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ans, je soigne sa femme et ses enfants; je sais que son ménage ne bat que d'une aile), vient me demander d'accoucher sa maîtresse, j'accepte. Au moment de régler les honoraires, M. X... refuse prétendant que c'est mademoiselle X. qui doit me payer. Il est bon de dire qu'il s'est brouillé avec sa maîtresse, qui me paraît insolvable.

Que dois-je faire ? Qu'ai-je le droit de faire ?
Veuillez agréer, etc.

Avant de donner à notre confrère le conseil pratique dont il a besoin, je demande la permission de résumer la question telle qu'elle a été posée une première fois à la Société de médecine légale de France alors présidée par M. Brouardel.

Notre intérêt personnel peut nous tromper et nous pousser à produire des réclamations dans lesquelles le secret professionnel serait compromis. Ainsi, une femme séparée de fait de son mari devient enceinte, un médecin pratique l'accouchement, elle refuse de payer les honoraires, ce médecin peut-il poursuivre sa débitrice devant les tribunaux ? Sans nous arrêter à des considérations judiciaires, nous répondons : évidemment non, si cette poursuite doit avoir pour conséquence de révéler que cette femme a commis un adultère et rend ainsi public un fait qui peut servir de base à une action contre elle.

Cette question a été portée dans la discussion qui a suivi un rapport de M. Hémar à la Société de médecine légale. M. le Dr Houzelot soumit à ses collègues le cas suivant :

« Dans une réunion où se trouvaient les médecins les plus honorables et les plus éclairés, surtout les plus aptes à juger les questions de déontologie professionnelle, un confrère étranger consultait l'assemblée dans les circonstances suivantes :

« Il avait traité avec succès une dame affectée d'atrésie vaginale qui rendait impossibles les rapports conjugaux ; à force de temps et de soins, la malade guérit complètement. Se basant à la fois sur le service rendu, sur les circonstances et les difficultés de la cure, le médecin portait ses honoraires à 1,000 francs; on lui offrait 250 francs; peu soucieux d'une action judiciaire à intenter, il voulait toutefois au préalable avoir l'avis de confrères méritant sa confiance, et savoir d'eux si, le cas échéant d'un procès, il lui serait licite de faire connaître la nature de la maladie, qui pourtant n'avait rien de spécifique ? devait-il faire le procès ?

« Sans s'arrêter aux diverses considérations que soulevait la question, l'assemblée, consultée, fit répondre qu'il ferait bien d'accepter les honoraires offerts, que cela serait digne et conforme à l'honorabilité professionnelle, quelque légitime d'ailleurs que pût être la réclamation. »

Je repousse cet argument. D'abord, dans l'immense majorité des cas, le médecin n'est pas obligé de dire quelles maladies il a soignées; il a fait tant de visites, donné tant de consultations,

le tribunal ne demande pas d'autres détails. Si le médecin, pour justifier des honoraires exceptionnellement élevés, est obligé de dire qu'il y a eu un accouchement, une fracture, une luxation, une thoracentèse, la révélation de la maladie n'a habituellement rien qui puisse éveiller une susceptibilité quelconque.

Ce que je dis seulement, c'est que si la révélation doit porter sur un acte coupable imputable à votre malade, et s'il est porté à la notoriété par votre réclamation, ou même si elle dénonce une affection dont la connaissance aiguise les langues malicieuses de l'endroit, votre silence doit être absolu. Vous devez renoncer à ce bénéfice, bien que légitimement acquis.

Il y a lieu de remarquer, d'ailleurs, que ces cas sont exceptionnels, que votre malade a plus intérêt que vous à ce que le secret soit absolu, que s'il peut réellement payer il s'empressera de le faire; vous n'auriez guère à poursuivre que ceux qui ne peuvent pas payer; quel est le médecin qui l'a jamais fait ?

Prétendre qu'en acceptant notre interprétation, le médecin renonce à l'action en payement de ses honoraires, c'est avancer un argument qui n'aura que bien rarement occasion d'être justifié.

Il est certain d'ailleurs que si la réclamation révélait la volonté de nuire, les tribunaux trouveraient dans cette intention manifeste un motif légitime à l'aggravation de la peine encourue par le médecin.

M. Hémar, à qui nous empruntons le passage suivant, le dit expressément :

« La légitimité d'une demande ne justifie pas les excès dont elle est accompagnée; aussi les détails scandaleux ou déshonorants donnés sans nécessité dans les écritures, peuvent rendre la révélation délictueuse en manifestant le motif qui l'a inspirée.

