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LA MORT DU PRÉSIDENT CARNOT.-LE PROCÈS-VERBAL DE L'AUTOPSIE.-HENRI IV ET RAVAILLAC.-LES AUTOPSIES UNE CURIEUSE AFFAIRE DU

DES CHEFS D'ETAT.
SECRET MÉDICAL.

Le voyage de M. Félix Faure à Lyon où il a été reçu avec enthousiasme par la population, nous rappelle l'horrible attentat de Caserio. A moins d'être de bronze, il est extrêmement probable que le président de la République a dû éprouver un petit frisson en passant place de la Bourse, à la place où fut assassiné le malheureux Carnot; on dit que les acclamations chaleureuses des Lyonnais n'ont pu chasser le nuage qui a obscurci un instant le front soucieux de notre premier magistrat.

Si l'on a beaucoup parlé de l'assassinat de Carnot, il me semble qu'on n'a pas fait encore toute la lumière sur quelques circonstances qu'il eût été utile d'élucider au point de vue médico-légal. Je ne voudrais pas revenir sur des incidents encore récents et raviver dans une famille honorable de pénibles souvenirs; mais il est certain que l'autopsie du président Carnot n'a pas été faite complè tement; si le procès-verbal fait par M. Lacassagne établit que la mort était due à la perforation de la veine porte par le couteau de l'assassin, ce procès-verbal est absolument muet sur l'état des autres organes. C'est donc un document absolument incomplet ; cela est d'autant plus regrettable qu'il est de tradition de faire l'autopsie des chefs d'Etat et que l'examen post-mortem aurait pu fournir d'utiles renseignements sur la maladie grave dont souffrait le président Carnot pendant la dernière année de sa présidence.

Il est un fait connu de tous, c'est que M. Carnot était très sérieusement atteint et que la plupart des médecins appelés auprès de lui avaient donné un pronostic grave. Malgré toute son énergie, il ne pouvait que très difficilement remplir ses fonctions et la détermination qu'il avait prise de refuser le renouvellement de son mandat était basée exclusivement sur des raisons de santé. Il avait maigri horriblement, ne mangeait pas et, suivant l'expression de ses amis, ne pouvait pas se tenir debout.

Ce voyage de Lyon était très appréhendé par sa famille. Voici la lettre qu'avait adressée Madame Carnot au D' Gailleton la veille du départ. Nous la reproduisons dans sa touchante simplicité :

Monsieur le Maire, vous êtes médecin permettez-moi de vous recommander mon mari qui, l'an dernier, a été très fatigué à la suite de voyages où on l'a surmené ; je vous prie en grâce de veiller à ce qu'il n'ait pas trop à marcher, et à ce qu'il ne reste debout que deux heures au plus par jour.....

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Pour beaucoup d'initiés, le poignard de Caserio n'aurait devancé que d'un an ou deux l'heure fatale qui doit sonner pour tout le monde.

Dans ces conditions,j'estime qu'il eût été utile de faire une véri table autopsie.

Or il suffit de lire le procès-verbal de l'examen fait à Lyon pour constater qu'on s'est borné à l'examen de la blessure sans faire ce qu'on désigne en médecine légale sous le nom d'autopsie. Voici ce document historique :

« Les docteurs en médecine soussignés ont procédé aujoud'hui à l'autopsie du Président de la République française. Ils ont constaté les lésions suivantes :*

La blessure siégeait immédiatement au-dessous des fausses côtes droites, à 3 centimètres de l'appendice xiphoïde. Elle mesurait de 20 à 25 millimètres et la lame en pénétrant avait sectionné complètement le cartilage costal correspondant.

La lame du poignard a pénétré dans le lobe gauche du foie, à 5 ou 6 millimètres du ligament suspenseur. Elle a perforé l'organe de gauche à droite et de haut en bas, blessant sur son passage la veine porte, qu'elle a ouverte en deux endroits.

Le trajet de la blessure dans l'intérieur du foie est de 11 à 12 centimètres. Une hémorrhagie intra-péritonéale fatalement mortelle a été le fait de cette double perforation veineuse.

Lyon, le 25 juin 1894.

Signé Dr LACASSAGNE, Henry COUTAGNE, PONCet, Ollier, LépINE,
REBATEL, Michel GANGOLPHE, Fabre. »

On voit qu'il n'est pas question, dans ce document, d'aucun autre organe. Lorsque le parquet confie une autopsie à M. Lacassagne, j'espère qu'il remet un rapport plus complet. Cela était d'autant plus important qu'il s'agissait d'un homme dont la mémoire est impérissable et d'un événement qui prendra une place importante dans notre histoire nationale.

