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les désarmer et de leur enlever ce qu'ils ont de violent et d'oppressif. Il ne faut pas perdre de vue que ses membres sont encore épars et en quelque sorte sans liaison, qu'ils ont peu de moyens de communiquer et de se défendre; en un mot, qu'elle n'est point orgarnisée tandis qu'en géné ral ses ennemis le sont. Cela lui donne un grand · désavantage et l'oblige à tenir une conduite extrêmement prudente.

Mais quelle doit être cette conduite? Par quels moyens la Nation des industrieux pourra-t-elle faire sortir l'Europe de l'état de crise où nous la voyons et la conduire sans secousses au but où elle aspire? Comment parviendra-t-elle à désarmer la barbarie, et à assurer le triomphe de la civilisation? Quelle doit être pour cela sa politique, soit dans chaque état et à l'égard de chaque gouvernement en particulier, soit en Europe en général, et à l'égard de tous les gouvernemens pris ensemble et considérés dans leurs relations extérieures ? Voyons d'abord quelle doit être sa conduite dans l'intérieur de chaque état.

Les nombreux et rapides bouleversemens qui se sont succédés en Europe, depuis un quart de siècle, y ont fait contracter à beaucoup d'esprits, particulièrement en France, où ces bouleversemens ont été plus fréquens et plus multipliés

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qu'ailleurs, une disposition bien dangereuse, celle de vouloir remédier par des révolutions aux maux qu'enfantent les mauvais gouvernemens. Aussitôt qu'un gouvernement trompe l'idée qu'on s'en était faite ou les espérances qu'il avait données, la première idée qui se présente à beaucoup de personnes, c'est celle de le renverser et d'en élever un autre à sa place; dès ce moment on n'a plus d'espoir que dans une révolution. Une tendance aussi aveugle ne doit pas être celle de la Nation des industrieux; elle ne pourrait en avoir de plus fatale à ses desseins, de plus contraire au but qu'elle veut atteindre.

Nous avons déjà fait remarquer ailleurs combien les changemens de gouvernement sont un moyen insuffisant de remédier aux maux que fait souffrir aux peuples une administration vieieuse (1). Nous croyons devoir revenir sur cette idée capitale, et faire voir qu'un tel remède n'est propre qu'à empirer le mal auquel on l'applique, qu'une révolution violente ne sert qu'à retarder les progrès de la liberté.

Une seule considération suffira pour faire sentir d'abord à la Nation des industrieux, combien

(1) V. tom. 1er., Considérations sur l'état moral de la nation française, etc.

les

seraient vaines pour l'objet qu'elle se propose, entreprises dirigées contre les gouvernemens; c'est que de pareilles entreprises n'ajouteraient rien à ses véritables forces, et que si elle n'en avait pas assez pour obliger le gouvernement existant à marcher dans une bonne direction, on ne voit pas comment, par elle-même, elle pourrait en avoir assez pour renverser ce gouvernement, en élever un meilleur et le retenir dans la bonne voie. Lorsqu'un bouleversement a eu lieu, il n'y a, par le fait de ce bouleversement, dans l'état où il s'est opéré, ni une idée, ni une vertu de plus. La Nation dont il s'agit n'y a donc absolument rien gagné; et si le nouveau gouvernement veut abuser du pouvoir, elle n'a pas plus de moyens pour l'empêcher qu'elle n'en avait pour obliger celui qui est tombé à en faire un bon usage.

Une révolution n'augmente donc point ses forces; nous ne disons pas assez, elle les diminue; car elle accroît celles de ses ennemis. Dans les temps de révolution le despotisme trouve toujours autour de lui une plus grande quantité de vices et de sottise à mettre en œuvre, et par conséquent de plus grands moyens de résister aux progrès de la civilisation. L'effet de toute révolution est d'attirer dans les routes du pouvoir une multitude de nouvelles recrues, et d'y at

tirer particulièrement des auxiliaires du despotisme. Quels sont, lorque les révolutions éclatent, les hommes qu'on voit accourir pour prendre part au mouvement? Sont-ce des agriculteurs, des commerçans, des manufacturiers, des industrieux éclairés et riches, des hommes véritablement intéressés à résister aux excès du pouvoir? Non, ce sont presque toujours des oisifs, des ambitieux, des hommes ayant une fortune à faire et appartenant par leur position à toute tyrannie qui voudra les enrichir. Voilà les hommes que les révolutions mettent en scène, les hommes qu'elles appellent autour du pouvoir : elles rapprochent toujours de lui une nouvelle masse d'instru

mens.

Ce n'est pas tout en même temps qu'elles mettent ces instrumens à sa portée, elles l'excitent à s'en servir, elles lui font prendre un essor et des développemens effrayans. Le despotisme se retrempe dans les guerres civiles, il s'y exerce à l'arbitraire et à la violence, il en sort toujours armé de nouveaux moyens d'oppression. Aussitôt qu'un gouvernement est attaqué, il se hâte de pourvoir à sa sûreté par des mesures extraordinaires, il se munit de nouveaux pouvoirs, s'entoure de nouvelles forces. S'il sort victorieux de l'assaut qui lui est livré, il retient dans sos

mains les armes qu'il avait saisies pour se dé→ fendre, et le péril n'est jamais assez loin pour qu'il consente à les poser. S'il est renversé, au contraire, celui qui s'élève à sa place retient les forces qu'il avait réunies pour l'abattre, et il ne se trouve jamais assez bien établi pour consentir à s'en passer; de sorte que, quelle que soit l'issue

de la lutte, le pouvoir qui en sort est toujours plus fort et plus oppressif que celui qu'on avait voulu détruire. C'est ce qu'il a été facile d'observer dans le cours des agitations de la France, à chaque bouleversement nouveau, le pouvoir faisait toujours de nouvelles conquêtes, et c'est à force de révolutions qu'il est parvenu à ce degré d'accroissement qui semble lui rendre impossible tout nouveau progrès.

Et ce n'est pas seulement là où elles éclatent que les révolutions tendent à renforcer le pouvoir; c'est, à la fois, partout où leur action se fait sentir. Une révolution qui éclaterait en Allemagne ferait prendre infailliblement en France de nouvelles mesures de sûreté. Une révolution qui éclaterait en France ne pourrait manquer de produire le même effet en Allemagne. Au point où en sont les choses, il est impossible qu'un gouvernement soit attaqué, sans qu'à l'instant même tous les autres ne prennent l'alarme et ne traCens. Europ. TOM. II.

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