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Sur l'état présent de l'Europe, sur les dangers de cet état, et sur les moyens d'en sortir.

Nous avons précédemment expliqué comment, dans le système de l'équilibre politique, l'Europe se trouvait constituée (1). Nous avons dit que, dans ce système, les puissances européennes étaient partagées en deux confédérations armées, de forces à peu près égales, et que l'objet prétendu de ce partage était, soit de les maintenir en paix, soit d'assurer leur mutuelle indépendance. Nous avons établi que cette organisation purement militaire, n'était propre à remplir ni l'un ni l'autre de ces objets; nous avons dit, qu'ayant sa source dans l'esprit guerrier, elle ne pouvait produire que la guerre, et que, par cela seul qu'elle tendait à perpétuer la guerre, elle mettait dans un péril continuel l'indépendance et la tranquillité de tous les états. Nous avons dit que les seuls moyens capables d'assurer aux

(1) V. tom. 1er., Du système de l'équilibre des puissances européennes.

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peuples la paix, et aux gouvernemens leur indépendance, c'était la destruction des erreurs et des passions favorables à la c'était la guerre, pagation des idées favorables à la paix; que les guerres générales ne pouvaient cesser en Europe que par les mêmes causes qu'y avaient cessé les guerres privées; qu'elles n'y cesseraient que lorsqu'il s'y serait élevé une Nation nouvelle à qui les guerres entre les souverains paraîtraient aussi odieuses, aussi intolérables que l'étaient autrefois aux sujets de ces souverains, les brigandages particuliers des seigneurs féodaux, et lorsque cette Nation aurait acquis assez de consistance et de force pour pouvoir comprimer, là où elles se manifesteraient, les passions favorables à la guerre. Enfin, nous avons dit que les idées propres à constituer une telle Nation existaient, que ces idées circulaient dans toute l'Europe, qu'elles ralliaient déjà la plupart des hommes éclairés de tous les pays, et qu'elles étaient plus ou moins senties par toute cette partie de la population européenne qui sollicite des réformes et l'établissement d'un bon système représentatif.

Il y a donc, au sein de l'Europe, un noyau déjà assez fort de cette Nation nouvelle, de cette Nation européenne, de cette Nation ennemie de

la guerre et du despotisme, dont l'élevation progressive doit, tout à la fois, affranchir et pacifier l'Europe. Voyons quelles ont été jusqu'ici les conséquences de ce fait.

La première qui nous frappe, c'est que, par le seul fait de l'existence de cette Nation et des accroissemens qu'elle a déjà pris, la constitution de l'Europe se trouve changée, que le système de l'équilibre est à peu près détruit, ou du moins que les bases de ce système sont déplacées, et que l'équilibre ne se fait plus, comme auparavant, d'une moitié des puissances à l'autre, mais d'une moitié de la population à l'autre, de l'ancien peuple au peuple nouveau, c'est-à-dire de la partie de la population européenne qui paraît vouloir maintenir encore l'arbitraire, l'esprit guerrier, le monopole, etc., à la partie de cette population qui demande la paix et la liberté.

Le système de l'équilibre tel qu'il était établi, l'équilibre de puissances à puissances, ne pouvait subsister qu'autant que l'ancien peuple exerçait sans contradiction un pouvoir absolu dans chaque état, qu'autant qu'il pouvait faire partager ses passions à la masse, et qu'il disposait pleinement de ses ressources. Lorsque la Nation dont nous nous occupons, la Nation des industrieux,.

a commencé à lui opposer des résistances dans l'intérieur de chaque état, son action au dehors a dû être moins grande, le système de l'équilibre a commencé à s'affaiblir; à mesure que cette Nation s'est développée et que les résistances se sont étendues, ce système s'est affaibli toujours davantage. Enfin, le moment est venu où cette Nation a été assez forte, a opposé d'assez grandes résistances, pour obliger les chefs du peuple ancien à renoncer à toute action des uns sur les autres, et à s'unir pour se défendre. C'est ce qui a eu lieu au commencement de la révolution française. On a vu alors, pour la première fois, les puissances européennes oublier leurs vieilles inimitiés; et au lieu de rester partagées en confédérations rivales, ne former plus qu'une confédération unique destinée à contenir les mouvemens de la Nation nouvelle, qui voulait élever ses intérêts au-dessus des passions de l'ancienne, et donner en Europe, à l'esprit de paix, d'industrie et de liberté, la prépondérance qu'y avaient eue jusqu'alors l'esprit de guerre, de monopole et de despotisme. Malheureusement cette Nation, égarée par de fausses doctrines, autant qu'aigrie par les résistances qu'on lui opposait, a perdu son objet de vue. Toute la partie qui dirigeait le mouvement s'est jetée hors de la route de la civilisation; elle s'est fait conquérante

et guerrière, et l'esprit qu'elle devait détruire a eu plus que jamais le dessus. Alors l'équilibre a recommencé à se faire, comme auparavant, de puissances à puissances; ç'a été une guerre de dominations nouvelles contre des dominations anciennes. Dans cette lutte, les dominations anciennes ont été long-temps battues; mais enfin, ayant appelé à leur aide la Nation des industrieux, les amis de la paix et de la liberté contre lesquels elles s'étaient d'abord liguées, elles ont obtenu le dessus, et les dominations nouvelles ont été détruites. Qu'est-il alors arrivé? C'est que la Nation des industrieux s'étant relevée plus nombreuse et plus forte que jamais, l'ancien peuple effrayé

de sa puissance, s'est partout uni pour lui ré

sister; de sorte qu'aujourd'hui, comme dans les premières années de la révolution, l'équilibre se fait toujours, non d'une partie des puissances à l'autre, mais de la Nation ancienne à la Nation nouvelle dont nous nous occupons.

Un autre effet de l'existence de cette dernière, c'est qu'en même temps qu'elle a porté les membres de l'autre à se réunir et à se confédérer, elle les a aussi excités à augmenter leurs forces, à les concentrer davantage, et que plus la Nation nouvelle a fait de progrès, plus l'autorité de l'ancienne s'est aggrandie. Nous avons

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