La mort tragique de Carnot fait de suite penser à celle de Henri IV qui fut également frappé en voiture pendant qu'on l'exhibait à son peuple. Comme curiosité, nous reproduisons le procès-verbal de l'autopsie du Roi-Galant qui fut pratiquée le lendemain de sa mort et qui se trouve reproduit dans les œuvres de Guillemeau :

Rapport de l'ouverture du corps du Roy deffunct Henry le Grand IV, de ce nom, Roy de France et de Navarre, qui a esté faite le quinziesme jour de may mil six cens dix, à quatre heures du soir. Ayant esté blessé le jour précédent d'un cousteau, estant dedans son carrosse, dont il seroit décédé incontinent, après avoir dit quelques paroles et jetté du sang par la bouche.

S'est trouvé par les médecins et chirurgiens soussignez, ce qui s'ensuit :

Une playe au costé gauche, entre l'aisselle et la mammelle sur la deux et troisiesme coste d'en haut, d'entrée du travers d'un doigt, coulant sur le muscle pectoral vers ladite mammelle de la longueur de quatre doigts, sans pénétrer au dedans de la poitrine.

L'autre playe en plus bas lieu, entre la cinq et sixiesme coste au milieu du mesme costé, d'entrée de deux travers de doigts, pénétrant

la poitrine et perçant l'un des lobes du poulmon gauche,et de là, couppant le tronc de l'artère véneuse à y mettre le petit doigt, un peu audessus de l'oreille gauche du cœur. De cet endroit l'un et l'autre poulmoa a tiré le sang, qu'il a jetté à flot par la bouche, et du surplus se sont tellement remplis qu'ils se sont trouvez tous noirs comme d'une écchimose.

Il s'est trouvé aussi grande quantité de sang caillé en la cavité de ladite poitrine et quelque peu au ventricule droict du cœur ; lequel, ensemble les grands vaisseaux qui en sortent, estoient tous affaissez de l'évacuation et la veine cave, au droict du coup (fort près du cœur) a paru noircie de la contusion faite par la pointe du couteau.

Parquoy tous ont jugé que cette playe estoit seule et nécessaire cause de la mort.

Toutes les autres parties du corps se sont trouvées fort entières et saines comme tout le corps estoit de très bonne température et de très belle structure.

Fait à Paris les jour et an que dessus.

Les Médecins du Roy. —A. Petit, A. Millon, de Lorme, Regnard, Héroard, Le Maistre, Falaiseau, de Maierne, Hubert, de Mirrhe, Carré, Auberi, Yvelin, de Lorme, le Jeune, Hautin, Péna, Lusson, Séguin. Les Chirurgiens du Roy. Martel, Pigrai, Guillemeau, Regnaud, Gardé, Philippes, Jarret, de la Noue, Joubard, Bérart, Bachelier, Robillard.

On voit que les chirurgiens de Henri IV ont été plus complets dans leur rapport que les médecins légistes Lyonnais. S'ils n'ont pas donné le détail de l'autopsie de tous les organes, ils en ont au moins parlé.

Sans doute il peut être pénible pour une famille de voir un de ses membres soumis à l'autopsie comme un simple hospitalisé ; mais les Rois et présidents de République n'ont jamais échappé à cette formalité, surtout lorsque le poignard de l'assassin leur donne l'immortalité. A. LUTAUD.

LE SECRET MÉDICAL EN ANGLETERRE.
LED PLAYFAIR SUR LA SELLETTE

Je viens d'assister en Angleterre à un très curieux procès qui soulève d'intéressantes questions médico-légales et touche surtout à ce point d'honneur de notre profession : le secret médical.

On sait qu'en France le secret médical est obligatoire pour le médecin, c'est-à-dire, que le Code pénal a prévu le délit et nous applique toutes les sévérités de la loi lorsque nous le violons.

Il n'en est pas ainsi en Angleterre où la législation n'a pas prévu le cas. Mais si la loi est muette, l'honneur avait suffi jusqu'à ce jour pour maintenir chez nos confrères anglais le respect du secret professionnel.

