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circonstances, respecter les règles de bon sens, de prudence et de savoir elémentaire auxquels est assujetti l'exercice de toute profession (1).

En dehors de ces cas de fautes grossières et impardonnables, de négligence ou d'imprudence que rien ne peut justifier, d'erreur manifeste, le chirurgien est irresponsable. Un diagnostic erroné l'ayant amené à pratiquer une opération dangereuse, inutile et qui a provoqué la mort de l'opéré, n'engage en rien sa responsabilité, alors que l'aspect du malade pouvait, à la rigueur, justifier l'erreur (2).

Ici se soulève une question. Le médecin se trouve en présence d'un malade dont l'affection ne peut être guérie que par une intervention chirurgicale relativement facile. Soit par timidité, soit par ignorance, le praticien ne tente pas l'opération et le malade meurt (3). Y a-t-il responsabilité ? Nous ne le croyons pas. La loi n'a pas pour but de punir l'ignorance du médecin, alors que cette ignorance reste passive, c'est-à-dire purement spéculative et indépendante de la pratique chirurgicale, mais bien l'erreur grossière et constatée qui a pour cause une ignorance présomptueuse qui pousse le praticien à faire ce dont il est incapable.

Dans ce cas, dira-t-on, le médecin incapable devait faire appeler un confrère; sa faute est de ne pas avoir appelé à son secours un praticien plus habile. Il y a faute certes, dans la conduite du médecin, mais faute que seule sa conscience peut lui reprocher : en aucun cas, le médecin n'est tenu d'avoir recours aux lumières d'un autre. Les premiers coupables dans le cas présent sont le malade ou les membres de sa famille qui n'ont pas pris l'initiative d'une consultation médicale, après avoir constaté les tâtonnements, les doutes, l'incapacité du médecin familier.

Il n'y aurait pas non plus responsabilité pour un opérateur qui appliquerait un nouveau mode opératoire, alors que ce mode est l'objet de discussions. Nous l'avons déjà dit, le magistrat n'a à intervenir d'aucune manière dans les faits d'ordre purement scien. tifique (4).

Mais quand la responsabilité du chirurgien est bien démontrée, qui peut intervenir en justice, qui peut poursuivre l'opérateur? Ici s'impose une courte distinction juridique...

La responsabilité des chirurgiens peut être civile seulement, ou bien civile et pénale conjointement.

La responsabilité civile est celle qui découle des art. 1382 et sui

(1) V. un arrêt de Cassation du 21 juillet 1862 (Recueil de Sirey, 1862, 1.817; Recueil de Dalloz, 1862, 1.419).

(2) V. un arrêt de la Cour de Bordeaux du 24 mai 1892, Journal Ides arrêts de Bordeaux, 1892, 1.306.

(3) Par exemple un phlegmon abdominal qui doit abolument être incisé.

(4) Comp. un arrêt de la cour de Besançon du 18 décembre 1844. (Recueil de Sirey, 1845. 2. 602).

vants du code civil, supra énoncés. L'action civile qui a pour but d'obliger le chirurgien à réparer le dommage causé, pourra être intentée par tous ceux que ce dommage atteint, mais par ceux-là seulement. Exemple: Une mère de famille meurt sous le couteau d'un opérateur responsable, le mari de la morte, les enfants subissent un préjudice incontestable ; à eux appartient le droit de poursuivre le chirurgien. Si, toutefois, ils renoncent à cette poursuite, un neveu, un cousin ou simplement un ami aurait-il le droit de réclamer des dommages-intérêts au médecin coupable?... Non, évidemment non... Ceux-là seuls ont le droit de demander réparation d'un préjudice qui l'ont réellement éprouvé et qui le démontrent.

A côté de cette responsabilité civile, s'élève la responsabilité pénale. C'est celle qui résulte des art. 319 et 320 du code pénal précités. Cette responsabilité a lieu chaque fois que, par son incurie, sa maladresse, ou son ignorance démontrés, l'opérateur est cause de la mort, ou d'une blessure grave de son opéré. C'est encore aux intéressés à poursuivre criminellement le chirurgien responsable. Cependant, dans ce cas, à la différence de l'action civile, le procureur de la République peut intervenir et poursuivre directement dans l'intérêt de la loi et de la société.

Comment les juges doivent-ils appliquer, dans les différents cas que nous avons prévus, les règles générales que nous venons de poser ?

