être entendus, ou ne les laisser arriver que dans une proportion insuffisante, pour obtenir l'influence qui leur appartenait. Il pouvait en résulter que, dans les délibérations, il y eût des intérêts méconnus ou sacrifiés. Quel était donc le remède au mal qu'on ne pouvait éviter? La liberté de la presse, cette liberté de la presse qui offre un moyen d'élever la voix à tout intérêt méconnu, à tout intérêt sacrifié, et qui lui donne la puissance de se faire entendre, et de l'opinion, sans tribune, et du gouvernement, sans avoir besoin. d'en approcher. La liberté de la presse est donc le véritable complément des institutions destinées à éclairer le gouvernement sur sa marche et sur sa direction. Cette liberté de la presse, que rien ne peut endormir ou corrompre, dont on ne

peut empêcher la voix d'arriver jusqu'à l'oreille. du monarque, par qui rien ne peut s'interposer entre l'intérêt qui a besoin de réclamer, et le tróne qui a un pareil besoin de l'entendre. Car cet intérêt général, qui n'est entièrement l'intérêt de personne, parce qu'il est l'intérêt de tous, cet intérêt général qui, sous ce rapport, n'est qu'une abstraction, ne devient une heureuse réalité que dans la personne d'un roi juste; c'est là qu'il se transforme en intérêt individuel, et qu'il est susceptible d'en acquérir l'énergie, parce que l'intérêt de tous, c'est l'intérêt individuel du roi et du roi seul. Si l'histoire offre l'exemple de rois qui s'égarèrent dans l'administration de leurs peuples, c'est qu'ils manquèrent à leur propre intérêt, et ils ne purent y manquer que parce qu'ils ne surent pas le reconnaître. C'est donc moins de barrières encore que de salutaires et véritables lumières dont les rois doivent être environnés. Les barrières ne sont que pour les agens du pouvoir qu'il délégue. Le monarque n'a besoin que d'éclairer sa volonté. Ainsi, et pour les rois et pour les nations, la liberté de la presse est une sage et précieuse institution.

Ce principe une fois reconnu, il ne s'agit plus. que de l'appliquer aux circonstances pour juger

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