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grand nombre de personnes, on ne se borne pas à donner une grande énergie aux moyens d'existence des peuples; on détruit en outre l'isolement dont nous avons précédemment parlé, et l'on fait cesser la faiblesse qui en est la suite, faiblesse qui amène toujours l'oppression. Si tous les intérêts se trouvaient en effet réunis en un faisceau, on ne voit pas comment on pourrait blesser les droits d'un homme utile, sans que la vibration que le coup occasionnerait n'arrivât sur-le-champ jusqu'à la tête du corps social ; tandis que, dans l'état d'isolement où se trouvent tous les hommes, il n'en est aucun qu'on ne puisse impunément opprimer, parce qu'il n'en est pas un qui puisse trouver quelque part une voix qui reconnaisse

la sienne.

Enfin, si les états européens étaient ainsi constitués, si les hommes qui ne veulent pas obtenir d'autres richesses que celles qui sont le produit de leurs travaux, avaient seuls voix délibérative dans les conseils publics, on verrait disparaître d'Europe un des fléaux les plus funestes pour les peuples civilisés : les armées permanentes. Dans tous les pays, les soldats seraient traités comme les moines ont été déjà traités en France; les casernes, comme les couvens, deviendraient des ateliers propres à l'industrie, et la substance des

peuples ne servirait pas à alimenter les hommes qui les oppriment.

ce,

Les princes qui gouverneraient des états ainsi constitués, n'y trouveraient pas moins leur avantage que les peuples ; et le temps n'est pas loin où ils auront peut-être besoin de recourir à une organisation de cette nature, pour se mettre à l'abri des factions ou des mouvemeus populaires. Les gouvernemens ne peuvent en effet se maintenir et avoir de la durée, qu'en mettant de leur côté la forla richesse et les lumières, c'est-à-dire, en attachant à leur existence les hommes qui exercent sur la classe nombreuse la plus grande influence, qui ont à leur disposition les capitaux les plus considérables, et qui voient le mieux comment les choses doivent être pour que le peuple soit content et que le gouvernement n'ait rien à craindre de lui. Or, où trouvera-t-on ces hommes si ce n'est dans les classes que nous avons indiquées ; et comment les attachera-t-on au gouvernement, si on les exclut de toute participation aux affaires de l'état, et si on leur fait voir que les personnes les moins intéressées à la chose publique, sont précisément celles à qui l'on en. confie la direction?

Pour sentir de quelle importance il est pour in gouvernement de s'environner des hommes

qui ont le plus de part à la formation de la richesse nationale, il suffit de jeter un coup-d'œil sur ce qui s'est passé en France depuis le commencement de la révolution. L'assemblée constituante, composée d'avocats, de prêtres, de littérateurs, de gentilshommes, ayant besoin d'un appui contre les intrigues des courtisans, est obligée de le chercher dans l'opinion de la multitude. Le premier mouvement donné, les hommes qui possèdent l'art de flatter les passions populaires, s'emparént de la puissance tour-à-tour,. sans qu'il soit possible au gouvernement ou à la majorité des asssemblées de la ressaisir. Le prince est attaqué dans son palais au 10 août; il se réfugie dans le sein de l'assemblée législative; et cette assemblée qui paraissait toute puissante ne voit pas d'autre moyen de le sauver que de l'enfermer dans une maison de force. La convention nationale arrive; des démagogues s'emparent encore de la multitude; et après avoir inspiré la terreur à la majorité de l'assemblée ils font périr sur l'échafaud le prince et sa famille. Ils ne s'arrêtent pas là: ils attaquent successivement tous les hommes qu'ils supposent contraires à leurs desseins, et envoient au supplice tous ceux de leurs collègues qui leur déplaisent, sans que la populace y daigne seule

ment prendre garde. Plus tard, le directoire croit qu'il existe dans le sein des assemblées une conspiration qui tend à rétablir la royauté : il ordonne à la force armée de s'emparer des députés suspects, et les fait déporter sans le moindre obstacle. Bonaparte, simple général, arrivé d'Egypte, vient demander compte aux représentans du peuple de leur conduite, les chasse du lieu de leurs séances, et reste maître du gouvernement. Lcş assemblées prennent alors une autre direction ; jusques-là elles avaient été l'instrument de la dé magogie, dès ce moment elles deviennent l'ins trument du despotisme militaire ; elles accordent à Bonaparte tout ce qu'il demande. Il est battu par les armées de la coalition les mêmes assemblées prononcent sa déchéance et proclament les Bourbons. Bonaparte reparaît; les députés et les pairs qui l'avaient déchu après l'avoir si longtemps soutenu, veulent qu'on le repousse, mais personne ne reconnaît leur voix : le gouvernement est encore renversé. Comment ne pas reconnaître, après tant d'événemens, que ce n'est pas dans les hommes qu'on a choisis que résidé la puissance, et qu'il faut suivre un autre systême si l'on veut que le gouvernement se soutienne?

Lorsque la hiérarchie féodale a été détruite et

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qu'on a senti le besoin de reconstituer le gouvernement, il fallait rechercher quels étaient les intermédiaires naturels entre lui et les habitans des campagnes; entre lui et les ouvriers ou les artisans dont se compose la population des grandes villes. Si l'on avait fait cette recherche on n'aurait pas appelé aux assemblées des hommes de lettres, des avocats, des médecins, des prêtres, gens fort utiles sans doute, mais dont les peuples se passent le plus qu'ils peuvent, et qu'ils voient disparaître sans beaucoup de regret. Si les assemblées eussent été autrement composées, si l'on n'y avait vu que de riches cultivateurs, des manufacturiers considérables, des banquiers ou des négocians dont les relations auraient été fort étendues, le jacobinisme y aurait joué un assez mauvais rôle, et ne se serait pas répandu sur toute la surface de la France; l'insurrection du 10 août n'eut pas été facile à opérer; les ouvriers des faubourgs ne seraient pas venus intimer des ordres à la convention nationale; Robespierre, s'il avait en quelque pouvoir, y aurait regardé. à plus d'une fois avant d'envoyer ses collègues à l'échafaud; le directoire n'eut pas fait déporter une partie des représentans du peuple; Bonaparte, déserteur, ne serait pas venu demander compte aux assemblées nationales de leur con

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