En cette matière, les textes étant excessivement vagues, et rien de précis n'ayant été et même n'ayant pu être posé par le législateur, les magistrats ont plein pouvoir d'appréciation; c'est ce qui explique une certaine hésitation, je dirais presque une certaine incohérence dans la jurisprudence. Cependant, aujourd'hui, la tendance générale est de n'admettre sérieusement la responsabilité des chirurgiens que dans les cas bien démontrés d'erreur impardonnable, de légèreté inexcusable, ou d'ignorance vraiment coupable.

Mais une fois la responsabilité bien établie, le degré en doit varier suivant les espèces.

Nous sommes d'abord en présence d'un cas grave qui nécessite l'intervention immédiate et énergique du chirurgien. La faute grossière, la négligence coupable sont presque excusables ou tout au moins considérablement atténuées par la rapidité avec laquelle l'opérateur doit intervenir. Il n'a pas, dans ce cas, le temps d'étudier à fond les parties qu'il explore, de pratiquer une opération sage, sûre et depuis longtemps réfléchie. Il doit opérer vite et de suite sous peine de voir mourir le malade. Le magistrat se montre alors excessivement doux dans l'application des pénalités des art. 316 et 320 du code pénal; il réduit à leur plus simple expression les dommages-intérêts envers les parties qui ont subi un préjudice. En réalité, il est excessivement rare que l'on donne suite à une action en responsabilité chirurgicale dans le cas présent.

Envisageons maintenant le cas ou l'intervention chirurgicale ne s'impose pas immédiatement, mais devra fatalement avoir lieu dans un temps plus ou moins lointain.

Le chirurgien opère de suite pour éviter au malade une intervention plus lointaine, mais aussi plus cruelle, plus considérable, et surtout plus aléatoire. L'intention, certes, est louable; toutefois, comme le danger n'est pas immédiat, le praticien peut et doit même, avant d'opérer, étudier, réfléchir, prendre, en un mot, les mesures qui doivent l'assurer du plus grand nombre de chances de succès. Ne le fait-il pas, il a tort; et c'est mal défendre les intérêts de son malade que d'opérer trop vite, à la légère, que de compromettre la santé ou la vie du sujet par une opération moins considérable, mais non réfléchie, alors qu'il aurait pu le sauver par une opération plus grave, mais bien étudiée, bien conçue, bien mûrie...

Dans ce cas, les magistrats se montrent plus sévères, en tenant compte toutefois de l'intention honnête de l'opérateur.

Nous nous trouvons maintenant en présence d'un sujet malade, ayant une affection douloureuse, mais qui, ni dans le présent, ni dans l'avenir, ne compromet sa vie. L'intervention chirurgicale n'a qu'un but, le soulager. Quel est le devoir du chirurgien ?

Le chirurgien consciencieux ne doit, en présence de ce sujet, opérer qu'après mûre réflexion et à la seule condition que les douleurs rendent réellement insupportable l'existence du patient. Soulager l'humanité de ses maux est noble certes, mais à une condition, c'est que les risques à courir ne soient pas trop considérables.

Quoi qu'il en soit, dans ce cas, l'opérateur prendra toutes les précautions morales et matérielles. Il fera part au malade et surtout à son entourage qui, plus que le patient affolé par la douleur, comprendra la situation, de la nécessité de l'intervention, seule capable d'amener un résultat que ne peut donner la thérapeutique médicale.

Il obtiendra leur assentiment, après avoir nettement démontré les chances que court le futur opéré; et quand l'opération aura été décidée d'un commun accord, le chirurgien fera bien de choisir ses aides, parmi des docteurs en médecine.

Pendant le cours de l'opération il fera ressortir, s'il y a lieu, la nécessité de s'éloigner du mode opératoire classique : il signalera les incidents forfuits, les anomalies anatomiques et pathologiques, et en un mot l'imprévu que cependant on doit prévoir autant que possible.

Il s'efforcera de justifier sa conduite de manière à dégager en partie sa responsabilité, tout en la faisant supporter en certaine proportion à son entourage actif.

Cette façon de procéder a l'avantage de bien mettre en relief les mille circonstances susceptibles de troubler la marche d'une

opération et d'en aggraver le pronostic. Ces circonstances tout à fait en dehors du chirurgien ne sont en réalité que des cas de force majeure, qui ne peuvent donner lieu à responsabilité.

