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quefois les traditions expriment le patriotique désir de nationaliser les découvertes dont les étrangers réclamaient l'honneur. Ainsi ce n'est plus l'Égyptien Cécrops, mais l'Athénien Buzygès qui est l'inventeur de la charrue (1).

Chacune de ces traditions sert à rendre la religion grecque plus indigène. Elles établissent de nouveaux liens entre les dieux et ceux qui les adorent, entre le sol et ceux qui l'habitent. A la mort d'un héros, les arbres, les fleuves, le ciel et la terre s'affligent, comme ses compatriotes.

Ces traditions éparses se concentrent et se circonscrivent, dans un espace de temps que détermine une chronologie idéale (2). Cet

(1) PAUSAN. Attic. 22.

(2) Les âges héroïques de la Grèce sont renfermés dans cinq générations, en y comprenant les héros qui combattaient au siége de Troie, époque à laquelle con mencent déja les temps historiques. La première de ces générations est celle de Persée et de Pélops; la seconde, celle d'Amphitryon, père d'Hercule; la troisième, celle d'Hercule, contemporain de Nélée, père d'OEnée et de Nestor; la quatrième, celle des Argonautes, de Tydće fils d'OEnée, et des guerriers qui assiégèrent Thèbes. Car

espace est manifestement trop resserré pour contenir les évènements qui s'y trouvent en

un fils de Jason, qui commerçait avec les Grecs, campait sous les murs de Troie. ( Iliad. VII, 467-469. ) Enfin, la cinquième génération est celle d'Achille et d'Agamemnon. Homère place la fondation de Troie cinq générations avant Priam. Il crée ainsi cinq générations troyennes, pour correspondre aux cinq générations grecques. Cent cinquante années n'ont pu suffire pour conduire les Grecs d'une situation demi-sauvage à celle que décrit Homère. Nous voyons dans les poëmes qui portent son nom de fortes inégalités de fortune et de pouvoir, des princes revêtus d'une autorité reconnue et presque toujours respectée, et une population beaucoup plus considérable que l'état sauvage ne saurait l'admettre. La vie purement pastorale était déja si étrangère à l'auteur de l'Odyssée, qu'il ne l'attribue qu'à la race fabuleuse des Cyclopes. (FRED. SCHLEGEL, Hist. de la poésie grecque.) Hercule, parcourant la Grèce, rencontrait à chaque pas des brigands ou des monstres. Thésée, se rendant de Trézène à Athènes, était assailli de mille périls. Télémaque, dans son voyage de Pylos à Sparte, n'est, au contraire, menacé d'aucun danger. Pisistrate et lui partent dans un char tiré par deux chevaux, sans suite et sans escorte, portant avec eux des provisions pour un jour. Ils arrivent le soir à Phères, ou Dioclès, un des grands du pays, leur donne l'hospitalité : le lendemain ils atteignent Sparte; et leur retour est aussi paisible que leur voyage.

tassés et confondus. L'enfance des nations, n'étant marquée que par des souvenirs rares et obscurs, se resserre pour ainsi dire, quand les âges qui suivent la contemplent à distance, et paraît alors bien plus courte qu'elle ne l'est en réalité.

CHAPITRE VII.

Résultat.

ELS sont les éléments nombreux et diversifiés du polythéisme grec. C'est un mélange de quelques restes d'un culte grossier avec les souvenirs du passé, les réminiscences des pays lointains, les récits des voyageurs. C'est l'histoire des migrations et de l'établissement de chaque peuplade, du défrichement de chaque contrée, de la fondation de chaque ville, des exploits des chefs, des rivalités et des malheurs de leurs dynasties. C'est de la science déguisée en fables, des préceptes mis en action, des subtilités métaphysiques personnifiées et méconnaissables. Dans une religion vivante, ces choses se confondent. L'imagination et la croyance ne distinguent pas comme le raisonnement et

la réflexion. La classification est une espèce d'anatomie qui ne s'exerce que sur les morts.

De tous ces éléments hétérogènes résulte pourtant un tout uniforme, qu'un même esprit semble animer.

Si, comme nous en convenons, la religion grecque fut plus qu'aucune autre enrichie par des emprunts, jamais ces emprunts n'altérèrent son génie constitutif. Les coutumes et les opinions que les Grecs reçurent à diverses époques et de diverses nations, par la succession des temps et la communication des peuples, n'y pénétrèrent que partiellement, isolément, les unes dans un lieu, d'autres dans un autre, sans y recomposer l'ensemble qu'elles avaient formé sous la main des prêtres, et sans dominer jamais sur la masse des opinions grecques (1). Les changements que ces dernières subirent furent toujours l'effet des progrès

(1) Nous ne saurions trop répéter que cette vérité a été sentie par ceux mêmes qui avaient le plus d'intérêt à la nier, puisqu'ils voulaient prêter à la religion grecque un sens symbolique et profond. « Malgré toutes les influences a que l'esprit grec reçut de l'étranger», dit M. Creutzer, « il conserva dans la religion son caractère propre. De

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