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le gouvernement est le maître de faire saisir les ouvrages au moment de leur publication. Je réponds, non; la chose est sans exemple; la théorie se soulève à une semblable proposition, et l'expérience dépose contre elle.

Je ne parle pas de l'Angleterre ; une pareille précaution serait reçue comme une moquerie. Je ne parle pas de l'Amérique ; elle n'y serait pas comprise. Mais la liberté de la presse existe en Suède sous une constitution moins régulière ; elle a existé en Hollande sous une aristocratie bourgeoise et républicaine; elle a existé en Prusse, sous le roi le plus absolu : la saisie provisoire des livres a toujours été inconnue; on s'est contenté de punir l'auteur.

Avec un semblable raisonnement, me dirat-on, vous iriez jusqu'à interdire la saisie des livres après même que l'auteur aurait été condamné. Je n'attache pas grande importance à cette extrémité; mais je dois dire que telle est la coutume en Angleterre ; le livre est laissé à l'auteur condamné, pour en faire ce que bon lui semble; seulement ceux qui le colportent, le distribuent et le vendent, sont passibles des peines portées par la loi.

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Il y a plus: lorsque l'information a été faite par permission de la cour du banc du roi, quelque part que le jury se rassemble, son verdict

doit être reporté à Londres, à la cour elle-même, en telle sorte qu'il peut s'écouler un intervalle assez long entre la condamnation de l'auteur et le prononcé du jugement. Pendant cet intervalle le livre circule et se vend. L'Angleterre est riche, heureuse et florissante ; et ce corps social, si souvent empoisonné, est le plus sain et le plus vigoureux de tous.

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J'ajoute que la saisie provisoire est nouvelle, même en France; depuis la déclaration des droits de 1790, jusqu'au fameux décret du 5 décembre 1810, dont nous recueillons encore les débris, il n'en a pas été question; depuis ce décret du 5 décembre jusqu'à la loi du 21 octobre 1814, la censure, pleine, entière, définitive, a été exercée ; le germe de cette saisie, déposé dans la portion permanente de la loi du 21 octobre, n'a pu se développer jusqu'à l'ordonnance du 21 juillet 1815, attendu la censure provisoire ; cette institution se présente donc à nous comme nouvelle, et n'ayant en sa faveur que l'opinion du ministre qui la met en avant.

Telles sont les considérations dans lesquelles est entré M. de Broglie. Ces considérations font assez voir l'insuffisance du recours ouvert par la loi qui nous occupe, contre la saisie des écrits, en entendant même cette loi dans le sens que lui a donné le ministre, et en supposant qu'il la

fera exécuter ainsi qu'il l'a interprétée. Les ouvrages saisis n'étant pas connus du public, au moment où commenceront les procès sur saisie, et l'opinion ne pouvant intervenir dans ces procès, soit pour éclairer les tribunaux, soit pour les soustraire à l'influence de l'administration, on sent que les auteurs auront peu de chances de succès dans leurs demandes en main-levée, surtout devant des juges, qui en partie ne sont pas encore institués, qui tous attendent leur avancement du gouvernement, comme l'a observé M. de Broglie, et qui pourront trouver dans les vagues dispositions de la loi sur les écrits séditieux les moyens de tout condamner.

Cependant, quelque imparfaite que soit la loi, on ne peut nier qu'elle ne soit une amélioration. Avant qu'elle ne parût, si des propriétaires d'écrits saisis, pour en obtenir la restitution ou le paiement, entreprenaient de poursuivre devant les tribunaux l'agent du gouvernement qui les leur avait enlevés, M. le procureur du roi n'avait qu'un mot à prononcer pour faire rejeter leur demande : « L'homme contre lequel vous réclamez, disait-il, a agi par ordre de l'administration; il est son agent; vous ne pouvez le. poursuivre sans son aveu ». Aujourd'hui, une pareille fin de non-recevoir ne sera plus opposée. Un auteur pourra réclamer contre la saisie de son livre;

M. le procureur du roi sera obligé d'entendre sa réclamation, et d'en discuter le mérite contradictoirement avec lui. Cette discussion aura lieu sous les yeux du public, et quoiqu'on lui dérobe soigneusement la connaissance du livre qui en sera l'objet, il pourra, par la discussion même, s'instruire jusqu'à un certain point de ce que ce livre renferme, et prendre parti dans la querelle avec une certaine connaissance de cause. Enfin, quoique les juges puissent trouver dans la loi sur les écrits séditieux les moyens de condamner les ouvrages les moins repréhensibles, cette loi présente un caractère qni permet de douter qu'on veuille long-temps en faire usage.

Ainsi, la loi nouvelle, malgré son insuffisance, offre évidemment quelques garanties à la liberté de la presse. Elle assure des juges aux auteurs; et il vaut encore mieux qu'ils courent le risque d'être condamnés, que si l'on pouvait se dispenser de les juger. Au reste, l'expérience montrera mieux que le raisonnement jusqu'à quel point elle est utile ou nuisible. Nous avons dit ce qu'elle est dans la théorie, nous ferons voir une autre fois, en rendant compte de quelques procès, ce qu'elle est dans la pratique, et comment on entend l'exécuter.

D.....R.

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» L'article 4 de la charte constitutionnelle porte textuellement, en parlant des Français : « Leur liberté individuelle est égalemeut garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que. dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu'elle prescrit.

>>Partant de ce principe, si aucune loi n'a organisé les conseils de discipline et les conseils supérieurs des légions de la garde nationale; si aucune loi n'a déterminé leur compétence et les peines qu'ils sont en droit d'infliger, il est de toute évidence que c'est illégalement qu'un in-* dividu est traduit devant ces conseils, poursuivi et emprisonné en vertu de leurs jugemens. Ceci, Messieurs, se rattache à la nécessité d'une loi sur la garde nationale. Je ne citerai pas pour preuve de cette nécessité l'exemple du royaume des Pays-Bas, qui naguères était réuni à la France, et où une loi a été solennellement délibérée par Cens. Europ. Toм. II.

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