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vaillent à accroître et à concentrer leurs moyens d'action. C'est ce qu'on a assez vu à l'occasion de la révolution française. Cette révolution a fait faire presque partout au pouvoir, des progrès pareils à ceux qu'il a faits en France. Elle a affaibli partout les garanties de la liberté : elle a fait suspendre, pendant sept ans, en Angleterre, les lois protectrices de la sûreté individuelle ; elle a mis dans les mains de plusieurs princes d'Allemagne assez de forces pour pouvoir renverser toutes les bornes imposées à leur autorité, et gouverner despotiquement leurs sujets; enfin elle a fait prendre au système militaire et financier de toutes les puissances de l'Europe, de si prodigieux accroissemens, qu'on ne sait comment la Nation des industrieux ne succombe pas sous le double faix des armées et des impôts qui pésent sur elle.

C'est sur tout par les résultats de la révolution du vingt mars, qu'on peut juger combien une révolution opérée dans un état peut, dans les autres, accroître les forces du pouvoir et diminuer celles de la liberté. Cette révolution a augmenté le matériel du despotisme, non-seulement en France, mais dans toute l'Europe. Tandis qu'en France elle a donné lieu à la création d'une armée nouvelle, imi-partie d'étrangers et

de français, à l'établissement de cours prévôtales, à la suspension des garanties constitutionnelles de la sûreté des personnes et de la liberté de la presse; en Angleterre elle a mis le ministère à même de s'entourer d'une force armée de cent cinquante mille hommes, de suspendre l'acte d'habeas corpus, de défendre les assemblées publiques, et d'annuller ainsi, en quelque sorte, le droit de pétition, en un mot, de renverser presque de fond en comble la constitution du pays; en Allemagne elle a donné une nouvelle consistance aux armées permanentes, elle a permis de retarder l'établissement de plusieurs constitutions particulières et celui de la confédération germanique, d'abolir les sociétés secrètes, d'éloigner des affaires publiques la plupart des hommes connus par leur attachement à la liberté, de supprimer plusieurs journaux populaires', d'entraver la circulation des idées libérales d'un état à un autre. Enfin elle a permis à la coalition de lever sur la France d'énormes contributions de guerre et d'y établir cette armée d'occupation qui pèse à la fois sur tous les hommes libres de l'Europe. Voilà les services qu'ont rendu au pou voir les révolutionnaires du vingt mars jamais hommes, il faut le dire, n'avaient mieux mérité du despotisme.

Et remarquez bien que l'entreprise de ces hommes ne pouvait avoir qu'une issue fatale à la liberté ; car, faites les suppositions les plus favorables à leur cause; supposez que Bonaparte eut été vainqueur à Waterloo; supposez, contre toute vraisemblance, que, dans une guerre qui n'était point nationale du côté de la France, qui l'était du côté de tous les autres peuples qui était faite sur-tout avec une incroyable ardeur de la part de toute la population de l'Allemagne; supposez, disons-nous, que dans une lutte aussi inégale, Bonaparte et ses partisans eussent obtenu d'assez grands avantages pour pouvoir remettre en question tout ce qui s'était fait à Paris et à Vienne; croyez-vous qu'alors la révolution du 20 mars eût pris une tournure plus favorable à la liberté? croyez-vous que, dans la nouvelle série de guerres qui se serait ouverte, les gouvernemens eussent manqué de prétextes pour augmenter leurs armées, pour aggraver le poids des impôts, pour accroître leurs pouvoirs, pour retarder l'établissement des constitutions promises, pour suspendre l'exécution des constitutions établies ?.... Ah! la révolution du 20 mars a eu des suites bien funestes à la liberté sans doute; mais combien elle aurait lui devenir plus fatale encore, si Bonaparte eût

pu

remporté des victoires, et que la prolongée !

que

guerre se fût

C'est donc une chose certaine que les révolutions, les révoltes, les séditions ne sont favorables qu'au pouvoir. En veut-on une dernière preuve ? nous dirons les mauvais gouvernemens les appelèrent souvent à leurs secours, que le despotisme les considéra toujours comme son extrême ressource. Une tyrannie nouvelle a-telle une grande peine à s'établir? Une vieille tyrannie se sent-elle fortement ébranlée ? Voici ce qui leur arrive de faire: elles vont au devant du péril qui les menace; elles excitent les peuples à l'insurrection : les hommes simples, les insensés donnent dans le piége; alors le pouvoir se montre, il saisit un grand nombre de coupables, il proscrit, ordonne des exécutions, prend des mesures de conservation extraordinaires, et le crime dans lequel il a entraîné une partie de ses sujets lui suffit souvent pour enchaîner le reste.. Au commencement de 1804, Bonaparte déjà consul à vie, méditait de s'élever à l'empire. Le pas lui semblait difficile et périlleux ; il craignait que l'opinion ne lui opposât de vives résistances: que fait-il? il essaie de l'enchaîner par la terreur ; il organise une grande conspiration. Il savait que le gouvernement anglais.

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avait à Paris des agens chargés d'attenter à sa personne. Il conçoit l'idée d'étendre ce complot, de le rendre commun à beaucoup d'hommes, afin de lui donner plus d'éclat et d'en tirer plus de forces. En conséquence, il attire en France et à Paris, par la promesse de rétablir les Bourbons, un très-grand nombre d'émigrés marquans restés à l'étranger. Ces hommes s'aperçoivent bientôt qu'ils sont joués; quelques-uns alors entrent dans le complot de Georges; Pichegru qui est à leur tête tente d'y entraîner Moreau. Quand les choses paraissent assez avancées, le consul commence. à les faire ébruiter par sa police; bientôt après il fait sonner l'alarme; un rapport de son ministre de la justice informe la France qu'il se trame une affreuse conspiration contre l'état et contre son chef. Moreau, Pichegru, Georges et un grand nombre de ses complices, sont 'arrêtés avec éclat. Pichegru est étranglé dans son cachot; le duc d'Enghien, saisi en pays étranger comme prévenu d'avoir dirigé le mouvement, est assassiné dans le donjon de Vincennes ; le procès de Georges et de Moreau commence avec un appareil effrayant ; et au milieu de l'effroi que causent ces scènes, le scélérat qui les a préparées se fait déclarer empereur.

Vers la fin de 1812, après la retraite de

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