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de diriger les mouvemens de trente ou quarante machines qu'on appelle des soldats, et en dévenant lui-même une machine semblable dans les mains d'un autre chef,; tel autre se eroirait des honoré pour la vie, si pour faire sa fortune il était obligé de passer deux heures par jour dans une boutique ou dans un magasin, qui se mor fond dans une antichambre pour y attendre un emploi qui lui donnera à peine de quoi vivre, et qui peut-être n'arrivera jamais. Croit-on que ce mépris pour les occupations utiles, et cette soifardente de grades militaires ou d'emplois civils soient produits par le desir de protéger les hommesind ustrieux contre les attaques de l'exté rieur ou de l'intérieur? Non, certes, personne n'a cette pensée. Lorsqu'on se jette ainsi vers de fausses routes, on n'a nulle idée de bien public: on se conduit comme des esclaves qui obéissent encore aux préjugés qui leur furent dictés par leurs anciens maîtres, ou l'on cherche à exister aux dépens du peuple, sans s'inquiéter si on lui rend par ses services l'équivalent de ce qu'on reçoit de lui.

Les barbares qui avaient envahi le midi de l'Europe, étant incapables de se livrer à aucun travail utile ne virent rien de plus noble que le pillage, ni de plus vil que les travaux indus

triels. Ce jugement, qui était une conséquence de leur ignorance et de leurs habitudes barbares, devint un préjugé pour les hommes mêmes qu'il avilissait; car tel est l'effet de la force et de l'habitude, quand elles sont long-temps soutenues, qu'elles nous font recevoir comme des vérités incontestables, les erreurs qui nous sont les plus funestes. Le système féodal ayant été détruit et les descendans des barbares ne pouvant plus exister du produit de leurs rapines ou des tributs levés sur les vaincus, ils conservèrent le monopole des places; et ils levèrent sur le public, sous le nom d'impôt, un nouveau tribut qu'ils se partagèrent.

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Lorsque la révolution française est arrivée, les travaux industriels étaient encore considérés comme avilissans, non-seulement par la caste nobiliaire, mais encore par la classe bourgeoise, et par les hommes mêmes qui se livraient à l'industrie. Les emplois improductifs étaient les plus recherchés ; et la France présentait le spectacle bizarre d'un peuple que ses besoins poussaient vers la civilisation, et que ses préjugés reportaient sans cesse vers la barbarie.

L'enfant dont le père avait créé une fortune par d'utiles travaux, se hâtait de rétrograder, et s'enrégimentait dans la classe des hommes oisifs. Cens. Europ. Tom. II.

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et dévorans; et s'il venait à se ruiner ses descendans se faisaient moines pour ne pas déroger (1). Alors, comme sous le régime féodal, il existait deux peuples en France; un peuple de domina-. teurs et un peuple de tributaires, ou un peuple d'employés et un peuple d'industrieux qu'on exploitait. Après que ceux-ci ont eu le dessus, ils n'ont songé qu'à prendre part à l'exploitation ; au lieu de réduire les emplois de manière qu'ils ne fussent plus qu'une charge exercée au profit des hommes utiles, ils en ont fait un métier auquel ils ont voulu que chacun eût le droit d'aspirer. La constitution de 1791 a considéré, en effet, comme un droit naturel et civil, l'admis sibilité aux places et aux emplois. C'est sous le même point de vue qu'elle a été considérée depuis ; et l'on peut dire qne la révolution fran

(1) Les professions de médecin, d'avocat, d'homme de lettres, n'ayant pas pu être soumises à un tribut par les seigneurs féodaux, n'ont point participé à la dégradation de toutes les autres; d'ailleurs, comme ces professions ne créent rien qui soit propre à être pillé, et que ceux qui les exercent paraissent vivre sans rien produire, elles rapprochent de la noblesse ceux qui les exercent; c'est ce qui fait qu'il y a encore une foule de gens qui jettent leurs enfans dans une carrière qui ne leur offre aucune ressource mais qui doit les faire vivre noblement.

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çaise n'a été qu'une guerre dont le but a été de savoir par qui les places seraient occupées, our pour mieux dire de savoir si la nation serait exploitée par des hommes de la caste nobiliaire, ou par des hommes sortis de la classe industrieuse. Les mêmes causes ont produit ou produiront les mêmes effets chez toutes les autres nations.

Puisque ce n'est point par les choses que produisent les militaires ou les fonctionnaires pu→ blics que les peuples existent, les uns ni les autres ne produisant rien, mais bien au contraire par les produits de l'agriculture, de l'industrie manufacturière et du commerce, le gouvernement doit être institué de manière à donner à ces moyens d'existence toute l'énergie qu'ils sont capables d'acquérir. Les hordes de sauvages qui s'organisent pour des expéditions de chasse, ou pour faire des excursions sur les terres de leurs voisins, se mettent sous la direction du chasseur le plus habile ou du guerrier le plus courageux. Les peuples barbares qui ne peuvent vivre que de pillages ou des tributs qu'ils imposent aux vaincus, s'organisent de la même manière : ils choisissent pour chef l'homme qu'ils croient le plus capable de les conduire à la guerre, se subordonnent ensuite les uns aux autres, de manière que chacun ait une importance et un

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rang proportionné à sa valeur militaire, et à la quantité de butin qu'il apporte à la communauté. Nous autres peuples prétendus civilisés nous ne sommes pas si habiles; nous ne pouvons exister que par l'agriculture, les arts, le commerce en un mot par les produits de nos travaux, et c'est aux qualités estimées par les barbares que nous donnons la prééminence. Nous ne savons honorer que ce qui tend au pillage ou à la destruction de nos richesses; les vertus guerrières et monachales, l'esprit de rapine et d'oisiveté.

Qu'aurait-on dit des Romains, si, ne pouvant subsister que par ils avaient pris pour

la

guerre,

chef des hommes industrieux et naturellement pacifiques; s'ils avaient formé un sénat d'agriculteurs, de manufacturiers, de commerçans ; s'ils avaient exalté la gloire de l'industrie et du commerce, et avili l'esprit militaire ? On aurait dit qu'ils étaient atteints de folie, ou qu'ils avaient résolu de mourir de faim. Mais que ne devraiton pas dire de peuples qui, n'ayant pas d'autres moyens d'existence que leurs travaux agricoles ou industriels, prendraient pour chefs des généraux ; qui exalteraient continuellement les habitudes militaires, et ne donneraient à leurs enfans que des hochets, des costumes et des livres

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