« Telle était notre ancienne jurisprudence. M. Trébuchet cite un arrêt du Parlement de Paris du 25 septembre 1600 et une sentence du bailliage criminel d'Évreux du 14 août 1747, confirmée par arrêt du Parlement de Rouen du 8 novembre suivant qui interdit pour six ans et condamne à 10 livres d'amende un chirurgien d'Évreux qui, dans une demande d'honoraires, signifiée par huissier, avait mentionné l'affection scorbutique dont il avait traité un chanoine.

« Des excès de ce genre ont été réprimés par le tribunal correctionnel de la Seine, dans une circonstance qu'il importe de rappeler pour préciser les distinctions que nous venons d'établir.

« Le sieur Halbrand, médecin, se prétendant créancier du sieur N... d'une note d'honoraires s'élevant à 300 fr., le fit citer par acte extrajudiciaire en conciliation, et remit entre les mains de l'huissier une note ainsi conçue :

<«< Doit M. N... la somme de 300 fr., soit pour visites et soins « donnés à sa belle-mère dans une maladie, soit pour consulta

tions, opérations et soins donnés à sa femme affectée d'une ma« ladie vénérienne qui lui avait été communiquée par son mari, soit « pour consultations à heure fixe, operations, cautérisations de « chancres de mauvaise nature, ulcères vénériens, rhagades, choux« fleurs, pratiquées sur lui-même et l'avoir traité et guéri de deux « maladies syphilitiques graves contractées à des époques différentes « dans le courant des années 1862 et 1863. »

« L'huissier, dans la citation, reproduisit les énonciations essentielles de cette note, dont il atténua cependant les parties les plus compromettantes.

« Le sieur N... cita Halbrand en police correctionnelle.

« Le 11 mars 1864, le tribunal de la Seine (6e chambre) condamna le prévenu à une année d'emprisonnement, 500 fr. d'amende, 5 ans de surveillance et 1,000 fr. de dommages-intérêts envers la partie civile.

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Appel-arrêt du 14 avril 1864 qui confirme avec adoption pure et simple des motifs. Halbrand se pourvut en cassation et se désista ensuite. »

MM. Chaudé et Hémar admettent que, sans qu'il y ait violation du secret médical. le médecin peut, dans les cas où il serait néces saire d'éclairer les magistrats sur la nature, le cours, la durée des maladies, confier ces détails à l'avocat qu'il a choisi. Celui-ci est, comme le médecin, astreint au secret professionnel, c'est sur lui que pèserait la responsabilité pénale ou disciplinaire de la divulgation.

Même en agissant ainsi, on risque de ne pouvoir justifier la nature des soins donnés.

Si l'avocat du médecin est mis au courant de la situation, il doit éclairer le juge; dans ce cas, l'avocat de la partie adverse doit avoir communication du fameux secret qui devient alors celui de Polichinelle.

Mais revenons à la question pratique et supposons le cas du Dr Catuffe et celui de notre correspondant. On est appelé par un monsieur marié à soigner une maîtresse pour ses couches. Les soins sont donnés et le monsieur refuse de payer les honoraires. J'ai consulté à ce sujet un jurisconsulte expérimenté qui a bien. voulu me donner la marche à suivre.

Le client réfractaire sera appelé en justice. La citation ne contiendra pas la nature des soins donnés et sera libellée :

.....

Attendu que le requérant est créancier de M. X........ d'une somme de........ à lui due pour honoraires médicaux ainsi qu'il en sera justifié en cas de déni......

Cette formule de citation ne viole en rien le secret professionnel, mais elle est déjà assez explicite pour donner à réfléchir au client réfractaire qui cherchera probablement à s'arranger à l'amiable avec son créancier.

Dans le cas contraire, l'affaire suit son cours; il faut constituer

avoué et se munir d'un avocat. Celui-ci est mis au courant de la situation et peut en parler à l'avoué et à l'avocat de la partie adverse sans que le secret professionnel ait été violé, puisque ceux-ci y sont également astreints.

Il y a donc déjà bien des chances pour qu'un arrangement amiable intervienne.

Mais supposons qu'on arrive devant le tribunal. Celui-ci peut très bien condamner le débiteur sans qu'on ait publiquement fait connaître la nature des soins donnés.

L'avocat peut, du reste, faire une petite confidence au président, sans nuire à la partie adverse, puisque l'avocat de celle-ci a été également mis au courant des faits.

L'essentiel est de ne pas écrire à des tiers, comme l'a fait M. Catuffe, et de ne pas faire figurer la nature des soins sur la citation, comme l'a fait le Dr Halbrand qui a été justement condamné.

