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franchie, comme en Grèce, ses progrès, d'abord moins rapides, ne sont ensuite arrêtés par rien. Libres, mais ignorants, les Grecs retombèrent dans le fétichisme, car ils professaient le polythéisme sacerdotal, qui, comme on le verra, se compose toujours de deux parties, d'une doctrine secrète et du fétichisme. Les corporations de prêtres étant anéanties, la doctrine secrète fut oubliée, le fétichisme demeura seul.

Du reste, ne déplorons pas ce mouvement rétrograde. Sous la domination des prêtres, les sciences, renfermées dans une étroite et mystérieuse enceinte, ne pouvaient être en Grèce, comme partout, que la propriété d'un petit nombre, qui en faisait la base ou l'instrument de son despotisme. En toutes choses, la vreté vaut mieux que le monopole.

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brûlé ses villes, démoli ses temples, détruit ses monuments, dispersé ou tué ses prêtres, la religion et les sciences semblèrent disparaître. Mais l'ordre sacerdotal s'étant formé de nouveau, l'Égypte rentra dans son ancienne voie. Les lumières qu'elle possédait se retrouvèrent bientôt au même degré qu'avant l'invasion perse, imparfaites, inaccessibles, étrangères à tout progrès comme avant cette invasion.

CHAPITRE III.

De la religion et du sacerdoce des premiers temps de la Grèce, d'après le témoignage des historiens grecs.

REJETÉS

EJETÉS dans l'état sauvage, les Grecs durent en parcourir les degrés, en professer le culte (1). Ils durent, comme les sauvages de toutes les époques, supposer que les parties diverses de la nature étaient animées de l'esprit divin, et ils adorèrent cet esprit divin

(1) Nous ne reviendrons point ici sur les faits et les raisonnements qui démontrent que le théisme n'a pu être la croyance des Grecs antérieurs aux temps homériques. Indépendamment des arguments que nous avons allégués déjà contre l'hypothèse du théisme contemporain de la barbarie, les témoignages des auteurs anciens les plus dignes de confiance repoussent tout ce que les modernes ont affirmé sur la foi des ouvrages apocryphes attribués à Orphée, à Musée et à d'autres personnages fabuleux. Loin de considérer Orphée comme l'auteur d'une doctrine plus pure que la croyance

dans les animaux, les pierres, les arbres, les montagnes.

populaire, les philosophes et les orateurs grecs l'accusaient d'avoir accrédité les fables les plus grossières et les plus révoltantes. « Orphée, qui prête plus que per« sonne,» dit Isocrate (in Busirid.), « des indécences aux a immortels, fut mis en pièces, en punition de ce crime.. Diogène Laerce refuse le nom de philosophe à ce même Orphée, qui attribuait aux dieux les excès les plus honteux, et ce dont les hommes souillent à peine leur bouche. (DIOG. in Procem. 3.) Musée, qu'on a voulu faire passer aussi pour un théiste, représente le bonheur céleste, nous dit Platon (de Rep.), d'une manière beaucoup plus sensuelle qu'Homère et Hésiode, et prétend qu'une ivresse perpétuelle sera la plus digne récompense de la vertu. Et pourtant, après avoir parlé de l'opinion d'Hérodote sur le premier culte des Pélages, M. de Sainte-Croix ajoute : « Telle était l'idée que des polytheistes pouvaient se former du théisme des premiers habitants de la Grèce, et la manière dont ils devaient l'exprimer. Au théisme devait succéder naturellement l'ouranisme ou le culte du ciel matériel. On y joignit bientôt celui de la terre. » ( Myst. du Pag. éd. de M. de Sacy, p. 14.) Présupposer ainsi le théisme nous semble une obstination inexplicable. On voit, du reste, avec plaisir que ces idées chimériques sont abandonnées par les écrivains de nos jours. M. Rolle, auteur d'un ouvrage trèsrecommandable sur le culte de Bacchus, reconnaît que les premiers Grecs étaient des sauvages, et que leur culte était très-grossier, I, 1-2.

Telles sont, en effet, les divinités que tous les écrivains grecs nous indiquent comme les plus anciens objets de la vénération religieuse de leurs compatriotes.

Dans les temps reculés, dit Pausanias, les Grecs rendaient à des pierres toutes brutes les honneurs que depuis ils ont rendus aux simulacres des immortels (1). Les Thespiens adoraient un rameau (2); les habitants de l'île d'Eubée et les Cariens, des morceaux de bois (3) les montagnards du Cythéron, un tronc d'arbre; à Samos, une simple planche avait des autels, et les plus anciennes images de la Pallas et de la Cérès d'Athènes étaient des pieux, pareils aux idoles des Tongouses (4); la Vénus de Paphos était une pierre. A trois stades de Gythée, on voyait une roche informe. On racontait qu'Oreste, s'y étant assis, avait recouvré la raison; et en mémoire de cet événement, cette roche mystérieuse portait le

(1) Achaïc. 22. Voy. aussi, sur le fétichisme des premiers Grecs, ESCHYLE, Prométhée, 642 et suivants.

(2) ARNOBE, VI.

(3) Culte des dieux fétiches, p. 151-152. (4) CREUTZ. Symbol. I, 184.

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surnom de Jupiter (1). Il est probable qu'elle était primitivement un objet d'adoration, et que les hommages qu'on lui rendait s'étant conservés, après que la religion se fut modifiée, l'on inventa une fable pour les moti ver. Souvent les fables qu'on présente comme la source des cérémonies n'en sont que les conséquences. Les Orchoméniens nourrissaient un profond respect pour des pierres tombées du ciel et ramassées, disaient-ils, par Étéocle (2). Mais il y a dans Pausanias deux passages encore plus frappants.

« A Phares, ville d'Achaïe, dit-il (3), près de « la statue de Mercure Agoréen, des pierres « carrées, au nombre de trente, sont adorées << par les habitants, sous le nom de quelque « divinité, ce qui est conforme à l'ancienne religion des Grecs. La statue de Cupidon, à Thespis,» raconte-t-il ailleurs, « est, comme « dans les premiers temps, une pierre informe, qui n'a jamais été mise en œuvre (4). »

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(1) PAUSAN. Lacon. 22.

(2) PAUS. Boot. 18,

(3) Achaic.

(4) Bœotic. 25. Dans le temple de Delphes, dont les

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