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duite, et les chasser du lieu de leurs séances; il n'aurait pas ensuite, à l'aide d'un sénat et d'un corps législatif sans consistance, opprimé la France et ravagé la plus grande partie de l'Europe; enfin en 1815, il n'eût pas osé paraître sur le territoire français, parce que les craintes qui ont précipité vers lui une partie de la population, n'auraient point existé, et que le langage à l'aide duquel il a séduit une foule de gens sans lumières, eût été absurde.

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On a dit qu'une monarchie ne pouvait se soutenir, s'il n'existait pas entre le prince et le peuple une classe d'hommes intermédiaire : cette observation est juste ; on a tort seulement de l'appliquer exclusivement au gouvernement monarchique. Dans toute société, les hommes sont subordonnés les uns aux autres, bien moins par leurs institutions que par leurs besoins: partout on voit les faibles rechercher la protection des forts; les timides la protection des courageux, les inexpérimentés les lumières des sages, les pauvres les secours des riches. Tant que les lois ne dérangent pas la subordination qui résulte de la nature même des hommes ou des choses, l'ordre se maintient sans effort; mais si l'on veut substituer une subordination arbitraire à celle que la nature a établie ; si l'on veut soumettre un peuple guer

rier à des hommes laborieux et pacifiques; un peuple industrieux à des militaires ou à des hommes qui méprisent le travail; des philosophes à des prêtres, ou des prêtres à des philosophes, tout tombe dans le désordre, ou l'on ne maintient la tranquillité qu'à l'aide de la violence. Toute la difficulté consiste donc à savoir choisir les hommes qui, dans l'état où se trouve la civilisation, sont appelés à diriger les autres. Un peuple est-il obligé de chercher dans le pillage ses moyens d'existence? il se forme naturellement chez lui une aristocratie de talens militaires ; son sénat n'est qu'une assemblée de généraux. Ne peut-il exister qu'au moyen d'une classe de tributaires? ceux qui comptent le plus grand nombre de serfs dans leurs domaines doivent former l'aristocratie; son sénat ne doit admettre que des seigneurs féodaux. Enfin ne peut-il exister qu'au moyen de son agriculture, de ses manufactures, de son commerce ? il doit reconnaître seulement une aristocratie d'agriculteurs, de manufacturiers, de commerçans.

En France, nous avons commis à cet égard d'étranges bévues; persuadés qu'il fallait une classe intermédiaire , nous nous sommes imaginé qu'il dépendait de nous d'en créer les élémens; nous avons pris au hasard quelques hom

mes qui n'avaient presqu'aucun rapport avec la masse de la population, des médecins, des avo◄ cats, des gens de lettres, des mathématiciens,

des militaires; nous leur avons donné de fortes pensions sur l'état, et puis nous avons dit, voilà une aristocratie. Il fallait dire, voilà des pensionnaires. C'est en effet la seule qualité qu'on a remarquée en eux; la seule à laquelle ils ont eux-mêmes attaché quelque prix, celle pour laquelle ils ont tout sacrifié. Un sénat de gens pensionnés ne peut jamais être qu'un instrument dans les mains de celui qui le paie, favorable au despotisme, sous un despote, et à la démagogie sous un gouvernement démocratique. Il importe fort peu au peuple que les membres d'un tel sénat soient ou non opprimés ; il sait bien que, quand même on les ferait disparaître tous, on ne manquerait jamais d'hommes pour en former un nouveau sur le même plan. Une assemblée de pensionnaires est aussi faible pour protéger le peuple que pour soutenir le prince; ce n'est pas à elle qu'on est subordonné, c'est ellemême, au contraire, qui est subordonnée à ceux qui la paient. Nul ne se sent intéressé à la soutenir, si elle est attaquée; ni à obéir à ses ordres, si elle veut secourir le gouvernement. En un

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mot il n'existe entre elle et le peuple aucun lien naturel : elle n'a à sa disposition ni hommes, ni argent.

L'objet qu'on se proposait, au moins en ap

parence, en prenant pour sénateurs des hommes qui n'avaient qu'une fortune médiocre, et en leur assurant un salaire annuel, était, d'une part, d'appeler au sénat les hommes les plus éclairés et d'assurer, d'une autre part, leur indépendance. Le premier objet n'était point rempli; parce qu'en général les savans ou les érudits sont les gens les moins propres à bien gouverner, leurs

idées et leurs intérêts étant dirigés vers un genre de spéculations étrangères aux affaires de l'état. Le second objet était encore moins rempli que le premier; par la raison que les besoins d'un homme sont essentiellement variables, et que la richesse d'un individu consiste bien moins dans une quantité donnée de biens, que dans la proportion qui se trouve entre ses revenus et ses besoins. D'ailleurs, un grand corps politique, destiné à contenir en même temps le peuple dans la subordination, et le pouvoir dans les limitesqui lui sont tracées par les lois constitutionnelles, pas seulement besoin d'indépendance, il a aussi besoin de force, et l'on ne voit pas d'ou

n'a

pourraient tirer la leur des hommes qui ne peuvent disposer d'aucune richesse, et auxquels personne ne se trouve subordonné.

Lorsqu'un gouvernement n'a pas pour appui une aristocratie puissante par ses richesses et par de nombreuses clientelles, il est obligé de chercher sa sécurité dans la force militaire, et d'obtenir par la crainte une soumission qui devrait être le résultat d'une subordination naturelle. Pour avoir une force militaire, il faut enlever à l'industrie les hommes qui lui sont le plus utiles, et lui ravir ensuite une grande partie de ses produits, pour faire vivre les hommes qu'on lui a enlevés. Il faut donc inspirer la terreur aux citoyens, diminuer la quantité des produits nationaux, et accroître les consommations; et tout cela, afin de soutenir un système qui laisse le peuple et le gouvernement dans un état continuel de faiblesse et de crainte.

On peut agiter ici la question de savoir s'il est de l'intérêt public qu'il y ait dans l'état des fonctions qui se transmettent héréditairement de père en fils (1).

(1) Cette question n'est point applicable à la royauté. Nous avons examiné la question relative à l'hérédité du pouvoir royal, dans le Censeur, tom. 5, pag. 24 et sui

vantes.

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