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lence. Le Christ disait aux Juifs : « Si vous êtes fidèles à ma doctrine, vous serez mes vrais disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la liberté vous procurera la liberté véritable... Si le Fils de Dieu vous délivre, alors seulement vous serez vraiment libres. » C'est dans l'Eglise, dépositaire de la vérité divine, qu'est la source de toutes les vraies libertés : libertés civiles, libertés sociales, liberté domestique, liberté politique.

Quand, au contraire, la liberté de l'Eglise est opprimée, l'Etat absorbe immédiatement toutes ces libertés, et, sous quelque nom qu'elle se cache, la tyrannie s'empare de toutes les consciences et de tous les droits. Dans la société antique le pouvoir de l'Etat s'identifiait dans un potentat absolu ou dans une aristocratie en dehors de laquelle il n'y avait que l'esclavage.

L'humanité était alors divisée en trois classes, les rois et leurs agents serviles, les hommes libres, soumis aux caprices des premiers et la plèbe, qu'on traitait à merci et qui servait de machine chargée de produire par son travail les choses nécessaires et utiles aux classes privilégiées.

Que l'on étudie l'histoire des empires de l'Egypte, de la Grèce, de l'Asie centrale, de Rome elle-même, et l'on verra que cette classification est absolument exacte.

En proclamant la séparation des deux pouvoirs par cette parole mémorable : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », le Christ inaugura un principe nouveau dans le sein de la société ; les libertés religieuses et civiles en sont sorties, comme deux fleurs d'une même tige. Jusqu'alors Dieu et l'Etat c'était tout un l'obéissance. L'obéissance que l'on rendait à l'un ne se distinguait jamais de celle que l'on rendait à l'autre. Déjà, avant le Christ, les Macchabées étaient morts martyrs de cette distinction fondamentale

Joan VIII, 32-36.

et sacrée ; mais leur héroïque résistance fut un fait isolé dans l'ancien monde. Aussi, les Apôtres scandalisèrent-ils les princes de la Synagogue lorsqu'ils répondirent à l'ordre de ne plus prêcher la doctrine de leur divin Maître Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Et rien ne paraissait plus étrange à la conscience asservie des magistrats romains, que cette protestation, jusqu'alors inouïe, des martyrs chrétiens : « Nous sommes chrétiens, nous ne pouvons offrir des sacrifices à l'empereur. » Jupiter, Alexandre et les empereurs romains, depuis Auguste, avaient reçu, sans opposition, les honneurs divins; les disciples seuls du Christ refusèrent, comme Daniel, d'adorer un autre Dieu que le Dieu véritable. De la part des Juifs c'était excusable, Jéhovah étant leur Dieu unique et national. De la part des chrétiens, qui ne formaient pas une nationalité séparée, c'était intolérable aux yeux de tous ceux qui jugeaient les choses au point de vue des idées généralement admises dans l'ancien monde.

Habitués que nous sommes à voir, dans la société organisée sous l'inspiration du christianisme, deux pouvoirs distincts, bien que subordonnés, ayant leurs droits réels et incontestés, leurs devoirs réciproques et leur influence diverse concourant à un même but, la distinction des deux pouvoirs, nous paraît l'état normal de la vie sociale, et il l'est en effet. Mais c'est là une idée chrétienne, inconnue du monde païen.

Même dans la société domestique, un seul pouvoir absolu était la forme de l'autorité. La femme était l'esclave de l'homme, et là où elle avait été gratifiée de quelque émancipation, c'était au détriment de l'harmonie de la société domestique. Le divorce, la séparation absolue des deux conjoints était le seul remède inventé par l'esprit humain pour sauvegarder l'intérêt de l'un et de l'autre.

En voyant ce que la Révolution nous prépare, on cons

tate, au xix et au xx° siècle, les mêmes tendances séparatistes résultant des mêmes aberrations. Aujourd'hui, la Révolution refuse à l'Eglise l'autorité d'un pouvoir réel et distinct; elle ne trouve qu'un seul moyen de satisfaire aux réclamations des consciences catholiques : la séparation de l'Eglise et l'Etat. Et comme la société domestique reçoit nécessairement les contre-coups des ébranlements de la société politique, le divorce est, aux yeux des révolutionnaires, le seul remède efficace pour rétablir la famille dans une situation complètement en harmonie avec les idées modernes.

En effet, une fois que l'on ne reconnaît plus d'autre pouvoir que celui de l'Etat, on est en droit de se débarrasser de tout ce qui ferait obstacle à l'union parfaite avec l'Etat, ou avec les passions révolutionnaires qui font la loi dans l'opinion publique.

