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nution de clientèle, et dans cette clientèle diminution de consultations!

Le domaine mystérieux de la maladie et de la douleur, où nous étions tout-puissants, tenant les corps comme d'autres tiennent les âmes, est ouvert à tous ! Et c'est nous qui avons livré les clefs !

D'autre part le nombre des médecins grossit chaque jour d'une manière démesurée; la lutte est de plus en plus âpre, envenimée par une concurrence acharnée. Les cliniques, les policliniques surgissent de toutes parts. Quelques-unes même, chose grave, sont entretenues de nos deniers, grâce à la générosité facile des dispensateurs municipaux de nos finances communales et départementales!

Aussi de tous côtés, cet état de choses, lamentable dans le présent, et plus encore dans l'avenir, a-t-il fait prospérer et naître les Associations de bienfaisance médicales, les caisses de secours et de retraites, les Sociétés de Prévoyance ou les assurances mutuelles entre médecins.

Leur but est d'assurer le sort de la veuve et des enfants d'un confrère mort à la peine, sans laisser souvent à ses proches litté ralement de quoi vivre. D'autres aident discrètement le confrère ou malade, ou dont le succès n'a pas couronné les efforts, abattu momentanément par l'infortune, et qui grâce à cette solidarité confraternelle, peut récupérer santé et courage et surmonter enfin les difficultés de l'existence.

Enfin l'Association médicale mutuelle du département de la Seine, fondée par notre regretté confrère Gallet-Lagoguey, a, elle, un autre but, pius en rapport, selon nous, avec la vie actuelle, plus pratique. Elle est fondée et fonctionne d'après le principe suivant, commun aux autres associations mutuelles en cas de maladie tout sociétaire participant a droit, en cas de maladie, à une indemnité quotidienne égale à sa cotisation mensuelle. Quel que soit l'état de fortune du médecin, remarquez-le, le droit existe. L'indemnité est payée sans formalité, sans enquête (sauf bien entendu en ce qui concerne la réalité et la durée de la maladie), sans demande toujours pénible lorsqu'il s'agit, comme pour obtenir un secours ou une pension des Associations médicales, de dévoiler sa pauvreté, si honorable soit-elle, à des confrères, si discrets et si généreux soient-ils!

Cette Association fonctionne depuis huit ans à peine; elle a rencontré à ses débuts de bien grands obstacles: le premier était l'opposition réfléchie et raisonnée des médecins. Cet ennemi n'était pas le plus dangereux; des explications nombreuses, claires, probatives, s'appuyant sur l'exemple des associations analogues, eurent raison, pour la plupart, des médecins traités. Les plus vifs adversaires d'autrefois sont devenus ses défenseurs et ses promoteurs les plus résolus. Mais le plus terrible, presque le plus

infranchissable des obstacles dressés devant l'Association Lagoguey, c'était, et c'est toujours l'Indifférence médicale.

Je n'insisterai pas sur l'indifférence du médecin pour tout ce qui touche à ses intérêts matériels. Que ce soit pour le recouvrement de ses honoraires, durement gagnés, ou pour la prévoyance de l'avenir, accidents, maladie, ou même mort (nous sommes tous mortels, ou presque tous, a dit Bossuet). l'indifférence du médecin est excessive. Aussi est-ce à vous tous que je m'adresse, à vous jeunes confrères qui n'avez pas atteint quarante ans : car c'est la limite de l'admission, comme membre participant, dans l'Association Lagoguey. A vous aussi, nos chers et honores maîtres et confrères qui, moins jeunes, avez certainement à cœur, et serez heureux de saisir l'occasion qui vous est offerte, de faire acte de solidarité envers les plus jeunes. Car, confiante dans la confraternité médicale qui, moins que jamais à l'heure actuelle, ne doit être une vaine formule, l'Association a réservé une place dans son sein aux membres honoraires. Ces membres d'honneur, moyennant une faible cotisation annuelle (minimum : 2 louis), auront la satisfaction, ne pouvant être admis à cause de leur âge comme membres participants, d'aider d'un peu de leur superflu les misères des jeunes frappés par la maladie.

Le nombre de ces membres honoraires, déjà important, serait évidemment beaucoup plus considérable si nos confrères et maitres se rendaient un compte plus exact du but, de l'utilité, de la nécessité, et des merveilleux résultats de l'Association Lagoguey! Cette association a été fondée, ai-je dit, il y a près de neuf ans. Conformément aux prévisions théoriques, et dépassant les espérances de ses fondateurs (car il y a eu deux ans d'influenza), la Société a marché à grands pas vers le succès complet qu'elle a atteint aujourd'hui. Plus de 120.000 fr. sont en caisse, prêts à payer l'indemnité de maladie des sociétaires. Ce chiffre prouve évidemment que l'Association est, non pas riche, mais bien conçue, bien constituée, et, pour le dire en passant, bien administrée, car elle a éprouvé de formidables à coups dans les débuts: indemnités annuelles (dont une dure toujours) de 3,650 fr., de 2,000, de 1,800, etc., et nombreuses indemnités de 100 à 500 fr.

