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LA SUFFOCATION; QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES,

Par M. le Professeur BROUardel.

(Suite et fin, voir le n° précédent.)

-Lorsque des nou

Enfouissement dans un espace confiné. veau-nés sont en état de mort apparente, il peut arriver qu'on les place dans un espace confiné, tel qu'une boîte, une malle ou un tiroir de commode, pendant qu'on s'occupe de la mère. Ils estent un certain temps et ils meurent. sy

Tardieu rapporte l'histoire d'une sage-femme arrivant à la mairie pour déclarer la naissance d'un enfant mort-né qu'elle apportait dans un panier. Au moment où elle ouvre son panier, l'enfant crie et l'officier de l'état civil lui dit : « Mais il n'est pas mort, il crie ! »

Tardieu estime qu'un enfant peut vivre environ une heure dans une caisse, si cette caisse contient trois fois son volume d'air. Il est possible que ce temps soit plus long, rappelez-vous les expé riences de Harvey.

J'ai eu à faire une enquête dans les conditions suivantes : Un enfant de huit à neuf ans disparaît. Son père s'était remarié et la belle-mère, qui ne passait pas dans le quartier pour être très tendre pour son beau-fils, fut accusée de l'avoir fait disparaître. Au bout de six jours de recherches, on retrouva le cadavre du petit garçon blotti dans une malle. Alors on se demanda comment il avait pu être enfermé dans celte malle, s'il s'y était placé luimême ou s'il y avait été placé par une autre personne. L'enquête se continua, et l'on apprit que le jour de sa disparition cet enfant avait joué à cache-cache avec ses camarades. Ceux-ci ne s'étonnèrent pas de ce qu'il n'avait pas reparu, ils pensèrent qu'il s'était retiré du jeu.

Nous avions fait sauter le pène du couvercle de la malle : une fois le corps retiré, il fut impossible de la refermer. On a dit alors : « Quelqu'un a donc fermé cette malle quand l'enfant s'y était blotti? »

Le cadavre était en putréfaction; le bois avait joué sous l'influence de l'humidité ; il a suffi que cette malle fût placée, à la Morgue, dans un lieu sec, pour qu'elle se refermât très bien au bout de quelques jours.

On peut aussi mourir, en espace confiné, dans les bains de vapeur. Nous avons fait cinq ou six expertises médico-légales à la suite d'affaires de ce genre. On avait autrefois l'habitude, dans

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ces bains, de laisser la clef qui règle l'arrivée de la vapeur à la disposition des clients; ceux-ci tournaient parfois cette clef, comme ils auraient tourné le robinet d'eau chaude d'une baignoire pour réchauffer leur bain. Puis ils ne parvenaient plus à fermer ces robinets, et on les trouvait morts dans les petits cabi. nets où se prennent ces bains.

Deux facteurs sont ici en jeu : l'extrême chaleur peut suffire pour amener la mort, et d'un autre côté l'air est sursaturé par une énorme quantité de vapeur d'eau. Dans un bain de vapeur du faubourg Saint-Denis, nous avons constaté que, dans la petite pièce où un accident de ce genre s'était produit, la température était montée à 80 degrés en dix minutes.

Les individus qui succombent ainsi ne meurent pas brûlés, ils ne sont pas cuits. On les a toujours trouvés étendus par terre; tous portaient des brûlures du deuxième ou du troisième degré, disposées en traînées le long du corps et terminées par une petite brûlure circulaire en forme de goutte. Il semblerait que des gouttes d'un liquide bouillant, tombant de leur tête, aient coulé le long de leur corps; cette explication serait plausible si ces individus étaient morts debout mais ils meurent couchés, et je ne puis vous expliquer l'origine et le mécanisme de ces brûlu

res.

Compression des parois thoraciques. Vous entendrez très communément accuser des nourrices d'avoir étouffé un enfant, qu'elles ont placé dans leur lit, soit avec un oreiller, soit avec le bras, soit même avec le sein en lui donnant à téter.

On a également accusé des chats d'avoir étouffé de petits enfants en se couchant sur leur poitrine.

Je vous l'ai déjà dit: un grand nombre d'enfants de trois à quatre mois, quand ils prennent une bronchite capillaire, meurent dans le premier accès de suffocation; ils n'ont jamais toussé auparavant, circonstance que ne manquent pas de faire valoir les parents ou les voisins qui accusent une nourrice ou une fillemère d'avoir étouffé son nourrisson.

