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Car il n'y a pas qu'à Londres où l'on pratique la traite des blanches. Nos faits divers sont pleins de révélations susceptibles de riva liser avec celles de la Pall Mall Gazette. Paris possède ses professeurs de dépravation et ses maisons ignobles. Des femmes se livrent à l'odieux commerce des fillettes et rencontrent la complaisance de clients abominables. L'autorité qui marcherait à l'assaut de la Bastille du vice entrainerait tous les bons citoyens du pays qui, en somme, sont heureusement la majorité.

Voici en effet qu'une nouvelle circulaire, venant rappeler de précédentes instructions depuis longtemps ensevelies sous la poussière des cartons verts administratifs, enjoint à MM. les commissaires de police de faire appréhender au corps, et incarcérer à Saint-Lago, fisez Saint-Lazare, toute jeunesse non encore arrivée à la majorité, qui se sera laissée surprendre à l'entrée ou à la sortie d'un hôtel meublé.

Ces complaisantes maisons où un sommier criard et un sopha éventré constituent, avec une toilette boîtense et des rideaux craseux, un Eden à prix réduit pour temporaires amours, sont formellement interdites aux demoiselles mineures. Les puces et les punaises qui, généralement, garnissent surtout ces garnis frémissent d'horreur à la pensée de la solitude profonde dans laquelle va les plonger désormais la surveillance policière.

C'est que l'édit administratif ne plaisante pas et les pontifes de ces sanctuaires y regarderont à deux fois avant d'ouvrir leurs portes, sachant qu'ils seront, dorénavant, poursuivis en vertu de l'article 324 du Code pénal, à l'égal des trop jeunes personnes auxquelles ils auraient imprudemment concédé, pour quelques instants, une illicite jouissance de leurs locaux.

J'imagine, d'autre part, que le fruit vert étant désormais fruit défendu, l'imprudent qui y aura mordu ne sortira pas non plus indemne de cette aventure. Contrairement à ce qui se passa pour le père Adam qui fut mis dehors par l'ange à l'épée flamboyante, c'est dedans que sera mis le séducteur ou supposé tel par le commissaire.

L'intention de l'honorable magistrat est évidemment des meilleures. Son moyen ne la vaut pas.

Selon sa prescription, toute fille mineure qui sera surprise entrant accompagnée dans un hôtel meublé, ou en sortant, sera arrêtée pour racolage et écrouée à la prison Saint-Lazare.

C'est aller trop loin -'c'est s'exposer à de terribles déconvenues, c'est semer l'imprudence pour récolter le malheur.

Les agents des mœurs ont donné maintes preuves de leur inqualifiable légèreté ou de leur dangereuse maladresse. Ils sont très impopulaires dans toutes les sphères de la société. On se souvient des arrestations arbitraires d'artistes, de femmes du monde, d'ouvrières, traînées au poste comme des gueuses, n'emportant de plates et insuffisantes excuses qu'après avoir essuyé d'innommables offenses. Je me demande et bien des ennemis de la prostitution se demanderont avec moi - comment de très honnêtes jeunes filles vont faire pour eviter les rigueurs de la nouvelle ordonnance.

Il est entendu que l'hôtel garni est un foyer de démoralisation. Mais des travailleurs probes, mais des vierges pauvres y demeurent... Est-ce que la « Sûreté » pourra, sans autre forme de procès, prendre par la taille l'apprentie qui revient de son atelier donnant le bras à son frère et la pousser au violon... jusqu'à plus ample in

formé ?

Dans ce cas, j'ai bien peur que le métier d'agent des mœurs ne devienne un tantinet périlleux. Il y a des frères de couturières et de modistes qui prennent assez mal la plaisanterie...

La circulaire ne se borne cependant pas à ces excès. Elle déclare en outre qu'après une enquête, par les soins du commissaire de police. du quartier, la mineure arrêtée dans les conditions qui précèdent sera confrontée avec le propriétaire de l'hôtel et qu'après cette opération celui-ci sera poursuivi, en vertu de l'article 34 du Code pénal, pour excitation de mineures à la débauche.

On ne peut assurément qu'applaudir aux excellentes intentions qui ont dicté cette circulaire protectrice des bonnes mœurs. Mais une difficulté, et non des moindres, se présente. Qui se chargera d'établir l'âge exact d'une pécheresse qui aura pris un passant à l'hameçon de ses accroche-cours, et qui pourra dire si elle est ou n'est pas mineure? Un monsieur sollicité par une jeune houri de venir boire avec elle à la coupe de toutes les voluptés, devra-t-il lui demander tout d'abord la production de son état civil, et d'une carte d'identité ? Voilà qui serait véritablement peu galant ! Et le maître d'hôtel ? devra-t-il, lui aussi, faire subir aux nouveaux arrivants un interrogatoire pour savoir si madame est majeure ou simplement émancipée.

