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dans la milice sainte, et, en face de cette multitude de tout sexe, de tout âge, de toute dignité, qui remplissait les villes et les campagnes, les castella, les îles même ', la force se déclarait impuissante ou, si elle essayait de sévir, elle ne tardait pas à s'avouer vaincue 3. L'Eglise, saisissant avec empressement le manteau que lui offrait, pour couvrir son droit de propriété, un rescrit de l'empereur Sévère, son persécuteur, recouvra peu peu le calme et la paix, vers l'an 212. Las de l'attaquer, le pouvoir impérial lui reconnut implicitement et de plus en plus une existence légale. Elle plaida alors, librement, sans faux-fuyants d'aucune sorte comme une personne morale dont l'existence civile n'est plus contestée. Alexandre Sévère, vers l'an 224', lui donna même gain de cause dans un procès entre l'Eglise romaine, considérée comme telle, et les cabaretiers de la ville de Rome.

Nos modernes ennemis du cléricalisme auraient-ils été aussi libéraux que cet empereur païen?

Une telle sentence était pour l'Eglise un éclatant triomphe. C'était une solution juridique dont la portée était immense. Par là, l'empereur reconnaissait aux chrétiens le double droit qui forme la personnalité civile, celui d'ester en justice et celui d'être propriétaire.

La persécution de Dèce ne put détruire ce droit désormais acquis. L'empereur Aurélien le confirma par la sentence qu'il rendit contre l'évêque hérétique d'Antio

'Tertullian Ad Nationes, I. « Adeo quotidie adolescentem numerum christianurum ingemitis Obsessam vociferamini civitatem: in agris, in castellis, in insulis christianos; omnem sexum, omnem aetatem, omnemque demque dignitatem transgredi a vobis quasi detrimentis doletis

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Tillemont, Hist. Eccl., III, 121-129.

Tillemont. Hist. Eccl., III, 305,

Baronius. Annal Eccl., an. 224, no 4, Lamprid, in. Alexandr. Sev. CXLIX: « Cum Christiani quemdum locum qui publicus fuerat occupassent, contra propissarii dicerent sibi eum deberi, rescripsit melius esse, ut comodocumque illic Deus colatur quam propissariis dedatem.

che, Paul de Samosate, en 2721. Comme celui-ci refusait, malgré sa déposition, de rendre la maison épiscopale à son successeur, les évêques orientaux s'en plaignirent à Aurélien, qui décida que les biens de l'église d'Antioche appartiendraient à celui qui serait en communion avec l'évêque de Rome. Ces deux décisions ne sont probablement pas les seules rendues dans des cas analogues; elles suffisent pour montrer le degré de liberté que l'Eglise était parvenue à conquérir au milieu même de la société romaine encore hostile à ses progrès.

Les actes de réparation qu'elle parvint plus d'une fois à obtenir, après les violences momentanées de la persėcution, prouvent, mieux encore, que ses droits étaient définitivement reconnus dans l'empire, par le monde juridique et officiel.

Effrayé par les châtiments épouvantables que Dieu avait infligés au cruel Valérien et à tout l'empire, en déchaînant contre lui toutes les nations barbares qui l'environnaient au Nord-Ouest, au Nord et à l'Est, Gallien révoqua l'édit de persécution de son père contre les chrétiens, et ordonna la restitution des édifices consacrés au culte ou qui appartenaient à la communauté chrétienne 3. Quant aux confesseurs de la foi, ils purent, sur leur réclamation, rentrer en possession de leurs biens confisqués *.

Après l'édit de Gallien, l'Eglise jouit d'une longue et profonde paix à peine interrompue par un moment de crise sous Aurélien. Son influence devint dès lors prépondérante dans la société romaine. Déjà, sous Valérien, les chrétiens remplissaient son palais et exerçaient en

Tellemont Hist. eccl., IV, 302.
Prosii Hist. eccl., VII, 22.

- Euseb., Hist. eccl. VII. 30.

Euseb., Hist. ecol., VII, 13. - de Rossi, Roma Sott, I p. 200. — Rev. de quest. hist. 1869 p. 98.

S. Paulin. Rol. Carm XI in S. Felicem, poma xvI. Migne P.L. LXI, 482 Confessor proscriptus erat, sed pace reducta, et sua, si vellet, deposcere jura licebat.

foule les charges publiques, Sous Aurélien et ses successeurs, le triomphe du christianisme fut plus complet encore. Les conversions étaient si nombreuses que l'on démolit de toutes parts les anciennes églises pour les rebâtir sur de plus vastes proportions. A Rome, où les vieux préjugés du paganisme étaient les plus tenaces, l'Eglise paraît avoir joui de la plus large liberté d'action.

Dioclétien lui-même, au début de son règne, favorisa ostensiblement les développements du christianisme. Mais chacun sait avec quelles fureurs il détruisit ces espérances de paix à la fin de l'année 303. Pendant près de dix ans en Orient, et pendant plus de cinq ans en diverses provinces de l'Occident, la plus infernale persécution anéantit tous les droits acquiset toutes les possessions de l'Eglise.

Nos modernes persécuteurs pourraient y admirer leurs hauts faits, voire même les scellés apposés sur les portes des oratoires, au nom des autorités administratives*.