Lorsqu'un enfant a deux ou trois ans, il résiste plus longtemps, et s'il succombe, il meurt après avoir eu déjà trois ou quatre accès suffocants. Tout le monde, dans son entourage, sait qu'il est malade.

Que trouvons-nous à l'autopsie? Un peu de spume dans les bronches, comme dans les suffocations criminelles : mais dans celles-ci la spume est formée par des mucosités fluides. Dans le catarrhe suffocant, au contraire, nous trouvons du

muco-pus qu'on fait saillir sur une coupe du poumon serré dans les doigts, sous forme de petites chandelles; cette constatation seule vous permet de dire que l'enfant a succombé au catarrhe suffocant de la bronchite capillaire, et non pas à la suite d'une tentative criminelle.

Nous avons, en étudiant la mort des adultes par compression des parois thoraciques, affaire à deux mécanismes bien distincts:

En effet, un adulte peut mourir suffoqué dans les mêmes conditions que dans l'inhibition; seulement, au lieu d'être tué par un coup sur le larynx, il succombe à un coup sur la région épigastrique. Tous ceux d'entre vous qui ont été au lycée connaissent le coup de tête dans l'estomac, fort en honneur dans certains jeux. Les personnes qui fréquentent les bals publics de bas étage. le connaissent également. Lorsqu'un bourgeois s'est aventuré dans un de ces bals, il est parfois suivi, à la sortie, par des gens sans aveu qui, à un moment, lui donnent un coup de genou ou de tête dans l'estomac et le volent. L'effet de ce coup de tête est d'annihiler les moyens de défense de la personne attaquée, elle suffoque pendant quelques instants, et ce court espace de temps. suffit pour accomplir le vol. Mais il arrive aussi que l'individu ainsi attaqué tombe et meurt, par inhibition.

Dans des cas de ce genre, le médecin légiste ne trouve aucune trace de violence, pas d'ecchymose, pas de suffusion sanguine dans les parois de l'abdomen. Cela se conçoit, car au moment où le coup est reçu, la paroi de l'abdomen est lâche, elle n'est pas appuyée sur un plan résistant.

Lorsque le coup a été porté dans la poitrine, au lieu d'intéresser le creux de l'estomac, il peut y avoir quelques complications au point de vue médico-légal.

Nous en trouvons un exemple dans Tardieu.

Moi-même j'ai été commis dans deux affaires de ce genre, dont l'une était un peu embarrassante. Il s'agissait d'un gardien de la paix qui, reconnaissant un malfaiteur dans la rue, veut l'arrêter. Celui-ci donne un coup du bout de sa canne, au niveau du troisième ou du quatrième espace intercostal gauche. Le gardien de la paix tombe et meurt. Il avait une ecchymose à peine apparente de la largeur d'une pièce de 50 centimes. Mais, à l'autopsie, nous constatons qu'il avait une pleurésie à droite.

Cet homme avait-il succombé à une mort subite à la suite du coup reçu, ou à une mort subite occasionnée par sa pleurésie ? Il ne m'a pas été possible de me prononcer nettement; il y avait

là une complication qui obligeait le médecin légiste à laisser la question en suspens.

Du reste, les complications sont l'écueil de la médecine légale. Dans ces leçons, je vous présente les faits tels qu'ils doivent évoluer normalement ; je vous en donne un schéma pour ainsi dire. Mais dans la réalité, les choses ne se passent pas toujours aussi simplement.

LES FRACTURES DU LARYNX; A PROPOS DE L'AFFAIRE CAUVIN.

M. Icard appelle l'attention dans le Lyon Médical sur quelques incidents médico-légaux relatifs à l'affaire Cauvin.

« Dans les récents débats qui viennent d'avoir lieu devant la Cour d'assises du Rhône et qui se sont terminés par l'acquittement de L. Cauvin, il s'est produit un petit incident médical sur lequel nous arrêterons l'attention de nos lecteurs.

En décembre 1891 Mme veuve Mouttet, âgée de 82 ans, avait été étranglée dans son lit à l'aide de la main. L'autopsie révéla, outre les signes de strangulation, une fracture des trois premiers anneaux de la trachée. Sur la dénonciation de Marie Michel, servante de la victime et soupçonnée elle-même, le nommé Louis Cauvin, considéré par Mme Mouttet comme son fils adoptif, et son légataire universel fut traduit devant la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône et condamné aux travaux forcés à perpétuité ; quant à Marie Michel, âgée de 15 ans, elle fut acquittée.

