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RELATIVE AUX ÉCRITS SAISIS.

la

Nous n'avons pas à considérer ici la liberté de presse sous le point de vue théorique. La question, sous ce rapport, a tout à fait cessé d'être litigieuse. On est universellement d'accord aujourd'hui que l'administration, dont la charge est de nous garantir à tous le libre exercice de nos facultés, ne saurait, avec raison, nous contester l'usage de la plus précieuse de toutes, celle de publier nos pensées. On reconnaît que cette faculté doit être non-seulement respectée, mais protégée on regarde qu'elle doit l'être à la fois pour la sûreté du public et pour celle de l'administration; enfin l'administration parle à cet égard comme le public, le ministère comme l'opposition : « Ainsi sera garantie, disait M. Decazes en présentant aux chambres le projet de loi qui va nous occuper, ainsi sera garantie et consolidée cette précieuse liberté de la presse, qui doit éclairer de son flambeau le gouvernement

:

et la nation. »

Il ne s'agit donc point de rechercher si nous

avons, dans le droit, la faculté de publier nos pensées ; il s'agit de savoir si nous en jouissons dans le fait ; il s'agit particulièrement d'examiner ce qu'a fait, pour nous en garantir l'usage, la loi relative aux écrits saisis. Pour nous former des idées précises à ce sujet, nous allons examiner successivement dans quel état cette loi avait trouvé les choses, et dans quel état elle les a laissées.

La loi du 21 octobre 1814 avait distingué trois sortes d'écrits; ceux de plus de vingt feuilles qui n'étaient soumis à aucune censure préalable; ceux de moins de vingt feuilles qui ne pouvaient paraître qu'après avoir été censurés, et les journaux et autres écrits périodiques qui étaient soumis à la censure, comme les ouvrages de moins de vingt feuilles, et qui, en outre, ne pouvaient d'abord s'établir et puis continuer à exister que par la permission du gouvernement.

L'ordonnance du 20 juillet 1815 changea cette législation; elle abolit généralement la censure; les journaux même durent cesser d'y être soumis; seulement cette ordonnance laissa subsister la disposition de la loi du 21 octobre, qui mettait l'existence des journaux à la discrétion de l'autorité. Dès ce moment donc, aucun écrit ne dut plus être censuré. Seulement, l'existence

des journaux et des autres ouvrages périodiques, resta à la merci de l'administration.

Le 8 août 1815, une ordonnance changea en un point cet état de choses. En même temps qu'elle retira à tous les journaux les autorisations qu'ils avaient reçues, et qu'elle les obligea à en prendre de nouvelles pour pouvoir continuer à paraître, elle créa une commission à l'examen de laquelle elle les soumit, c'est-à-dire qu'elle rétablit pour eux la censure préalable. C'est l'état où les choses se sont maintenues. Depuis, les journaux et tous les écrits périodiques ont été soumis à la censure, en même temps qu'exposés à la suppression; mais les écrits non périodiques, quels qu'ils fussent, sont restés affranchis de toute censure préalable.

Il s'en faut de beaucoup cependant que la presse ait été libre relativement à cette dernière sorte d'écrits. L'ordonnance du 20 juillet, en supprimant la censure, n'avait rien changé aux autres dispositions de la loi du 21 octobre; toutes celles relatives à la police de la presse restaient en vigueur, et ces dernières étaient telles que l'administration pouvait encore facilemeut empêcher la publication de toute espèce d'ouvrages.

D'abord, il ne pouvait y avoir d'imprimeurs que ceux autorisés par elle; elle pouvait enlever Cens. Europ.-TOм. II.

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leur état à ceux convaincus par jugement, d'avoir manqué aux lois, aux réglemens, et c'était elle qui faisait les réglemens : les imprimeurs étaient donc essentiellement sous sa dépendance. En second lieu, un imprimeur ne pouvait imprimer aucun écrit, sans l'avoir déclaré et avoir obtenu récépissé de sa déclaration ; il ne pouvait le mettre en vente ou le publier, d'une manière quelconque, sans en avoir remis un certain nombre d'exemplaires, et avoir obtenu récépissé de ce dépôt, et la loi ne disait point dans quel délai l'administration devait délivrer ces récépissés, ni même si elle était tenue de les délivrer.

Enfin, la loi lui permettait, dans trois cas, de faire saisir, même avant la publication, un ouvrage imprimé 1o. si l'imprimeur ne pouvait représenter ses récépissés de déclaration et de dépôt; 2°. s'il n'avait pas indiqué sur chaque exemplaire son vrai nom et sa vraie demeure; 3o. si elle voulait déférer l'ouvrage aux tribunaux pour son contenu; et en lui donnant la faculté de saisir, la loi ne l'obligeait à poursuivre l'auteur, ni à faire statuer sur la saisie, dans aucun délai.

Les dispositions de la loi du 21 octobre, après l'abolition de la censure, laissaient donc encore à l'administration les plus grands moyens d'empê

cher la publication des ouvrages qu'elle ne vous lait pas laisser paraître. La loi du 9 novembre 1815, sur les cris et les écrits séditieux, vint lui en offrir de nouveaux. Cette loi, en déclarant qu'un manuscrit pouvait donner lieu à des pour suites, aussitôt qu'il était livré à l'impression, lui permit implicitement de faire saisir les ouvrages même avant qu'ils ne fussent imprimés. Ajoutons que, par la manière tout à fait vague dont elle définit les écrits séditieux contre lesquels elle était dirigée, elle lui donna la facilité de déférer aux tribunaux, avec la presque certitude de les faire paraître criminels, et par suite d'en faire ordonner la suppression, les ouvrages souvent les moins répréhensibles. Les art. 1,5 et 9 de cette loi, déclaraient séditieux tout écrit dans lequel on aurait provoqué directement ou indirectement à renverser l'ordre établi ; tout écrit par lequel on aurait tenté d'affaiblir le respect du au Roi, excité à lui désobéir, quand les excitations n'auraient été qu'indirectes; tout écrit dans lequel on aurait donné à croire que certains délits devaient être commis, ou dans lequel on aurait annoncé faussement qu'ils l'avaient été.

Voilà les moyens que les dispositions conservées de la loi du 21 octobre 1814, et de la loi du 9 novembre 1815 donnaient à l'administration d'em

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