La défaite de Maxence à Rome et de Maximin Daia près d'Andrinople par une double intervention divine3, inspira à Licinius la résolution de réaliser le projet concerté à Milan entre lui et Constantin de proclamer par un édit solennel la liberté des cultes en général et de celui des chrétiens en particulier.

'Euseb., Hist. eccl., VII, 10(Tota ejus familia piis haninibres abundabat ac Dei ecclesia esse videbatter. »

Euseb. Hist.eccl., VII, 104.

'Euseb., loccit: « Quo factum est ut, priscis ædificusjam non contenti, in singulis urbibus spatiosas ab ipsis fondamentis extraerent ecclesias. >> Ruinart. Acta sanc. mart II p. 438. Act s. Philippi ep. Héracl, no 3: Itaque de ecclesia non redecens (Phillipus) Aristemachus stationarius curtatis advenit, ut præsidis jussu impressis cera signis ecclesiam clauderet christianis.

Lactant. De mortib persecut. XLIV-XLV. — Euseb. Hist. eccl. IX, 10; Vita Const 1, 29.

Lactant. loc. cit. XLVIII. Quod cum ejusdema nobis indultum esse pervideas, intelligit Dicatio tua etiam aliis religionis suæ vel observantiæ potestatem similiter apertam et liberam pro quiete temporis nostri esse,

concessam.

Maximin Daia se vit contraint de suivre leur exemple et d'un bout à l'autre du monde romain., les églises, les cimetières et les autres propriétés appartenant à la communauté chrétienne furent restituées à leurs légitimes possesseurs. Le droit de propriété fut explicitement reconnu à l'Eglise, considérée comme telle.

Par ce qui précède, on voit manifestement que l'édit de Milan ne fut point une innovation; ce fut une confirmation officielle et définitive d'un droit acquis depuis près d'un siècle.

Il serait facile d'établir ici un parallèle entre la situation nouvelle faite au christianisme au lendemain de la persécution de Dioclétien avec celle qui est résultée du Concordat de 1801, au sortir de la Révolution et de la persécution de 1793.

Assurément, Napoléon Ior, en imposant au Pape le Concordat de 1801, était loin des dispositions qui animaient Constantin, encore ému de sa vision célèbre, lorsqu'il rédigea, de concert avec Licinius, le fameux édit de Milan. Mais le contraste même confirme le rapprochement dont je parle. En 313, l'Eglise entrait dans une ère de victoire, après plus de deux siècles de luttes sanglantes; en 1801, elle inaugurait l'ère des concessions et des compromis. En 313, elle prenait possession de son rôle social; en 1801, elle en était officiellement dépouillée.

Euseb. Hist. eccl., IX, 10. Sed et domeniea sua ipsis instaurare conceditur... illued etiam sancere voluimus ut si quae domus aut loca ad jus christianorum antetrac pertinentia... cuncta ad pristinum jusae om

nium christianorum revocentur.

Euseb. Hist. eccl., X, 5. Lactant. De mortib. persecut. XLXIII: In persona christianorum statuendum esse censuimus quod sid eadem loca ad quæ ante a convenir consueverunt priore Tempore aliquid videntur esse mercati... restituantur... Tuæ omnia Capori christianorum protinus tradi oportebit. Et quoniam ridem christiani non ea loca tantum adea convenire consueverant, se alia etiam habrusse noscuntur, ad jus caporis eorum, idest, Eccles iarum non hominum singulorum, pertinentia ea, omnia lege qua superius comprehendimus iisdem christianis, id est corpori et conventiculis eorum reddi jubebis. >

IV

Jusqu'en 313, en effet, l'Eglise avait exercé sur les idées courantes dans la société romaine une influence puissante; qui se manifeste jusque dans les décisions législatives; mais cette influence n'était ni officielle ni même avouée par ceux qui la subissaient. Les deux sociétés en présence s'étaient ainsi rapprochées, sous la pression de la grâce divine et par la force même des choses. Il devait en résulter, ce qui arriva, un choc violent d'abord et une entente définitive ensuite.

Dioclétien fut l'instrument du conflit et Constantin de la paix. Licinius, son collègue, n'ayant pas voulu persévérer dans cette voie d'apaisement, dut, nécessairement, disparaître de la scène.

Au contraire, en qualité de néophyte instruit par une mère chrétienne, et comme politique prévoyant les besoins de son siècle, Constantin favorisa de tout son pouvoir, le développement salutaire des institutions légitimes de l'Eglise et le plein exercice de sa liberté civilisatrice.

Toutefois cet accord parfait ne devait pas tarder, hélas! à être troublé.

En 325, pendant le Concile de Nicée, Constantin avait humblement refusé de s'établir juge entre deux évêques: Dieu, leur avait-il dit ', vous a constitués pontifes et vous a donné puissance pour nous juger vous-même. Dieu ne vous a-t-il pas fait comme des dieux parmi nous? Comment un homme comme moi jugerait-il des dieux »?

Trente ans après, son fils Constance tenait un langage tout opposé. Il se posait comme l'évêque des évêques2,

1 Rufin. Hist. ecl. X, 2.

Lucif. Calarit. Lib. moriendum esse pro Filio. Patr. lat t. XIII, 1032; Cui (Constantio) crebro sunt acclamantes ariani dogmatis sui episcopi Episcopum te esse episcoporum.

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