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CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

LES livres hébreux nous fournissent les renseignements les plus suivis et les plus précieux sur les causes qui amènent la séparation des deux pouvoirs, et sur la manière dont cette séparation s'effectue, c'est dans ces livres que se rencontrent les détails les plus circonstanciés sur les dissensions et les hostilités qui en résultent.

D'abord Jéhovah gouverne sans partage. Moyse exerce en son nom l'autorité suprême. Aaron lui-même, bien que revêtu du sacerdoce, obéit au prophète (1). Les deux pou

(1) Moyse, en instituant le sacerdoce, et en lui donnant Aaron pour chef, ne se dépouilla point du pouvoir sacerdotal. Aaron ne devait être que son organe et son

voirs n'en forment qu'un. Néanmoins, succombant sous le poids de soins multipliés, Moyse délégue les fonctions civiles et judiciaires à des hommes que le peuple lui présente (1). Ces hommes ne sont que ses instruments; mais déja le choix populaire contient d'une autorité différente de l'autorité

le

germe théocratique.

Ce germe semble disparaître de nouveau sous Josué. Il concentre en ses mains les deux puissances, parle à Jéhovah, transmet ses volontés aux Hébreux, commande aux prêtres, comme aux anciens des tribus, immole les victimes, préside aux cérémonies, prononce les jugements, conduit les armées. Mais après sa mort, des invasions et des défaites rendent au pouvoir militaire, séparé de la prêtrise, une importance nouvelle. Des guerriers, appelés inexactement des juges, prennent place immédiatement au-dessous des grands-pre

subordonné. « Il parlera pour toi au peuple », dit Jéhovah à Moyse, « et il sera ta bouche. Tu tiendras à son

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égard la place de Dieu. » (Exod. IV, 16. )

(1) Exon. XVIII, 17-24. DEUTER. I, 13-14..

tres, et l'esprit d'indépendance ne tarde pas à s'emparer d'eux. Ils réclament des droits héréditaires : une portion des Juifs reconnait ces droits (1) et un premier appel est fait à la royauté (2). Cette tentative est réprimée : les juges demeurent au second rang. Ils ne sont nommés qu'après les pontifes, et leur autorité viagère et restreinte n'est en rien comparable à l'autorité sacerdotale (3). Il pa raîtrait même que, peu satisfait de cette suprématie, le sacerdoce voulut ressaisir la force temporelle car Héli était à la fois juge et grand-prêtre, et Samuel qui le remplaça réunissait les deux qualités à la bataille de Masphath (4).

Mais enfin l'idée de la séparation des pouvoirs triomphe.

Le peuple demande un roi (5). Vainement

(1) Juges, IX, 1, 2, 16-18.

(2) Juges, ib. 6 et 23.

(3) « Je ne régnerai pas sur vous, » dit Gédéon aux Juifs, « ni mon fils; mais le Seigneur régnera sur vous. » (Juges, VIII, 22-23.)

(4) Rois, VII, 6 et 11.

(5) « Tu es vieux, » dit le peuple à Samuel : « tes fils ne

le sacerdoce résiste, il annonce vainement aux Juifs l'indignation divine (1), et les châtiments que cette indignation leur apprête (2): me

« marchent pas dans tes voies donne-nous un roi. »> (Rois, I, VIII, 5-6.)

(1) « Vous avez aujourd'hui rejeté votre Dieu, » dit Samuel au peuple assemblé. ( Rois, I, X, 19. ) « Écoute la « voix du peuple, » dit Jéhovah au prophète. « Ce n'est « pas toi, c'est moi qu'il méprise, en ne voulant pas « que je règne sur lui.» (Rois, I, VIII, 7, 8. JOSEPHE, Antiq. jud. IV, 8. SPENCER, de Legib. ritual. Hebræor. I, 227-240.)

(2) Jamais peut-être la théocratie ne fut plus éloquente que dans son tableau de la royauté. « Le roi, dit Samuel, prendra vos enfants pour conduire ses charriots, il s'en fera des gens de cheval, et les fera courir devant son char. Il en fera ses officiers pour commander les uns ⚫ mille hommes et les autres cinquante. Il prendra les uns " pour labourer ses champs et pour recueillir ses blés, * et les autres pour lui faire des armes et des charriots. Il « se fera de vos filles des parfumeuses, des cuisinières, et des boulangères. Il prendra aussi ce qu'il y aura de « meilleur dans vos champs, dans vos vignes et dans vos plants d'olivier, et il le donnera à ses serviteurs. Il vous « fera payer la dime de vos blés, et du revenu de vos

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vignes pour avoir de quoi donner à ses eunuques et à ses officiers. Il prendra vos serviteurs, vos servantes, et les jeunes gens les plus forts avec vos ânes, et il les fera

* travailler pour lui. Il prendra aussi la dime de vos trou

nace inutile! Il est contraint à céder (1). Les pouvoirs sont en présence et vont se combattre.

On ne saurait méconnaître, dans l'histoire de Saül et de Samuel, bien qu'elle soit présentée sous le point de vue et dans l'intérêt sacerdotal, une vengeance de la théocratie contre la royauté qu'elle institue à regret (2).

Choisi dans un rang obscur par le sacerdoce qui veut rester son maître (3), soumis à

« peaux, et vous serez ses serviteurs. Vous crierez alors « contre votre roi, que vous avez élu, et le Seigneur ne « vous exaucera point, parce que c'est vous-mêmes qui 、 « avez demandé d'avoir un roi. » Rois. I, VIII, 11, 18.

(1) Un théologien célèbre, en attribuant à Dieu même cette condescendance, applique d'une manière assez bizarre, à la toute-puissance divine, les conseils de prudence et de flexibilité que Cicéron donne à ses amis. «Non permanendum est in unâ sententiâ, conversis rebus, etc. » Cic. Ép. 9. ad Lentul.) Jamais l'anthropomorphisme ne s'est trahi plus ouvertement. (SPENCER, de leg. Rit. Hebr. I, 243.)

(2) LILIENTHAL, Gutachten der Gottlich. Offenb. VI,

212.

(3) Bien que Saül paraisse désigné par le sort, la manière dont son élection est racontée prouve que les prê tres s'en emparèrent, et surtout qu'ils cherchèrent à faire

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