Mais il y a encore une autre précaution qui est de droit commun. Il faut pouvoir fournir la preuve que les soins donnés à la demoiselle X... l'ont été sur la demande du client réfractaire. Celui-ci pourrait très bien nier la créance en disant qu'il n'a jamais demandé les soins qui font l'objet de la contestation. A défaut d'une lettre, la présence de M. X. au moment de l'accouchement, le fait d'être allé requérir le médecin à son domicile peuvent être considérés par le tribunal comme des preuves suffisantes.

LES DIFFICULTÉS DE LA PROFESSION.
L'ASSOCIATION MUTUELLE (1).

Par le Dr PLATEAU.

Depuis longtemps déjà les divers journaux de médecine, les sociétés médicales, les syndicats médicaux qui se créent et prospèrent dans toute la France, sont l'écho retentissant de plaintes nombreuses, oh combien nombreuses et lugubres, touchant l'exercice de la Profession médicale.

Le but que je me propose n'est pas d'étaler à vos yeux les causes multiples et diverses des difficultés sans cesse croissantes qui rendent de plus en plus pénible, dure, peu rémunératrice, notre existence de praticien.

Il est permis de dire, cependant, que dans un certain sens, le corps médical est peu fondé à exhaler légitimement ses plaintes : je veux dire qu'on pourrait incriminer, entre autres causes, celles dont la pathogénie et l'étiologie lui sont imputables, comme, par exemple, cet abus déplorable de la vulgarisation à outrance des choses de la Médecine! Et ce ne sont pas les moindres d'entre nous qui sont les moins coupables, leur voix, plus autorisée à

(1) Communication faite à la Société de l'Elysée, séance du 2 décembre 1895.

cause de leur situation officielle, portant plus haut et plus loin. Articles dans les journaux politiques, sur le diagnostic et le traitement des maladies de saison, ou à la mode; comptes-rendus, mis à la portée des « gens du monde », des communications faites par les Grands Maîtres (à leur insu, évidemment, peut-être même malgré eux dans les grandes sociétés médicales! Création de cours nombreux pour « femmes savantes » de France, françaises, secouristes, etc.; cours pour masseurs et masseuses, infirmiers et infirmières, avec diplômes! pour les bicyclistes, pour les gardes du Bois de Boulogne! etc., etc.

Le but des fondateurs et des professeurs de ces diverses Sociétés est certainement louable. Nos honorables confrères sont mus par un sentiment très élevé et parfaitement désintéressé, qui est de rendre le maximum de services à l'humanité souffrante, de multiplier les moyens de secours et les mettre à la portée de tous, sans mesurer leurs fatigues et leurs peines. C'est une mauvaise plaisanterie, trop souvent répétée, et dont il convient de faire justice, que d'insinuer qu'ils pourraient même songer à l'avantage possible d'une notoriété, quelquefois passagère, d'ailleurs, ou d'une distinction honorifique quelconque.

Nul doute, d'ailleurs, que les professeurs ne s'efforcent de faire comprendre à leurs auditrices et auditeurs que ces quelques notions d'hygiène et de soins pratiques (qu'ils leur ont inculquées à grand'peine, tellement les choses qui sont du ressort de la médecine exigent, pour être comprises et assimilées, une longue et solide éducation antérieure). ne les ont en aucune façon transformés en médecins, desquels ils doivent rester, toujours et absolument, les très humbles et très obéissants auxiliaires.

Malheureusement tant il est vrai que les meilleures intentions peuvent nous trahir et nous conduire bien au delà, ou à côté du but fixé ces cours n'ont guère d'autre résultat que d'introduire dans des cervelles, en général de capacité intellectuelle plutôt inférieure, des notions extrêmement vagues et brouillées, insuffisamment assimilées, d'Anatomie et de Pathologie, édulcorées et expurgées, ce qui suffit néanmoins pour faire de tous ces pseudo-savants la peste de la profession! Tout ce monde-là se croit médecin, donne des conseils à tort et à travers, critique les ordonnances du médecin traitant de la famille ou des amis, et pour un peu le remplacerait avec l'aplomb qui caractérise l'ignorance prétentieuse qui croit savoir!

Et alors, où est le temps, que peut-être ont pu connaître encore quelques-uns d'entre nous, du client, du père de famille qui n'aurait jamais osé ingérer ou administrer une purge ou une cuillerée de Sirop Pectoral sans l'assentiment de son médecin !

Aujourd'hui son journal nous remplace (grâce à nous, chers confrères): tout le monde sait (croit savoir) ce qu'il faut faire, au moins dans les commencements, pour les petites indispositions! D'où dimi

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