Pour être assurée de pouvoir toujours faire honneur à ses engagements, il faut évidemment que le nombre des sociétaires ne cesse de s'accroître. Les chiffres ont prouvé que, quoique les chances de maladie augmentent évidemment avec le nombre des sociétaires, les cotisations en assureront d'autant mieux le service des indemnités.

Voici l'article des statuts, qui traite de ces indemnités : Art. 25. L'Association alloue à ses membres participants une indemnité de dix francs par jour pour toute maladie dûment constatée, excédant une durée de huit jours (on va rabaisser à cinq) et entraînant l'incapacité absolue d'exercer la profession médicale.

Cette indemnité sera payée aussi longtemps que dureront l'in · capacité absolue et les ressources financières de l'Association.... La cotisation est de dix francs par mois.

.....

- Il faut être Français et docteur en médecine d'une Faculté française.

Je m'excuse d'avoir ainsi abusé de vos instants, mais il m'a semblé qu'à une séance comme celle-ci, où le nombre de nos collègues est heureusement considérable, où la Société de l'Elysée a la bonne fortune de compter parmi ses nouveaux membres tant de jeunes, il était bon qu'il fut permis à un de vos plus humbles collègues de détourner un instant votre attention des importants travaux scientifiques qui sont le charme et l'attrait de nos séances, pour la fixer sur une Association médicale qui rend et rendra les plus grands services à tous nos confréres.

LA GRÈVE DES MÉDECINS DE MONTREUIL.

La presse politique a parlé, il y a quelques semaines, d'un conflit survenu entre les médecins et la municipalité de Montreuil. Il nous paraît intéressant de faire connaître les faits tels qu'ils ont été exposés par M. le Dr Birabeau dans un rapport lu au Syndicat des médecins de la Seine.

Au commencement de novembre, le maire de Montreuil-sousBois, faisait annoncer par voie d'affiches à ses administrés, qu'un dispensaire serait ouvert 40, rue de Paris, à partir du 18 novembre; des consultations gratuites devaient y être données tous les jours aux nécessiteux; un tableau, affiché à la porte, devait indiquer pour chaque jour de la semaine le nom du médecin et l'heure de la consultation.

Auparavant, le maire s'était adressé aux médecins de la localité pour leur demander s'ils consentiraient à assurer le service. MM. les Drs Garavel, Calamy, de la Jarrige, Blesson, déjà chargés du Bureau de bienfaisance, et Durand, chargé de la Crèche, tout en faisant observer que les médecins de Montreuil avaient l'habitude de donner gratuitement leurs conseils aux indigents, acceptèrent et proposèrent de s'adjoindre le concours du sixième confrère de Montreuil, le Dr Delaunay, qui voulut bien consentir.

Ces conditions bien établies et acceptées, quelques jours avant l'ouverture du dispensaire, les médecins ci-dessus furent stupéfaits de voir, sur les affiches, le nom du Dr Delaunay rayé et remplacé par celui de Mme le Dr Bertillon, qui habite Paris. Ils apprirent de plus que ce confrère devait recevoir une indemnité, tandis que leurs services était absolument gratuits.

Ils adressèrent alors au maire la lettre suivante :

Quand vous nous avez convoqués pour organiser le service du Dispensaire Municipal Désiré Préaux, il a été convenu que les con

sultations seraient réparties entre les médecins de Montreuil ; c'est donc avec une surprise bien légitime que nous lisons dans la liste publiée par le Tribun du 10 novembre un nom étranger à la localité.

Nous avons l'honneur de vous informer, Monsieur le Maire, que si nous sommes prêts à tenir nos engagements, c'est à la condition que les conventions primitives seront respectées. En conséquence, nous ne prendrons le service du Dispensaire qu'après l'exclusion définitive de tout médecin n'appartenant pas au pays.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'assurance de notre respectueuse considération. Suivent les signatures.

A cette lettre fort digne le maire fit répondre à chacun des médecins, le 13 novembre, par le billet ci-joint qui peut se passer de commentaires:

On a l'honneur de prier Monsieur le Docteur X... de vouloir bien passer à la Mairie demain, 14 novembre, à quatre heures du soir.