Un cas cependant vient de se produire dans lequel le secret

a été violé et le fait a paru d'autant plus monstrueux qu'il émane d'un des hommes les plus haut placés dans la profession. Voici ce qui s'est passé :

Un des accoucheurs les plus connus de Londres, le Dr Playfair, est appelé en consultation par le Dr Munro Williams auprès d'une dame Kitson, qui souffrait d'une affection utérine. Après examen le Dr Playfair propose une intervention. On anesthésie la malade, on pratique le curetage et on extrait de la matrice quelque chose qui ressemblait énormément à des débris placentaires.

Le Dr Playfair en conclut que Madame Kitson a fait une fausse couche et, comme le mari était absent depuis un an, il en conclut également que ladite dame n'avait pas observé la continence la plus complète pendant l'absence de son conjoint.

Mais M. Playfair ne se contenta pas de ces réflexions in petto; il rentra chez lui fort scandalisé et dit à sa femme : « Oh ! Madame Playfair, quel scandale! vous savez cette madame Kitson qui appartient, je crois à vos relations; elle vient de faire une fausse-couche et son mari est absent depuis un an! quelle conduite abominable ! »>

M. Playfair, qui fait de la gynécologie depuis quarante ans, devait cependant savoir qu'on ne doit pas révéler les secrets de sa clientèle aux femmes, même à la sienne! Il a violé le secret professionnel et, cette fois, mal lui en a pris. Voici ce qui est arrivé.

La malade opérée et diffamée par le Dr Playfair est une mère de famille qui jouissait d'une excellente réputation. Comme elle était pauvre, elle vivait et élevait ses enfants avec une rente de 10.000 fr. qui lui était servie par un parent riche, Sir James Kitson.

Une fois que Madame Playfair fut informée de la faute de Madame Kitson (que pour des raisons quelconques elle ne pouvait pas sentir) elle s'empressa d'avertir sa famille. Celle-ci, justement indignée, supprima immédiatement la pension de 10.000 fr. Voilà Madame Kitson et ses enfants dans la misère, parce que le Dr Playfair avait violé le secret professionnel.

Mais où la chose devient vraiment intéressante, c'est que Madame Kitson, atteinte dans son honneur et dans sa fortune a intenté un procès au Dr Playfair et lui demande la juste réparation pécuniaire et morale du dommage qu'il lui a causé. Cette réparation paraît d'autant plus justifiée qu'il n'est nullement démontré que les produits extraits de l'utérus soicnt

des débris placentaires; en admettant même que Playfair ait extrait des fragments de placenta, rien ne prouve que ceux-ci n'aient séjourné pendant plusieurs mois dans l'utérus, ce qui innocentait parfaitement la malade du soupçon d'adultère. C'est l'opinion des avocats de Madame Kitson et celle du mari lui-même qui n'a jamais douté de la fidélité de sa femme et l'assiste dans les débats.

M. le D' Playfair a donc commis une double faute :

1o Il a sciemment violé le secret médical en racontant à sa femme des faits qu'il n'avait connus que dans l'exercice de sa profession;

2o Il a indignement calomnié sa cliente en l'accusant d'adultère alors que les faits qu'il avait observés ne pouvaient nullement soutenir une telle accusation.

Aussi l'éminent accoucheur anglais fait-il triste figure devant le tribunal où, accompagné de Madame Playfair, il est accusé d'un véritable délit et menacé d'être condamné à payer à' Madame Kitson la pension de 10.000 fr. que cette diffamation lui a fait perdre.

Mais sa situation devant la Cour n'est rien auprès de celle qu'il a aujourd'hui devant le corps médical anglais où tout le monde est unanime à le condamner.

Le D' Playfair vient d'être condamné à payer à Madame Kitson 300.000 fr. de dommages-intérêts.

En France un acte semblable eût été jugé encore plus sévèrement. Non seulement le coupable eût été poursuivi par le parquet pour violation de la loi, mais il eût été expulsé de toutes les Sociétés savantes vraiment dignes de ce nom. A. LUTAUD.

TRAVAUX ORIGINAUX

LES DÉNONCIATIONS CALOMNIEUSES DES ALIÉNÉS ET LEURS CONSÉQUENCES JUDICIAIRES,

Par le Dr PAUL GARNIER,

Médecin en chef du Dépôt.

Un très récent procès criminel, que des circonstances spéciales ont rendu fort émouvant et sur lequel la lumière ne paraît pas encore entièrement faite, vient d'appeler l'attention publique sur la valeur de certains témoignages produits en justice.

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