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le combat: c'est que la véritable force est tout entière du côté de la faiblesse apparente. La forme ancienne est morte, elle n'aspire qu'au repos des morts. La forme nouvelle veut lutter et vaincre, parce que, pleine du sentiment religieux, elle a ranimé la vie de l'ame et réveillé la poussière des tombeaux.

CHAPITRE VI.

De la manière dont on a jusqu'ici envisagé la religion.

Si maintenant nous appliquons les réflexions qu'on vient de lire à la manière dont on a jusqu'ici écrit sur la religion, l'on sera peu surpris que presque tous ceux qui ont voulu aborder ce vaste sujet aient fait fausse route. Trois partis se sont formés, qui, faute d'avoir conçu la nature et la marche progressive du sentiment religieux, sont tombés tous les trois dans de graves erreurs (27).

Le premier, considérant la religion comme inaccessible à l'homme livré à ses propres forces et à ses propres lumières, communiquée à lui par l'Être suprême d'une manière positive et immuable, ne pouvant que perdre en étant modifiée par l'esprit humain, et devant, lors

que le laps des temps l'a ainsi modifiée, être ramenée le plus qu'il est possible à son premier état et à sa pureté primitive, a dit qu'il fallait raffermir à tout prix les croyances ébranlées. Mais il n'a pas recherché si cette entreprise était au pouvoir d'une autorité quelconque. L'histoire nous montre toutes les précautions inutiles, toutes les sévérités impuissantes. Socrate empoisonné, Aristote fugitif, Diagoras proscrit, n'arrêtèrent pas l'incrédulité d'Athènes. La philosophie grecque, chassée de Rome, revint bientôt pour y triompher, et l'austérité de Louis XIV dans sa vieillesse ne fit que préparer la France impatiente à l'irréligion la plus manifeste et la plus hardie.

Le second parti, justement épouvanté des maux que produisent le fanatisme et l'intolérance, n'a vu dans la religion qu'une erreur, tantôt grossière, tantôt raffinée, tantôt matérielle, tantôt abstraite, mais toujours plus ou moins funeste. Il en a conclu qu'il serait désirable de fonder la morale sur une base purement terrestre, et d'extirper tout sentiment religieux. Mais s'il avait consulté l'expérience, la religion se serait montrée à lui, renaissant toujours, au moment où les lumières s'enor

gueillissaient de l'avoir étouffée. Juvénal écrivait que les enfants seuls croyaient à une autre vie; et cependant une secte ignorée se glissait dans l'empire les yeux fixés sur un monde futur, et le monde présent devait être sa conquête. Et en effet, si la religion nous est nécessaire, s'il existe en nous une faculté qui demande à s'exercer, si notre imagination a besoin de sortir des limites qui nous renferment, s'il faut à cette partie souffrante et agitée de nous-mêmes un monde dont elle dispose et qu'elle embellisse à son gré, ce serait bien en vain qu'on reprocherait à la religion ses inconvénients ou ses périls. La nécessité vaincra toujours la prudence. Qui ne peut supporter la terre doit affronter les flots, quelque semée d'écueils que la mer puisse être.

Enfin, le troisième parti, prenant ce qu'il regardait comme un juste milieu entre deux extrêmes, a cru devoir n'admettre qu'une doctrine qu'il nommait la religion naturelle, et qu'il réduisait aux dogmes les plus purs et aux notions les plus simples. Mais ce parti mitoyen n'a différé des deux premiers, des orthodoxes et des incrédules, que dans son but et non dans sa route; il a supposé, comme eux, que

l'homme pouvait être mis en possession d'une vérité absolue, et par conséquent toujours la même et toujours stationnaire. Quiconque professait strictement, exclusivement, les dogmes auxquels il s'était restreint, lui a paru posséder cette vérité. Quiconque restait en-deçà par l'athéisme, ou allait au-delà en reconnaissant des révélations miraculeuses, lui a semblé se tromper également.

De ces trois manières d'envisager la religion, il est résulté, nous osons le dire, que personne encore ne l'a contemplée sous son véritable point de vue. Un coup d'œil rapide sur les écrits religieux ou incrédules de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, nous fournira d'irrécusables preuves de cette assertion.

Avant le commencement du XVIIIe siècle, tous les ouvrages publiés en France par les défenseurs des communions diverses, n'étaient consacrés qu'au triomphe de leur secte. Ils partaient tous d'un point convenu qui leur interdisait les questions fondamentales, ou les dispensait de s'en occuper.

Source féconde de disputes, l'hérésie était envisagée par les catholiques comme une erreur volontaire et traitée comme un crime (28).

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