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lioration morale et intellectuelle de l'espèce humaine, on suppose que cette doctrine a précédé, on ne sait comment, toutes les autres doctrines, et lorsqu'on la place à une époque où l'homme était incapable de la concevoir, pour en faire honneur à des colléges de prêtres; ces prêtres, plus savants, et surtout plus rusés que la masse du peuple, étaient bien éloignés toutefois d'avoir pu s'élever à des conceptions qui ne sauraient être que le résultat lent et graduel d'une série d'efforts assidus, de découvertes accumulées, et de méditations non interrompues.

Vouloir faire de la religion une unité immuable et seulement voilée aux regards profanes, se flatter qu'on découvrira cette langue unique, et qu'alors les cultes, les dogmes, les symboles de toutes les nations se révéleront à nos yeux comme une portion de cette langue sacrée, c'est se bercer d'un espoir chimérique. Ce n'est ni dans les symboles, ni dans les doctrines que cette unité peut se trouver. Mais pénétrez dans la nature de l'homme, vous y apercevrez, si vous l'étudiez bien, la source unique de toutes les religions et le germe de toutes les modifications qu'elles subissent.

CHAPITRE VII.

Plan de notre ouvrage.

Le tableau que nous venons de tracer des diverses manières dont on a jusqu'ici considéré la religion, nous paraît prouver qu'il existe encore sur ce point important une lacune. Nous avons essayé de la remplir autant que nous l'ont permis nos forces.

Nous n'avons déclaré la guerre à aucun dogme: nous n'avons attaqué la divinité d'aucune des croyances qu'entoure la vénération publique. Mais nous avons pensé qu'on pouvait écarter avec respect, car tout ce qui touche à la religion mérite du respect, nous avons pensé, disons-nous, qu'on pouvait écarter avec respect des questions épineuses, et partir d'un fait qui nous semble évident. Ce fait, c'est que le sentiment religieux (36) est

un attribut essentiel, une qualité inhérente à

notre nature.

Nous avons observé les formes que ce sentiment pouvait revêtir. Nous les avons trouvées proportionnées nécessairement à la situation des individus ou des peuples qui professent une religion.

N'est-il pas clair, en effet, que le sauvage qui ne subvient à sa subsistance que comme les habitants des forêts, ne saurait avoir les mèmes notions religieuses que l'homme civilisé? Quand la société est constituée, mais que les lois physiques du monde sont encore ignorées, n'est-il pas simple que les forces physiques soient les objets de l'adoration? A une époque plus avancée, les lois de la nature physique étant dévoilées, l'adoration se retire sur le terrain de la morale. Plus tard, l'enchaînement des causes et des effets en morale étant découvert, la religion se retranche dans la métaphysique et la spiritualité. Plus tard encore, lorsque les subtilités de la métaphysique sont abandonnées, comme impuissantes à rien expliquer, c'est dans le sanctuaire de notre ame que la religion trouve heureusement son inexpugnable asyle.

:

Tel a donc été notre premier principe. Nous avons dit la civilisation étant progressive, les formes religieuses doivent se ressentir de cette progression et l'histoire nous a confirmés dans ce premier résultat de nos recherches.

Nous avons alors examiné quelles étaient les époques de cette progression, et nous avons cru remarquer que chaque forme religieuse se divise en trois périodes distinctes.

L'homme s'élance d'abord vers une religion, c'est-à-dire, il cherche d'après son instinct et ses lumières, à découvrir les rapports qui existent entre lui et les puissances invisibles. Quand il croit avoir découvert ces rapports, il leur donne une forme régulière et déterminée.

Ayant pourvu de la sorte à cette première nécessité de sa nature, il développe et perfectionne ses autres facultés. Mais ses succès mêmes rendent la forme qu'il avait donnée à ses idées religieuses disproportionnée avec ses facultés développées et perfectionnées.

Dès ce moment, la destruction de cette forme est inévitable. Le polythéisme de l'Iliade 'ne convenant plus au siècle de Périclès, Euri

pide dans ses tragédies se rend l'organe de l'irréligion naissante.

Si, comme il est dans la nature des choses, la chute de la croyance vieillie est retardée par des institutions, cette prolongation factice ne produit pour l'espèce humaine qu'une existence de pur mécanisme, durant laquelle tout semble privé de vie. L'enthousiasme et la croyance délaissent la religion. Il n'y a plus des formules, des pratiques et des prêtres. Mais cet état forcé a aussi son terme. Une lutte s'élève, non-seulement entre la religion établie et l'intelligence qu'elle blesse, mais entre cette religion et le sentiment qu'elle ne satisfait plus.

que

Cette lutte amène la troisième époque, l'anéantissement de la forme rebelle; et de là les crises d'incrédulité complète, crises désordonnées et quelquefois terribles, mais inévitables, quand l'homme doit être délivré de ce qui ne lui serait désormais qu'une entrave. Ces crises sont toujours suivies d'une forme d'idées religieuses, mieux adaptée aux facultés de l'esprit humain, et la religion sort plus jeune, plus pure et plus belle de ses

cendres.

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