Page images
PDF
EPUB

fervir de gages, & cependant il fe rendit au Village pour faire favoir leur arrivée. Le chaffeur Nikana & un Laquais du Sieur de la Salle l'accompagnerent. Au bout de deux jours ils revinrent avec deux chevaux chargez de provifions, & plufieurs Chefs de ces Sauvages l'accompagnoient.

Ils étoient fuivis de guerriers habillez fort proprement de peaux paflées & ornées de plumes. Ils portoient tous le Calumet en ceremonie. Ils les rencontrerent à trois lieues du Village, qui alloient au devant d'eux. Le Sieur de la Salle y fut reçû comme en triomphe, & logea chez le grand Capitaine. C'étoit un concours furprenant de peuples, dont la jeuneffe paroiffoit rangée fous les armes fe relevant jour & nuit, & les comblant de biens, & de toutes fortes de vivres. Cependant le Sieur de la Salle craignant qu'une partie de fon monde ne fe débauchât avec des femmes, les fit camper à trois lieues du Village. Ils demeurerent. là trois ou quatre jours, & traiterent avec ces peuples pour des chevaux, & pour plufieurs autres chofes, qui leur étoient neceffaires. Ce village, qu'on appelle des Cénis, eft un des plus confiderables, qui fe trouvent dans toute l'Amerique, & eft extrémement peuplé. Il a bien vingt lieuës de long au moins. Ce n'eft pas qu'il foit contiguement habité. Il l'eft feulement par hameaux de dix ou douze Cabannes; qui font comme des cantons, & qui ont chacun des noms differens. Leurs cabannes font belles, longues de 40 ou o pieds, dreffées en maniere de ruches à miel. On y plante des arbres

bres, qui fe rejoignent en haut par les branches, que l'on couvre d'herbes. Les lits font placez autour des Cabannes, élevez de terre d'environ trois ou quatre pieds. Le feu eft au milieu, & chaque cabanne fert de logement à deux familles. Ils trouverent chez les Cénis plufieurs chofes qui viennent indubitablement des Efpagnols, comme des Piaftres & autres monnoyes, des cucilllers d'argent, de la dantelle de toutes fortes, des habits, des chevaux. Ils y virent entr'autres une Bulle du Pape, qui exempte du jeune les Espagnols du Mexique pendant l'été. Les chevaux y font communs. On en donnoit un à nos gens pour une hache. Un Cénis voulut donner un cheval pour le capuchon du Pere Anaftafe, dont il avoit envie.

Ils ont commerce avec les Espagnols par le moyen des Choumans alliez des Cénis qui font toujours en guerre avec la nouvel le Efpagne. Le Sieur de la Salle, qui a toujours pensé à faire quelque entreprise fur les Mines de fainte Barbe du Nouveau Mexique, fit faire une Carte de leur pays, de celui de leurs voifins & du Fleuve Mif fiffipi, dont il croyoit qu'ils avoient connoiffance. Ils marquerent tout cela fur une écorce d'arbre. Ils dirent, qu'ils étoient à fix journées des Espagnols, dont ils firent une défcription fi naturelle, qu'il ne refta. plus aucun doute au Sieur de la Salle; quoique les Efpagnols n'euffent fait encore aucune entreprise fur ces Peuples ni fur leurs villages. Seulement leurs guerriers fejoignoient aux Choumans pour aller à la guerre

dans

dans le nouveau Mexique.

[ocr errors]

Le Sieur de la Salle, qui favoit parfaitement bien l'art de gagner les Sauvages de toutes les Nations, raviffoit ces peuples à tout moment en leur faifant entendre que celui qui l'avoit envoyé chez eux, étoit le plus grand Capitaine du monde, auffi haut que le Soleil, & autant élevé par deffus les Efpagnols, que le Soleil l'eft au deffus de la terre. Au récit des Victoires du grand Monarque dont le Sieur de la Salle parloit, les Cénis faifoient des exclamations mettant la main fur la bouche pour marquer leur étonnement. Le Pere Anaftafe dit qu'il trouva ces peuples fort dociles, & fort traitables. Il ajoute, qu'ils entroient affez dans ce qu'on leur difoit de l'existence & de la verité d'un Dieu Createur & Maitre du Monde.

Il eft certain, que le Sieur de la Salle a voit un talent particulier de gagner l'amitié des Sauvages. Cependant il n'avoit point alors de truchement pour expliquer fes penfées aux Cénis. Il ne pouvoit donc s'exprimer que par quelques fignes: ce qui fait voir que ces longs difcours font des chofes exaggerées. Ledit Sieur de la Salle ayant toute l'obligation de fa fortune à fon Souverain avoit raifon de l'élever bien haut. Cependant il ne devoit point le faire au prejudice de la Nation Efpagnole, & fur tout du Roi d'Espagne, qui outre les grands_& vaftes Païs dont il est Souverain dans l'Europe, eft encore Seigneur des Indes Orien tales & Occidentales: ce qui a donné lieu à ce qu'on dit ordinairement, & que le

« PreviousContinue »