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dues, des comtes, des marquis; mais ces ducs n'avaient aucun commandement, ces comtes n'étaient les compagnons ou les suppléans de personne, ces marquis n'avaient aucun pouvoir militaire ou civil; en un mot, la hiérarchie féodale était détruite, il n'en restait plus que les dénominations et quelques redevances qui se ré duisaient à fort peu de chose. L'assemblée cons tituante, par ses décrets, effaça ces derniers restes d'un système que les progrès de la civilisation avaient insensiblement aboli. Le besoin de trouver auprès des grands une protection contre leurs propres brigandages avait rendu le peuple leur tributaire ; ce besoin ayant cessé, le peuple s'affranchit du tribut.

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Une nation ne peut plus fonder son existence sur l'asservissement et le pillage des autres nations; cette manière de vivre n'est pas dans les mœurs des peuples qui ont déjà fait quelques progrès dans la civilisation, et si quelqu'un ten→ tait de l'embrasser, sa tentative pourrait lui devenir funeste. Le monde, d'ailleurs, a des bornés, et s'il était possible de le soumettre, il faudrait bien rester en paix après l'avoir subjugué. Le gouvernement militaire des Romains ne peut donc plus être mis en usage. Dans les temps modernes, les soldats consomment beau

coup, et ne produisent rien, même pour le peuple qui les emploie : ce n'est donc point par leur influence qu'on peut accroître les moyens d'existance d'un peuple.

Si une nation ne peut point placer la source de ses revenus dans le pillage, elle ne peut pas la placer non plus, au moins d'une manière durable, dans l'oppression d'une classe de serfs ou de tributaires : les hommes laborieux de la plupart des nations d'Europe sont trop éclairés et trop forts pour être asservis par une caste particulière. La noblesse française s'est mal trouvée d'avoir voulu conserver une prééminence qui n'était plus dans la nature des choses (1); son exemple doit effrayer ceux qui seraient tentés de l'imiter. La hiérarchie féodale ne peut donc plus se rétablir ou se soutenir; la classe oisive et dévorante n'est ni assez éclairée, ni assez forte pour asservir la classe industrieuse; ce n'est plus elle qui peut se dire exclusivement le peuple.

Mais si aucun des peuples européens ne peut placer la principale source de ses revenus, ni dans le pillage des autres peuples, ni dans le tra

que

le faible com

(1) Il est contre la nature des choses mande au fort, que le pauvre précède le riche, que le sa

vant obéisse à l'ignorant, etc.

vail d'une classe de tributaires, comment pen vent-ils pourvoir à leur existence? comment peur vent-ils donner aux moyens qu'ils sont obligés d'employer toute l'énergie dont ils sont susceptibles? Les peuples pourvoient à leur existence par le travail de chaque individu sur les choses qué la nature a placées sous sa main : l'industrie agricole, l'industrie manufacturière et l'industrie commerciale sont donc les principales sources dans lesquelles ils puisent tous la satisfaction de leurs besoins les plus pressans. Ainsi, si l'on veut avoir une organisation sociale bienfaisante et durable, il faut la former de manière qu'elle donne à ces moyens d'existence toute l'énergie possible, et qu'elle protège tous les intérêts qui s'y rattachent (1).

. I

Ce qu'il ne faut jamais perdre de vue 'c'est

(1) Les hommes n'ont pas seulement des besoins phy siques à contenter, ils ont aussi des jouissances morales à satisfaire, et celles-ci sont sans contredit les plus douces, les plus pures, les plus durables. Mais quoiqu'elles tien nent le premier rang dans ce qui constitue le bonheur de l'homme, elles ne tiennent que le second dans ce qui perpétue son existence: on verra d'ailleurs que le travail le plus propre à satisfaire les besoins physiques de tous les hommes en général, est aussi le plus propre à leux procurer des jouissances morales.

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qu'un fonctionnaire public, en sa qualité de fonctionnaire, ne produit absolument rien; qu'il n'existe au contraire que sur les produits de la classe industrieuse, et qu'il ne peut rien consommer qui n'ait été enlevé aux producteurs. Cette vérité reconnue, il en résulte qu'un état dans lequel chacun tendrait à s'emparer des emplois publics, dans une autre vue que celle de favoriser la production en protégeant les proprié tés, ou en garantissant aux personnes l'exercice et le produit innocens de leurs facultés, serait un état essentiellement vicieux; un tel état tomberait promptement dans la misère, puisqu'il est impossible qu'on ne devienne pas misérable, Jorsque tout le monde tend à consommer et à ne rien produire. La première condition à remplir quand on veut faire prospérer un peuple, c'est donc de faire qu'il y ait plus de profit et plus d'honneur à créer soi-même des richesses, qu'à défendre celles qui ont été produites par d'au tres; c'est de constituer les fonctions publiques de manière qu'on se trouve plus heureux d'être citoyen que d'être magistrat, d'être protégé que

d'être protecteur.

L'homme qui cultive son champ ou qui travaille dans ses ateliers est plus estimable que le gendarme qui en écarte les voleurs, parce qu'il

est beaucoup plus nécessaire. On conçoit en effet qu'un peuple pourrait exister sans gendarmes; mais on ne conçoit pas comment il pourrait exister sans agriculteurs, sans hommes indust trieux. Ce que nous disons d'un gendarme, on peut le dire d'un soldat et d'un général, d'un commis et d'un préfet, d'un douanier et d'un directeur, d'un huissier et d'un président ; en un mot, de tous les hommes qui sont chargés de veiller à la sûreté de ceux qui fournissent aux besoins de tous, et sans lesquels aucun peuple ne saurait exister. (1)

Dans tous les états de l'Europe, on estime et l'on honore cependant beaucoup plus les hommes qui sont ou qui se disent chargés de veiller à la sûreté des membres de la société, que ceux aux moyens desquels la société existę; partout la considération attachée à chaque état ou à chaque profession, est presque toujours en raison inverse de son utilité. Tel homme croirait se dégrader s'il se livrait à une entreprise industrielle, qui eroit s'élever beaucoup en acquérant le droit

(1) On conçoit qu'il y a ici des proportions à garder, et qu'un fonctionnaire, dans une circonstance donnée, peut être plus utile à la prospérité nationale, qu'un homme qui s'applique immédiatement à la production.

A

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