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ils savent que, tandis qu'en France, le président d'une cour d'assises n'a été trop souvent, du moins sous l'ancien gouvernement, qu'un criminaliste qui tend des piéges à l'accusé, tout chef de justice en Angleterre est son conseil et

son meilleur ami.

Cependant, il faut le dire; depuis que l'abolition de la chambre étoilée et de la haute cour de commission, a rendu les délits qui résultent de l'imprimerie au cours de la justice ordinaire, l'étude de l'histoire et des précédens démontre, et plusieurs des premiers jurisconsultes de ce pays m'ont confirmé, qu'à peine s'était-il rencontré de loin en loin un juge impartial, quand la liberté de la presse s'est trouvée en jeu, peine peut-on citer quelques cas où les questions aient été posées de bonne foi aux jurés.

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Toutefois, la liberté de la presse existait. A quoi donc en était-on redevable? Je ne crains pas de le dire, uniquement à la publication des écrits, antérieure à l'intervention des tribunaux.

Qu'on juge avec quelle risée serait reçu dans ce pays de vérité, de pratique et d'expérience, un système qui fonde la liberté de la presse sur la permission de faire paraître un livre après qu'il a été déclaré innocent par un tribunal; sur un monopole d'imprimerie et de librairie, qui ré

sulte de la faculté réservée au gouvernement de donner et de retirer ses brevets (1); sur l'absence de toute publicité quelconque, puisqu'on est obligé de déposer et de déclarer un livre à temps pour que le ministère public puisse le saisir avant qu'il paraisse (2), puisqu'il est interdit aux feuilles publiques de faire aucune mention d'un livre qui n'ait pas été annoncé d'abord dans le journal de la librairie rédigé à la direction géné ́rale (3)?

Certes, en Angleterre, la chambre des communes est bien vigoureuse, la chambre des pairs bien puissante, les tribunaux bien indépendans, les systèmes politiques bien solides et bien affermis; cependant demandez à un anglais quelle est la garantie des institutions de son pays : il vous répondra sans hésiter que c'est la liberté de la presse; demandez-lui quelle est la garantie de la liberté de la presse, il vous répondra que c'est elle-même ; qu'il n'est point d'écrit patriotique, qu'il n'est point de pensée fière et indépendante dont on puisse confier le sort, l'apparition au

(1) Décret du 5 décembre 1810, tit. 2 et 4. Décret du 11 juillet 1812. Décret du 2 février 1811.

(2) Loi du 21 octobre 1814, art. 14.

(3) Décret du 14 octobre 1811.

grand jour à l'impartialité d'un homme, quelque sage qu'on le suppose, d'un corps de magistrats, quelque respecté qu'il puisse êtré ; en un mot, il vous dira qu'on peut bien renoncer à la liberté de la presse, et abdiquer l'empire de l'opinion, mais qu'on ne peut pas le déléguer.

Et si l'on voulait pénétrer plus avant dans la question, que de choses ne resterait-il pas à dire? Il faut se faire une idée bien imparfaite de la nature des délits dont la presse est l'instrument; il faut comprendre bien mal combien ces délits sont variés, souples, déliés, insaisissables à aucune définition, pour croire qu'il soit possible de les démêler par avance, et sans le secours de leur manifestation positive.

A qui n'a pas étudié cette branche de législation criminelle dans les pays où la liberté de la presse existe en réalité, on ne fera jamais concevoir combien le livre le plus outrageant, le plus injurieux, le plus provocateur, peut être indifférent, insignifiant en lui-même ; combien la nuánce d'idée la plus fugitive, le rapport le plus peut être répréhensible.

'délicat

Les modernes jurisconsultes anglais définissent dérisoirement le libelle, quelque chose qui, dans une occasion quelconque, déplaît à quelqu'un. Toujours est-il vrai que toutes leurs lois

sur la calomnie et la diffamation se réduisent à cet axiome de la loi commune: Quand un homme à souffert quelque perte ou quelque dommage par le tort d'un autre, il a droit à une action en réparation et en dommage. C'est de cette expression générique que la jurisprudence est partie pour déterminer les actions suivant les cas, en mettant toujours en œuvre le jury, seul instrument propre à saisir la pensée humaine, ce prothée indéfinissable sous tous ses déguisemens.

Là, rien n'est écrit, rien n'est de règle, tout est usage, précédent, analogie. Ce qu'on nomme the law of libell, n'est qu'une source immense de décisions, où l'intelligence du juge va puiser des lumières pour la conscience des citoyens ; et certes, on ne s'aviserait pas de leur soumettre des questions abstraites et isolées des faits, des accessoires et des circonstances.

On ne nous propose pas le jury, à nous; on n'oserait pas nous le proposer aujourd'hui; et en effet, ce serait un spectacle curieux, qu'un jury prononçant sur un délit à venir et éventuel.

Mais que fera notre tribunal de police, inhabile à descendre dans la question intentionnelle, étranger à toutes les allusions du moment, à l'entente des partis, aux relations de la haute société?

Sur quelles bases pourra-t-il asseoir son jugement? Ce qu'il fera, Messieurs! la chose est fort simple; il enveloppera tous les écrits qui lui seront déférés, dans une condamnation in globo, et, par ce moyen, il est bien sûr qu'aucun n'échappera.

Mais, me dira-t-on, vous voulez donc que le venin circule dans toutes les parties du corps social, et attendre sa dissolution pour y porter remède; vous voulez que le torrent emporte toutes les barrières, quand vous pouvez l'arrêter

à sa soucce ?

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Messieurs, j'admire autant qu'un autre les belles figures de rhétorique, mais je tâche de n'en pas être dupe. A quoi se réduisent ces grands dangers? Les délits de la presse, considérés en ce sens, ne sont pas des crimes, mais seulement des provocations aux crimes, et le plus souvent des provocations détournées ou interprétatives; lesécrits incendiaires n'allument jamais l'incendie du premier coup. Si vous considérez la loi pénale comme un moyen de répression suffisant, elle arrivera toujours à temps, sinon, dites-lemoi, qu'entendez-vous donc par liberté de la presse?

La question qui nous occupe se réduit à ceci : la liberté de la presse peut-elle subsister lorsque

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