Ce 13 novembre 1895.

Malgré tout ce que peut contenir de blessant une convocation aussi insolite, différant seulement d'une insulte anonyme par l'apposition du sceau de la mairie, les médecins se réunirent et déléguèrent leur doyen, Dr Garavel, pour demander au maire des explications. Celui-ci refusa tout éclaircissement. En conséquence, nos confrères lui firent parvenir cette lettre collective:

« Les médecins soussignés ont l'honneur d'informer monsieur le maire qu'ils s'en tiennent à leur première lettre et aux engagements pris de concert avec lui. »

Dans ces conditions, pour ouvrir le Dispensaire, il devint indispensable de chercher d'autres médecins, car le confrère de Paris ne pouvait, à lui tout seul, assurer chaque jour le service. Le maire s'adressa au Dr Bourot, médecin principal de l'armée en retraite, résidant à Montreuil, qui accepta ; il s'adressa au Dr Rossi, de Bagnolet, membre de notre Syndicat, qui demanda un délai pour donner sa réponse, ne voulant se décider qu'après avoir fait une démarche courtoise auprès des confrères de Montreuil, et obtenu leur assentiment. Quand sa religion fut éclairée, il ne put que s'associer à la protestation si légitime des médecins lésés dans leur dignité et répondre par un refus catégorique.

Cet exemple de bonne confraternité engagea les médecins de Montreuil à demander au Dr Bourot une entrevue. Celui-ci déclara qu'il ne pouvait revenir sur sa parole engagée de la veille vis-à-vis du maire ; mais que s'il avait été informé plus tôt il n'aurait pas accepté. Or, je dois constater que, depuis. M. Bourot ne s'est pas borné à donner des consultations, mais qu'il a fait des dén.arches

personnelles afin de recruter des aides pour lesquels la solidarité professionnelle (qui s'appelle, parmi les officiers, camaraderie,) ne fût qu'une vaine utopie. Il demanda tout au moins, au Dr Differdange, de Vincennes, son concours que celui-ci refusa, estimant que les médecins de la localité étaient seuls en droit de soigner leurs indigents au Dispensaire communal.

Alors le différend, qui portait jusqu'ici sur un seul point : à savoir l'exclusion d'un confrère de la localité bien et dûment sollicité, bien consentant, par un confrère exerçant à Paris et devant toucher une indemnité tandis que le concours des autres était gratuit, le différend, dis-je, prit des proportions plus graves et devint un conflit sérieux. La presse locale et la presse parisienne en furent saisies. Le confrère de Paris se trouvant être une femme, les autres furent accusés de se mettre en grève parce qu'ils ne voulaient pas supporter parmi eux la présence d'un concurrent de sexe opposé. Or les médecins de Montreuil ont toujours protesté et protestent encore contre cette façon de dénaturer leurs sentiments. Ils rendent hommage au mérite, aux talents de la doctoresse; mais ils trouvent étrange qu'on la paye pour venir prendre la place de l'un d'eux dont le cœur est assez large et la science assez grande pour donner des soins gratuits aux indigents.

Car les indigents seuls devaient avoir droit aux consultations gratuites; l'affiche officielle porte aux nécessiteux. Ce point était bien spécifié dans les conventions antérieures. Mais depuis on a fait annoncer partout, on a publié dans un journal de la localité, le Tribun, journal officieux de la mairie, que les consultations seraient données à tous ceux qui se présenteraient. On a fait un éloge enthousiaste des médecins qui consultent maintenant riches et pauvres et l'on a ajouté : « le fonctionnement actuel, conséquence de la grève de nos docteurs, est infiniment préférable au fonctionnement limité que l'on avait prévu à l'origine. C'est une conséquence assez heureuse de l'attitude de notre corps médical. »

Ainsi, c'est le maire d'une localité où exercent six médecins, dont l'un soigne depuis plus de trente ans et trois autres depuis plusieurs années, tous les pauvres de la commune pour quatre cents francs par an, vingt-deux sous par jour (tandis qu'ils versent dans la caisse du percepteur, comme contribuables, une somme égale sinon supérieure), c'est le maire qui, se croyant dégagé de tout lien de reconnaissance quand il a payé les vingt-deux sous, c'est l'officier municipal qui fait servir l'argent de sa commune pour une concurrence déloyale à ses administrés, en disant à tout le monde : N'allez plus payer les consultations de ces médecins grévistes, je vous en ferai donner pour rien dans un local que leurs propres deniers m'ont permis d'édifier.

Jamais autocrate n'aurait dit plus crânement : « La commune, c'est moi ! ».

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