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propres à former l'esprit guerrier, ou à leur faire mépriser les travaux utiles; qui abandonneraient eux-mêmes leurs occupations habituelles pour s'exercer à faire des demi-tours à droite et à gauche, et qui se croiraient des hommes fort importans, lorsqu'affublés d'un bonnet de crin ou de peau d'ours, et ornés d'une moustache postiche, ils auraient perdu leur journée dans un corps de garde, ou à faire des processions militaires sur les places ou dans les rues ?

La faim n'est pas toujours une mauvaise conseillère; si elle pousse quelquefois les individus à commettre des crimes, elle les oblige plus souvent encore à réfléchir sur leur conduite passée, et détruit des préjugés que les raisonnemens les plus solides n'auraient pu atteindre. La misère, qui assiége déjà tous les peuples d'Europe, leur inspirera de la méfiance pour les systèmes qu'ils ont suivis ; elle les engagera à les examiner avec plus de soin, et leur apprendra que s'ils veulent sortir de l'état de détresse où ils se trouvent, ils doivent, à l'exemple des peuples les plus ignorans et les plus grossiers, avoir une organisation sociale qui donne à leurs moyens d'existence, c'està-dire, à l'agriculture, aux arts, au commerce, toute la perfection dont ils sont susceptibles. Il y a peu d'années que cette idée eût été générale

ment repoussée, parce que la nécessité de la mettré en pratique eût été peu sentie, et qu'elle eût attaqué une multitude de préjugés ; aujourd'hui elle ne déplaira peut-être qu'à ceux qui, devant naturellement occuper les derniers rangs dans l'ordre social, veulent néanmoins se trouver aux premiers.

Lorsque les Romains voulaient choisir des sénateurs, ils les cherchaient parmi les hommes qui, dans leurs guerres, avaient apporté le plus de richesses à la république. De même, les peuples modernes qui veulent former un sénat, doivent en choisir les membres parmi les hommes qui augmentent le plus la richesse nationale; ils doiwent les choisir parmi les agriculteurs qui ont les terres les plus considérables et les mieux cultivées; parmi les fabricans qui ont les ateliers les plus nombreux et les plus florissans; parmi les négocians qui ont les magasins les plus vastes, les mieux fournis ; parmi les banquiers qui disposent des plus grands capitaux; enfin parmi ceux qui exercent le plus d'influence sur la prospérité publique. S'il s'agit de choisir un conseil inférieur, une chambre de représentans, par exemple, il faut suivre la même règle; il faut même la suivre pour tous les emplois publics, depuis le sénateur jusqu'au juge de paix ou au

maire de village. Il faut que, dans l'ordre social, les hommes les plus inutiles, ceux qui produi sent le moins ou qui ne vivent que sur les produits d'autrui, soient rejetés dans les derniers rangs, fussent-ils tous des barons ou des mar quis.

Mais quoi suffira-t-il qu'un homme se présente avec une grande fortune pour avoir droit de remplir les fonctions les plus éminentes ? Dans un état bien constitué, celui qui remplit des fonctions publiques n'exerce pas un droit, il remplit un devoir où une obligation, il protége les personnes et les propriétés. La question est donc mal posée: il faut demander s'il doit suffire de posséder des propriétés considérables pour être chargé de remplir des fonctions publiques élevées; la réponse devient facile. Ce n'est pas seulement à cause des propriétés qu'on possède qu'on doit exercer des magistratures; c'est aussi à cause des qualités ou des vértus que cette possession suppose. Celui qui cultive bien ses terres, qui économise une partie de ses revenus pour les rendre plus productives, prouve par cela même qu'il honore l'agriculture, qu'il saura la faire respecter et qu'il concourt de tout son pouvoir à augmenter la fortune publique. Celui qui, par son travail, crée des richesses et les emploie à des

entreprises industrielles, prouve également qu'il estime l'industrie, et qu'il saura la protéger. On peut en dire autant de celui qui se livre au commerce. Le travail et l'économie supposent d'ailleurs beaucoup d'autres vertus, et l'absence que l'oisiveté enfante.

des vices

c'est

Si donc un homme se présentait pour être élu à des fonctions publiques, et qu'il donnât pour preuve de son aptitude, des biens qu'il aurait usurpés soit dans les pillages de la guerre, soit en remplissant des emplois déshonorans, soit en malversant dans des fonctions précédemment remplies, on lui répondrait avec raison que ses richesses, bien loin d'être un titre d'admission, doivent être au contraire une cause d'exclusion; qu'il ne les a pas créées, mais déplacées ; et que mal prouver qu'on respectera et qu'on fera respecter les propriétés d'autrui, que de produire. des biens qui attestent qu'on les a constamment violées. Les richesses qu'on aurait gagnées au jeu seraient aussi une cause d'exclusion, plutôt qu'un titre d'admission; car le jeu déplace les richesses et ne les crée Ces richesses d'ailleurs ne peuvent jamais rien prouver pour celui qui les possède, tandis qu'elles prouvent presque toujours contre lui. Enfin il ne faudrait pas même admettre celui qui, possédant des terres considé

pas.

rables, les abandonnerait à des fermiers pour vivre oisif dans les grandes villes; dans ce cas, il faudrait plutôt admettre le fermier que le propriétaire, le premier étant un homme fort utile, et le second n'étant plus bon à rien qu'à être courtisan.

Et les vertus! et les talens! on les dédaignera donc s'ils ne marchent escortés de la fortune? A Dieu ne plaise! On doit au contraire les récompenser avec beaucoup de générosité; mais on doit s'abstenir de leur faire supporter aucune charge or, nous avons dit que les fonctions publiques ne devaient être que des charges imposées aux hommes les plus capables de les sou-. tenir. Si les emplois publics pouvaient être considérés comme des récompenses, ceux qui les exerceraient seraient fondés à les exercer à leur profit ; il faudrait donc qu'une nation se donnât à exploiter pour récompenser quelques hommes de talent ou de vertu: autant vaudrait n'en point avoir.

Quelles sont d'ailleurs les vertus dont on entend parler? sont-ce les vertus domestiques? mais quand un citoyen en a de semblables, c'est à sa femme et à ses enfans à l'en récompenser, et point du tout au public. Veut-on parler des vertus publiques? les peuples ne doivent en re

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