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l'agriculture, l'industrie, le commerce, disparaîtraient, et la prospérité publique s'accroîtrait dans tous les pays avec rapidité, parce que les gouvernemens ne seraient à craindre que pour les hommes oisifs ou dangereux, et que toute personne laborieuse serait assurée de trouver protection auprès d'eux. Supposons en effet une chambre de pairs ou un sénat composé des hommes que des richesses créées par leurs talens, des travaux agricoles considérables ou de grandes entreprises commerciales auraient rendu les plus remarquables dans l'état, chacun des membres qui le composeraient ne serait-il pas en réalité tout ce qu'il devrait être au jugement d'un écrivain célèbre ?

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» Ayant la conscience de son importance et de sa dignité, sa conduite dans le parlement ne serait dirigée que par le devoir constitutionnel d'un sénateur. Il se considérerait comme personnel

une partie de ce qu'ils ont enlevé aux autres. Un homme a une utilité absolue, lorsque le bien qu'il fait d'un côté, n'est pas détruit ou compensé par le mal qu'il fait de l'autre. Ce n'est que lorsque les hommes qui n'ont qu'une utilité relative seront tous considérés comme des brigands qu'on pourra dire que le monde est civilisé.

lement chargé de la garde des lois. Voulant soutenir les justes mesures du gouvernement, mais déterminé à surveiller la conduite du ministère, il saurait s'opposer à la violence des factions avec autant de fermeté qu'aux empiétemens de la prérogative. Il serait aussi incapable de trafiquer des places avec les ministres, pour lui ou 'pour les autres, que de descendre et de se mêler aux intrigues de l'opposition. Toutes les fois qu'il serait appelé par une question importante à émettre son opinion dans le parlement, il serait écouté, même par le plus indigne ministre, avec déférence et avec respect; son autorité suffirait pour rendre respectable ou pour discréditer les mesures du gouvernement. Le peuple tournerait ses regards vers lui, comme vers son protecteur, et le prince aurait dans son royaume un homme à l'intégrité et au jugement duquel il pourrait se confier avec sûreté. (1) »

Si la chambre des députés ou des représentans était composée de la même manière, et que, dans toutes les places de l'administration ou de l'ordre judiciaire, on trouvât des hommes d'un caractère semblable, on ne voit pas non-seulement comment les citoyens pourraient n'être pas

(1) Letters of Junius, letter 23.

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protégés, mais même comment ils pourraient être opprimés. Cette manie de gouverner qui se trouve jusques dans les hommes des dernières classes, quand ils ont en main leur petite part d'autorité, et qui de toutes les tyrannies est incontestablement la plus insupportable, parce qu'elle est la plus humiliante et la plus inutile, ferait place à des habitudes plus raisonnables. Si l'estime et la considération n'étaient attachées qu'aux travaux utiles, on ne perdrait pas son temps à faire perdre celui des autres par des vexations sans objet (1); on serait plus riche de tout le temps qu'on donne à des inutilités, et l'on n'aurait pas à payer des milliards à son gou

vernement.

Déjà nous avons eu occasion de faire remarquer que l'indépendance que chaque personne avait acquise en cherchant dans l'exercice de ses facultés des moyens d'existence, avait détruit les liaisons intimes qui formaient le patriotisme des anciens; et nous avons dit que l'isolément des individus était une des principales causes de l'oppression des peuples. Il ne faudrait pas tirer de cette observation la conséquence qu'il n'existe

(1) Pour avoir une idée de ceci, il faudrait être de la garde dite nationale de la ville de Paris.

Cens. Europ. - Tom. II.

plus de liens entre les hommes, et qu'il est impossible de les rattacher à un intérêt commun. Si la hiérarchie militaire des peuples sauvages on barbares n'existe plus, il s'en est formé une autre qui, pour être moins apparente, n'en est pas moins réelle. A mesure que les hommes de guerre qui environnaient jadis les seigneurs féodaux se sont éteints, les hommes adonnés à l'industrie se sont entourés d'un nombre d'ouvriers encore plus considérable. Un barbare qui voulait produire des richesses pour son pays, avait besoin d'une certaine capacité militaire, de ses armes et de quelques soldats bien déterminés; un homme eivilisé qui veut enrichir le sien, a besoin aussi d'une certaine capacité industrielle, de quelques capitaux et d'un grand nombre d'ouvriers laborieux. Tous les genres d'industrie produisent, comme l'industrie guerrière, une subordination entre les hommes qui y participent ; dans tous 2 il faut la réunion des efforts de plusieurs, pour obtenir de grands résultats ; et celui qui possède la plus grande capacité et les capitaux les plus considérables, est naturellement le chef de tous les autres, celui qui les fait exister (1).

(1) Cette différence dans la manière d'obtenir des richesses, a produit dans les mœurs des peuples des chan

En réunissant ainsi en un seul conseil les hommes qui se trouvent à la tête d'une multitude d'intérêts, et qui peuvent disposer de la force d'un

gemens très-considérables. Il faut à des hommes qui vivent de pillage ou de rapine, des qualités qui seraient inutiles à des hommes qui vivent du produit de leur travail. Les premiers ont besoin d'un grand courage militaire; les seconds ont besoin de patience et de sagacité. Les uns doivent toujours être disposés à sacrifier leur vie pour le salut de leurs concitoyens; les autres n'ont nul besoin de ce dévouement: ils enrichissent leur patrie à moins de frais et sans lui faire des ennemis. Le chef d'une troupe de guerriers est pour eux un homme trèsprécieux, parce que leur vie peut tenir à la sienne; le chef d'un certain nombre d'hommes industrieux leur est moins nécessaire, parce qu'il peut mourir sans que ses ateliers en souffrent. Celui-ci doit donc trouver des compagnons moins dévoués à sa personne que celui-là. Enfin les hommes qui vivent de proie n' n'étant pas toujours assurés d'en trouver, sont obligés de s'habituer aux privations les plus dures; il n'en est pas de même de ceux qui vivent d'un travail dont la production est constante et régulière. C'est pour n'avoir pas aperçu la cause de ces différences qu'on a fait tant de divagations sur la forme des gouvernemens. On a dit que dans les uns il fallait de la vertu , que dans les autres il n'en fallait point; qu'il fallait des préjugés dans ceux-ci, de la crainte dans ceux-là, et mille autres sottises pareilles qu'on répète encore tous les jours.

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