On comprend donc la nécessité pour le praticien de ne négliger aucune de ces précautions, faute desquelles la responsabilité devient entière. (Revue clinique d'andrologie et de gynécologie.)

LOCALISATION DE CERTAINS PHÉNOMÈNES DE LA MÉMOIRE; APPLICATIONS POSSIBLES EN MÉDECINE LÉGALE,

Par J. LUYS.

Plaie pénétrante de la base du crâne. Amnésie consécutive, par H. ABEL et W. COLMAN (British medical Journal, 1895.) (1).

Un chauffeur de locomotive fait une chute si malheureuse que le long bec de la burette de graissage (tube de 0,20 c.) pénètre dans le crâne en enlevant une rondelle d'os qui obture son extrémité, transformant ainsi ce tube en un corps con

tondant :

Plaie cutanée à la joue droite, ouverture d'un trajet presque vertical légèrement oblique en dedans et en arrière, traversant la fosse zygomatique, pénétrant dans le crâne à travers la grande aile du sphénoïde, et traversant la capsule interne droite au niveau du genou; direction supposée d'après les résultats fournis, en enfonçant dans des crânes le bec de la burette.

Au moment de l'accident, perte de connaissance; pas d'hémorrhagie soit par le nez, la bouche ou les oreilles. Paralysie faciale gauche, du bras et de la jambe. Pas trace d'hémianesthésie, et le malade tombe dans l'assoupissement et un état demi-conscient; du côté droit, anesthésie complète de la région sourcilière des deux paupières.

Le malade sauf quelques phénomènes notables dans le groupement du souvenir, dès les premiers temps, présentait au bout d'un an l'état mental suivant: apathie-indolence excitations faciles d'émotivité - lacunes dans les souvenirs — affaiblissement de la mémoire,- s'il sort de chez lui il ne peut retrouver sa route, ou bien il ne reconnaît pas sa maison : il oublie l'usage d'une foule d'objets. Il raisonne assez bien, mais à cause de son amnésie partielle, il arrive à des conclusions

(1) Archives de Neurologie, mars 1895, p. 323.

incorrectes. Exemple: il habite une maison construite par la Compagnie pour ses employés, mais il ne se souvenait plus. d'y avoir été employé pendant cinq à six ans, et insistait pour quitter cette maison dans laquelle il n'avait pas de droit de résider.

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Localisation de la blessure. L'expérimentation sur plusieurs crânes, la nature des symptômes font penser à une lésion de la capsule interne. La paralysie limitée d'emblée au bas et à la face montre que le traumatisme a porté sur la partie antérieure du faisceau moteur; l'absence d'hémianopsie et de tout symptôme sensoriel du côté gauche, montre aussi que la partie postérieure de la capsule interne n'a pas été touchée.

Il est difficile, pour ce qui touche l'état de la mémoire, de faire autre chose que des suppositions; certes il y a dû y avoir du ramollissement inflammatoire autour des parties lésées dans la partie antérieure de la capsule interne,....

Néanmoins il est très vraisemblable que sous l'influence de la présence du corps contondant, la région grise orbitaire à été violemment contuse et qu'une hémorrhagie s'est faite à l'endroit même. Il est arrivé là ce qui arrive toujours lorsqu'il s'agit de la substance cérébrale en présence d'un traumatisme local, un foyer local primitif d'attrition de la substance nerveuse avec infiltration ambiante de la matière hématique et ramollissement du tissu avec distension des éléments actifs de la région intéressée.

Quoiqu'il faille en bonne psychologie considérer la mémoire comme une faculté d'ensemble, inhérente à toutes les cellules de la substance nerveuse, aussi bien celles du cerveau que celles de la moelle, (les réactions réflexes inconscientes des centres de l'axe spinal n'en sont-ils pas la preuve évidente?) Je ne puis m'empêcher de constater qu'un traumatisme de la région orbitaire de la substance cérébrale a été suivi de phénomènes d'amnésie très prononcés avec retentissement sur l'ensemble des facultés mentales. Y aurait-il en ces régions un territoire cortical spécial qui présiderait à certaines facultés de concentration des courants nerveux mnémoniques ?

C'est une question qui doit se poser, en présence de ce fait, d'une part, si notablement précisé, et d'autre part en présence d'autres phénomènes encore inexpliqués, mais tout à fait concordants, en vertu desquels, chez des sujets hypnotisés et qui au moment du réveil ont tout à fait oublié ce qu'ils ont dit

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