Ces considérations paraîtront peut-être trop abstraites à plusieurs. Elles étaient cependant nécessaires pour initier le lecteur aux vérités qui vont suivre et en faire comprendre le véritable sens et la haute portée. Quiconque a souci de la dignité de l'homme et de la liberté doit aimer la distinction des deux pouvoirs politique et religieux et en reconnaître l'utilité et la nécessité même absolue. C'est le fondement de la liberté de l'Eglise.

II

Proclamer la liberté de l'Eglise, c'est revendiquer en même temps son indépendance souveraine. Vouloir abaisser l'Eglise jusqu'aux pieds des puissances terrestres, au lieu de la représenter couronnée de son diadème royal, c'est la désarmer et la déclarer vaincue. Non, l'Eglise n'est point une institution humaine, et son Fondateur ne l'a point faite servante et sujette. Le saint Pape Pie VIII le proclamait encore, le 30 juin 1830, dans ses Lettres apostoliques aux évêques de la province

rhénane : « L'Eglise est libre en vertu de son institu tion divine, disait-il1; et en sa qualité d'épouse immaculée de l'Agneau sans tache, le Christ Jésus, elle ne peut être soumise à aucune puissance terrestre. >>

Telle est la foi de l'Eglise, tel est le drapeau qu'il faut avoir le courage d'opposer aux dénégations des impies. Le Christ a dit à ses Apôtres : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, revêtus de ce pouvoir divin, enseignez ma doctrine à toutes les nations, à toute créature3, leur ordonnant d'observer tout ce que je vous ai commandé à vous-mêmes. »>

Or, les commandements du Christ n'avaient pas seulement pour objet les enseignements de la foi, mais encore la soumission aux lois de la société complète, parfaite et souveraine qu'il avait organisée lui-même dans le but de régénérer par elle l'humanité tout entière. Il avait dit à Pilate « Je suis roi, non pas roi de ce monde, à la manière de ceux qui doivent leur puissance aux proclamations plus ou moins volontaires de l'armée ou du peuple, mais en vertu du droit de ma naissance éternelle et de ma naissance humaine'. C'est donc bien un droit divin qu'il communiqua à son Eglise et qu'il imposa au monde.

Quiconque croit à l'Evangile ne peut refuser son adhésion à cette vérité. Quiconque se glorifie d'être chrétien doit se glorifier de la puissance conférée à la société dont il est membre. Si, selon la parole du même Sauveur, mépriser l'un de ses représentants c'est le mépriser lui

« Libera est institutione divina, nullique obnoxia terrenæ potestati Ecclesia, intemerata sponsa immaculati Agni Christi Jesu. »

* Math., XXVIII, 18: « Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra, euntes ergo docete omnes gentes..., docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis. >>

3 Marc, xvi, 13 : « Euntes in mundum universum prædicate Evangelium omni creaturæ. »>

Joan, XVIII, 57: « Tu dicis, quia rex ego sum. Ego in hoc natus sum, et ad hoc veni in mundum. »

même'; à plus forte raison ne pas écouter l'Eglise et méconnaître son autorité souveraine, c'est renier le Christ 2.

Un corps moral a toutes les qualités d'un corps social lorsqu'il possède une vie propre et indépendante, et que son chef exerce sur ses membres le triple pouvoir de législateur, de juge et de souverain. Or, dans l'Eglise, toutes ces qualités se trouvent réunies, à un degré supérieur, car ses sentences dépassent les limites de la sphère terrestre, selon cette parole du divin Maître « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. »

C'est en ce sens que toute puissance au ciel, aussi bien que sur la terre, lui a été communiquée au ciel pour en faire descendre la justice ou la miséricorde sur les coupables; sur la terre pour détruire les vices, fortifier la vertu, et transformer par son action plus ou moins directe les institutions, les lois et jusqu'aux notions mêmes des droits réciproques des peuples et des rois, des sujets et des gouvernements, quels qu'ils soient. Tout cela constitue l'essence même de la vie sociale. Or l'Eglise a, par excellence, la mission de communiquer la vie, car Jésus, dont elle est l'expression visible et permanente, a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie3. »

Mais ce droit de société véritable et cette mission de propager la vraie vie parmi les peuples sont-ils imposés à l'humanité au détriment de sa liberté et des droits de la société, dont les bases reposent sur les principes de la loi naturelle? En un mot Jésus-Christ a-t-il voulu absorber à son profit et au profit de l'Eglise les pouvoirs terrestres? A-t-il voulu enlever une parcelle même d'autorité aux gouvernements des sociétés civiles? On l'a dit,

Luc, x, 16: « Qui vos spernit, me spernit. »

* Math., XVII, 17 : « Si autem Ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus. »

3 Joan, XIV, 6.

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