A la rigueur, on peut connaître l'âge d'un cheval ou d'un caniche en lui regardant les dents. Mais aucun signe extérieur ne peut, que je sache, donner une idée exacte du nombre de printemps que compte une jouvencelle. Aussi, dans la crainte de se mettre quelque mauvaise affaire sur les bras, les coureurs de ruelles et les chercheurs d'aventures faciles vont-ils se rabattre sur la femme qui n'en est plus au printemps de la vie. Celle dont la poitrine proéminente et les hanches rebondies seront une garantie absolue de tranquillité pour le preneur. La femme mûre va être très demandée pendant quelques mois et, chaque jour, tout ce que Paris contient de marmites ayant beaucoup vu le feu, tous les rossignols, défraîchis du bas clergé de Vénus chanteront en choeur des hymnes reconnaissants à M. Lépine et à ses agents.

Tant mieux pour les femmes mûres; mais j'ai grand'peur que la nouvelle circulaire soit sans effet sur la prostitution clandestine et qu'elle n'aille bientôt rejoindre dans les cartons poussiéreux de l'administration ses innombrables devancières. Ce n'est pas avec de la littérature qu'on réforme les mœurs; on peut tout au plus, par une police bien faite, empêcher le scandale de la rue. Quant à ce qui se passe discrètement dans les hôtels meublés l'hygiène et la santé publique doivent s'en désintéresser. Dans tous les temps le vice a été libre ; demandons-lui seulement de se cacher.

LA PHOTOGRAPHIE DES CORPS OPAQUES
APPLICATIONS MÉDICO-LÉGALES.

La photographie des corps opaques prendra certainement une place importante en médecine légale pour la recherche des projectiles, pour la constatation de certaines lésions aussi bien sur le vivant que sur le cadavre.

Nos lecteurs ont déjà trouvé dans la presse médicale et politique la technique de la photographie par les rayons de Roentgen. Depuis cette époque les procédés se sont perfectionnés, la photographie des corps opaques a donné les intéressants résultats qu'elle promettait. Il est donc utile de revenir sur la technique et d'en indiquer les détails pratiques. La figure que nous donnons représente une des façons les plus simples d'obtenir l'image radiographie.

Le tube de Crookes est en T avec support P permettant son déplacement en tous sens. La figure 121 indique une forme très convenable du tube T; il est actionné par le courant induit d'une bobine de Ruhmkorff B. Une bonnette mobile (non indiquée sur la figure) permet d'interposer un diaphragme entre le tube T et le sujet a photographier, ainsi que l'a proposé M. le Professeur A. Imbert, de la Faculté de Médecine de Montpellier. La plaque photographique est placée à l'intérieur du châssis C fermé hermétiquement par une feuille d'aluminium. La surface sensible de la plaque photographique doit être placée en dessus, vers le tube de Crookes.

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La figure 1 est celle de l'ensemble permettant de réaliser une des plus belles expériences du Professeur Roentgen. La main du sujet placée sur la feuille d'aluminium du châssis C reçoit les rayons X du tube de Crookes T. L'expérience se fait en plein jour. Suivant le sujet à photographier et la puissance de la bobine de Ruhmkorff, il faut une durée de 10 à 30 minutes de pose, la distance entre le tube T et le sujet variant elle-même entre 10 et 20 c/m.

Les rayons X traversent donc la main et la plaque d'aluminium

avant d'atteindre la plaque sensible qui se trouve dans le châssis C.

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Il y a avantage à interrompre, dans le tube de Crookes T, le courant induit de la bobine de Ruhmkorff pendant la pose. Exemple: 4 minutes de pose, 1 minute d'arrêt, et ainsi de suite. On évite ainsi de chauffer et de fatiguer le tube de Crookes. Pour cette raison employer le trembleur de Neef et non un trembleur rapide. Le trembleur à mercure de Foucault, des grandes bobines, convient bien à cause de sa lenteur. Cette observation a été faite par M. Perrin, préparateur à l'École normale supérieure. Le pôle du courant induit de la bobine de Ruhmkorff doit être placé à la partie supérieure du tube de Crookes, comme dans la fig. 1. Dans ces conditions l'extrémité opposée de ce tube, près de l'anode (+), doit être bien fluorescente (verte); dans le cas contraire inverser le courant inducteur au moyen du commutateur-inverseur de la bobine. En inclinant le tube sur son support P on dirige cette fluorescence vers le sujet à photographier. Un aimant peut agir sur les rayons de Crookes pour déplacer la direction de cette surface fluorescente. Les tubes de Crookes d'un petit volume n'ont pas de durée : ils passent rapidement au vide de Hittorff et ils ne donnent plus la fluorescence et par suite de radiographie. On peut diminuer cet inconvénient en chauffant progressivement le tube aux environ de 200°.