Déféré à la Cour de cassation, l'arrêt de la Cour d'assises fut cassé pour un vice de forme, et Cauvin, renvoyé devant la Cour d'assises de l'Hérault qui se montra aussi impitoyable que celle d'Aix.

L. Cauvin attendait en prison son transfert à la Guyane ou à la Nouvelle-Calédonie, lorsque Marie Michel, le principal témoin, écrivit au procureur de la République qu'elle avait un faux témoignage et que Cauvin était innocent. Seule elle a étranglé Mme Mouttet, dit-elle. Traduite devant la Cour d'assises de Riom, Marie Michel renouvela ses aveux et fut condamnée à cinq ans de prison pour faux témoignage. Par une anomalie de notre législation, cette fille doublement criminelle, acquittée une première fois par la Cour d'assises d'Aix, ne pouvait être poursuivie une seconde fois pour assassinat.

Après cet arrêt, L. Cauvin adressa une requête à la Cour de cassation qui cassa l'arrêt de la Cour de Montpellier et le renvoya pour être jugé à nouveau devant la Cour d'assises du Rhône.

Il n'est pas de notre compétence de relever dans les débats les bases fragiles sur lesquelles reposait l'accusation contre Cauvin, et encore moins de faire ressortir les lacunes de l'instruction; ce

rôle, l'avocat du prévenu, Me Décori, l'a rempli avec un plein suc

cès.

Le côté médico-légal justifie seul l'évocation de cette affaire dans Lyon Médical. En raison des derniers aveux de Marie Michel, la question médicale passait au premier plan et de sa solution allait dépendre l'acquittement ou la condamnation de L. Cauvin.

L'énoncé du problème à résoudre peut être formulé dans les termes suivants : « Une jeune fille de 15 ans, forte et vigoureuse, a-telle pu, sans le concours d'un complice, produire les lésions cons. tatées sur le cadavre de Mme Mouttet, lésions qui ont causé la mort ? >>

MM. les docteurs Flavard et Poucel, attachés au parquet de Marseille, ont répondu par la négative, et affirmé qu'une main vigoureuse avait pu seule fracturer la trachée, produire l'asphyxie et déterminer la mort. Cette opinion était partagée par le procureur général qui soutenait l'accusation.

Me Décori, défenseur de Cauvin, avait fait appel au concours scientifique de M. le Dr Gilles de la Tourette. Dans une série d'expériences dynamométriques ingénieusement conduites, le médecin de Paris avait déterminé d'une part l'effort musculaire que peut développer une jeune fille de 16 à 17 ans, et calculé d'autre part la force nécessaire pour fracturer la trachée de personnes âgées. Il était arrivé à cette conclusion qu'une jeune fille de cet âge, et, dans l'espèce, Marie Michel, avait pu développer une force musculaire suffisante pour étrangler Mme Mouttet. En somme, ce rapport mettait en pleine lumière un fait généralement accepté dans la science, qu'une pression peu énergique peut amener la strangulation et fracturer le tube laryngo-trachéal lorsqu'il est plus ou moins ossifié, et c'est le cas des personnes âgées. Les experts de Marseille, pas plus que le procureur général, n'acceptèrent cette conclusion.

Que fallait-il pour infirmer la conclusion trop absolue des médecins de Marseille et faire naître dans l'esprit du jury un doute dont devait bénéficier la victime d'une erreur judiciaire monstrueuse ? Révéler à la Cour l'existence d'un fait qui, dans une circonstance analogue, avait failli envoyer aux galères l'amant d'une jeune servante qui avait étranglé sa vieille maîtresse. Ce fait, consigné dans une thèse de Paris, soutenue le 13 janvier 1859 par mon ami Joseph-Auguste Cavasse, nous l'avons fait connaître à Me Décori, par l'intermédiaire de M. le professeur Cazeneuve, de la Faculté de médecine de Lyon.

Ce fait, le voici dans sa brutale concision : « M. Martin Damourette a eu l'extrême obligeance de me communiquer l'observation suivante qu'il cite dans son cours.

Une vieille dame riche et avare maltraitait souvent sa jeune servante; un jour cette fille, poussée à bout, prit sa maîtresse à la gorge, et la jeta par terre. Effrayée de cette chute, elle lâcha prise

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