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indique une cause, toute cause produit son effet. Nos corps sont destinés à périr: aussi contiennent-ils des germes de destruction. Ces germes, combattus quelque temps par le principe vital qui assure notre durée passagère‚· triomphent néanmoins. Pourquoi la tendance que nous avons décrite et qui peut-être est déterminée par un germe d'immortalité, ne triompherait-elle pas aussi? Nous sentons nos corps entraînés vers la tombe: la tombe s'ouvre pour eux. Nous sentons une autre partie de nous, une partie plus intime, quoique moins bien connue, attirée vers une autre sphère: qui osera dire que cette sphère n'existe pas, ou nous reste fermée?

Si vous erriez au sein de la nuit, n'ayant que la notion de l'obscurité, et toutefois y trouvant une douleur secrète et amère, et si tout-à-coup, dans le lointain, la voûte ténébreuse s'entr'ouvrait par intervalles, laissant échapper une splendeur subite qui disparaîtrait aussitôt, ne penseriez-vous pas que derrière cette voûte opaque, est l'univers lumineux dont le désir inexplicable vous dévorait à votre insu?

On peut donc, bien que le sentiment reli

gieux n'existe jamais sans une forme quelconque, le concevoir indépendamment de toute forme, en écartant tout ce qui varie, suivant les situations, les circonstances, les lumières relatives, et en rassemblant tout ce qui reste immuable, dans les situations et les circonstances les plus différentes.

Car par cela même que ce sentiment se proportionne à tous les états, à tous les siècles, à toutes les conceptions. Les apparences qu'il revêt sont souvent grossières. Mais en dépit de cette détérioration extérieure, on retrouve toujours en lui des traits qui le caractérisent et le font reconnaître. En s'associant, comme nous l'avons montré, aux intérêts communs, aux calculs vulgaires, il répugne néanmoins à cette alliance; pareil à un envoyé céleste, qui, pour policer des tribus barbares, se plierait à leurs mœurs et à leur langue imparfaite, mais dont la voix et le regard attesteraient toujours qu'il est d'une race supérieure et a vu le jour dans de plus heureux climats. Quoi de plus ignorant, de plus superstitieux que le sauvage abruti, qui enduit de boue et de sang son informe fétiche? Mais suivez-le sur le tombeau de ses morts: écoutez les lamenta

tions des guerriers pour leurs chefs, de la mère pour l'enfant qu'elle a perdu. Vous y démêlerez quelque chose qui pénétrera dans votre ame, qui réveillera vos émotions, qui ranimera vos espérances. Le sentiment religieux vous semblera, pour ainsi dire, planer sur sa propre forme.

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CHAPITRE II.

De la nécessité de distinguer le sentiment religieux des formes religieuses, pour concevoir la marche des religions.

La distinction que nous avons tâché d'établir dans le chapitre qu'on vient de lire, a été méconnue jusqu'à présent. Elle est néanmoins la clef d'une foule de problèmes, dont aucun effort n'a pu encore nous donner la solution. Non-seulement l'origine des idées religieuses est inexplicable, si nous n'admettons l'existence du sentiment religieux; mais il se rencontre, dans la marche de toutes les religions, mille phénomènes dont il nous est impossible également de nous rendre compte, si nous ne distinguons entre le sentiment et la forme. Il faut donc ne rien négliger pour rendre cette

vérité manifeste, et pour l'environner d'évidence.

Le sentiment religieux naît du besoin que l'homme éprouve de se mettre en communication avec les puissances invisibles.

La forme naît du besoin qu'il éprouve également de rendre réguliers et permanents les moyens de communication qu'il croit avoir découverts.

La consécration de ces moyens, leur régularité, leur permanence, sont des choses dont il ne peut se passer. Il veut pouvoir compter sur sa croyance; il faut qu'il la retrouve aujourd'hui ce qu'elle était hier, et qu'elle ne lui semble pas, à chaque instant, prête à s'évanouir et à lui échapper comme un nuage. Il faut, de plus, qu'il la voie appuyée du suffrage de ceux avec lesquels il est en rapport d'intérêt, d'habitude et d'affection: destiné qu'il est à exister avec ses semblables, et à communiquer avec eux, il ne jouit de son propre sentiment que lorsqu'il le rattache au sentiment universel. Il n'aime pas à nourrir des opinions que personne ne partage; il aspire pour sa pensée, comme pour sa conduite, à l'approbation des autres, et la sanc

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