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Le professeur S. Thompson a proposé récemment de remplacer le tube de Crookes par le tube dit focus (fig. 2.) Il ressemble à celui de Crookes sauf que la lame en platine M, est inclinée à environ 40° sur l'axe du faisceau. Les rayons cathodiques partent du miroir sphérique M (-) en aluminium et viennent frapper la lame inclinée M (+) en un point où ils se concentrent. C'est à cet endroit que les rayons X prendraient naissance d'après M. J. Perrin. Ces rayons, émanant presque d'un point, donnent des ombres radiographiques d'une grande nettete, même à une petite distance du tube. Suivant la figure ci-dessus, les rayons qui sortent en X sont dirigés vers le corps placé sur le châssis photographique C de la figure 121. Le dispositif de cette figure reste le même.

Les temps de pose avec les tubes focus sont considérablement diminués, mais la durée de ces tubes est moins grande que celle que donne l'ampoule T de la fig. 121. Aussi est-il préférable de maintenir l'emploi de cette ampoule pour les expériences qui n'exigent pas une grande rapidité. (Revue de Polytechnique médicale, juin 1896.) G. LEVY.

UNE PEINTURE MURALE DE POMPÉI

La Blessure d'Enée

Parmi les peintures murales découvertes à Pompéi et conservées au musée de Naples, il en est une qui présente quelque intérêt au point de vue de la chirurgie rétrospective.

Elle a été trouvée dans le triclinium d'une maison voisine des Thermes de Stabies.

Elle semble avoir été inspirée par un épisode emprunté au livre de l'Eneide de Virgile.

Dans le dernier combat entre les Troyens et les Rutules, sous les murs de Laurente, Enée fut blessé par un trait lancé du camp ennemi.

Le héros est représenté debout, s'appuyant de la main droite sur sa longue lance, le bras gauche sur l'épaule de son fils Iule, tout en larmes, et qui s'essuie les yeux. La jambe gauche porte à elle seule presque tout le poids du corps, la droite où est la blessure est abandonnée au chirurgien.

Une telle position n'est guère compatible avec la gravité du traumatisme, ni avec celle de l'intervention. La faute n'en est pas à l'artiste, qui s'est contenté de traduire fidèlement Virgile en peinture. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un héros, d'un fils de Vénus, dont les forces ne sauraient d'être comparées à celles des humbles mortels.

L'expression du visage est celle de l'abattement mêlé d'une secrète fureur. Enée souffre, il sent ses forces l'abandonner; mais la colère le soutient encore, et son œil suit de loin les péripéties du combat où il brùle de se précipiter. Malgré bien des imperfections, on sent que le peintre s'est efforcé d'exprimer cette lutte intérieure.

Dans le fond, deux Troyens de fière allure, Mnesthée et Acate sans doute, lance en main, bouclier au bras, casque sur la tête, retournent au combat.

A gauche, le chirurgien Iapix, drapé dans une longue robe, suivant la mode antique des adeptes d'Apollon, mis un genou en terre pour être à meilleure portée du champ d'opération. Après avoir palpe la blessure de ses mains expérimentées, il a saisi le trait entre ses doigts, mais en vain.

Alors il a recours aux instruments de sa profession, une forte pince« qui mord le fer ».

nous

Une place à part semble devoir être réservée à ce médecin consciencieux et humble en dehors de la foule tapageuse des devins guérisseurs, chirurgiens ordinaires des héros blessés. Iapix, dit Virgile, s'est interdit les pratiques de l'art divinatoire, où Apollon garantissait son succès, se condamnant ainsi à l'obscurité, peutêtre à la misère, car la connaissance des simples rapportait moins de gloire et de profits que la connaissance de l'avenir. Ce portrait simple et honnête contient peut-être une satire contre ceux qui, faisant l'office de médecins, se disaient inspirés d'en haut, afin de pallier leur ignorance.

Le peintre nous montre Iapix à ce moment de l'opération. La figure est grave et réfléchie, comme l'a esquissée Virgile. Patiemment, avec douceur et persévérance, le chirurgien emploie toutes les ressources de son art.

La blessure est large, sanglante; elle siège Virgile ne le dit pas, mais l'artiste choisit la place où plus tard Enée trappera son ennemi Turnus - à la face interne de la cuisse droite, à mi-hauteur de celle-ci. Heureusement, elle empiète sur la région antérieure, laissant en arrière les gros troncs vasculaires et nerveux. Aussi l'hémorrhagie, pour abondante qu'elle est, ne sera pas mortelle. Il faut mobiliser avec précaution le fer dans la plaie, pour éviter de plus graves désordres.

C'est pour le saisir plus solidement et le déplacer plus délicatement que Iapix se sert d'une pince.

Cet instrument a son intérêt. Il est en effet une reproduction

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