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compter sur la masse électorale pour mettre un frein aux dépenses; elle applaudit — n'ayant, il faut le répéter, aucune idée de la situation financière, ni de ce qu'est un budget d'Etat à toute proposition d'augmenter les dépenses. C'est le résultat très net du régime démocratique. Il faudrait que le remède vint de ceux qui votent les budgets, mais n'insistons pas de ce côté.

D'après M. Antonin Dubost, les augmentations de dépenses à prévoir pourraient se classer sous trois chefs: 1° Accroissements automatiques, c'est-à-dire résultant de lois déjà votées tels que augmentations de traitements, de pensions, secours, etc., 370 millions. 2o Accroissement voulus, c'est-à-dire résultant du développement demandé de certains services d'Etat 180 millions. 3o Dépenses dites de solidarité sociale en tête desquelles et pour le gros chiffre figure cette fantastique conception des pensions ouvrières dont nous avons eu occasion d'indiquer les dangers dans l'ordre moral aussi bien que dans l'ordre financier. Le rapporteur au Sénat porte pour ces dépenses 588 millions, soit en tout 1 milliard 138 millions qui menacent de s'ajouter à bref délai aux 3 milliards 623 millions formant le montant de nos dépenses actuelles. Et il conclut : « Je n'hésite pas à dire qu'il n'y a pas au monde de système financier capable de procurer au budget de pareilles ressources. »

Et un peu plus loin : « J'ai cent fois montré que les charges si lourdes qui pèsent sur les contribuables français sont une des causes principales de la supériorité et de l'avance de nos rivaux. En aggravant cette charge on ne ferait qu'affaiblir notre situation économique, c'est-à-dire qu'on affaiblirait la production de la richesse et le rendement des impôts. >>

Le rapporteur général à la Chambre, M. Pierre Baudin, ministériel comme M. Dubost, mais socialiste en plus, insistait avec encore plus de force: « Fâcheux pronostic, l'argent se cache ou s'expatrie... Nos charges vont s'ac

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croître dans des proportions énormes, or, le chiffre de nos récoltes n'augmente pas, notre commerce, notre industrie ne suivent pas la même progression qu'en d'autres pays. >>

Voilà le péril bien indiqué et ce n'est pas la première fois, mais il ne faut pas se faire l'illusion de croire que de si forts avertissements porteront leurs fruits. La presque unanimité des électeurs continuera à les ignorer et les membres du Parlement, s'ils les lisent, continueront à n'en tenir aucun compte. Il n'est pas sûr que même les auteurs de ces rapports conforment leurs actions à leur dire. Quoi! ne sont-ils pas sincères? Il faut croire que si, mais ils ont derrière eux l'irrésistible poussée électorale. 1

Le système politique est coupable ici bien plutôt que les hommes.

On vient de voir ce qui regarde le budget des dépenses, il y aurait lieu de passer maintenant au budget des recettes, mais il n'a subi par rapport aux années précédentes qu'un seul changement: les chiffres du rendement supposé des impôts ont été majorés de manière à égaler, en le dépassant même légèrement, le chiffre des dépenses; c'est le procédé habituel. Au surplus l'impôt sur le revenu n'ayant pas été mis en discussion, l'ancien système fiscal est maintenu dans son entier, aussi n'a t-il donné lieu presqu'à aucun débat.

Il n'y en aurait pas eu du tout si la question des bouilleurs de cru n'avait soulevé à la Chambre un certain nombre de récriminations (séance du 6 mars).

'Comment expliquer autrement que M. Antonin Dubost se soit prononcé récemment en faveur du régime des pensions de retraite obligatoires? Lorsqu'il ajoute : c'est à condition que l'Etat n'aura rien à verser, il tente seulement de se sauver du reproche qu'on lui fera d'être illogique, car il sait bien que la restriction qu'il propose ne sera jamais admise par le Parlement.

On se souvient que les besoins croissants du Trésor avaient fait, l'an dernier, non pas supprimer, mais atténuer sensiblement le privilège dont jouissent en matière de taxes sur les boissons une partie notable des agriculteurs de France, dits bouilleurs de cru.

Les privilégiés naturellement n'ont pas été satisfaits et l'ont fait savoir à leurs députés, ce qui a stimulé le zèle de ceux-ci. Deux députés socialistes, MM. Zėvaës et Klotz ont vivement réclamé, en faveur du privilège et ils l'ont fait par des arguments excellents : « Justeinent les populations atteintes par l'impôt sont très républicaines. » En effet, tout est là aujourd'hui.

M. Rouvier ne pouvait se priver du rendement de l'impôt nouveau, il promit toutefois d'examiner la question des poursuites à intenter « dans un esprit d'équité républicaine. » On comprend ce que cela veut dire.

Le même ministre des finances répondait le lendemain (7 mars), à un député qui demandait que le fisc voulût bien considérer les frais de dernière maladie comme partie du passif des successions: A quoi bon! L'assistance médicale gratuite est tellement répandue aujourd'hui que les gens de modeste condition n'ont plus à supporter ces frais. »

Voilà qui est instructif venant surtout d'un homme aussi qualifié; il marque bien la tendance actuelle : décharger d'impôts la masse électorale pour en reporter sur la minorité le fardeau et un fardeau qu'on tend, de plus en plus à rendre accablant, parce que cette majorité qu'on décharge conserve son bulletin de vote et qu'en même temps on exalte sans mesure ses appétits.

HUBERT-VALLEROUX.

M. Goujat a reproduit plus tard le même argument: a Il ne faut pas oublier que la plupart des viticulteurs sont des républicains » (Chambre, 20 avril).

LES CRÉANCIERS DES CONGREGATIONS NON AUTORISÉES

Au point de vue pénal, une jurisprudence s'est formée, vaille que vaille, sur l'application de la loi de 1901. La Cour de cassation a eu à statuer sur les principales difficultés soulevées par les conditions de la dispersion et de la sécularisation des anciens congréganistes. De l'ensemble de ses décisions, on peut essayer de dégager une théorie plus ou moins juridique. Ce sera affaire aux philosophes et aux historiens de l'adapter à la liberté individuelle et à la liberté de conscience que d'obstinés naïfs croient encore être les bases du droit français.

Mais au point de vue de l'attribution des biens jadis détenus par les congrégations non autorisées et sur lesquels les liquidateurs ont mis la main, tout est encore incertain. Deux articles seulement de la loi de 1901, les articles 17 et 18 en déterminent le régime légal.

Une multitude de procès sont à l'heure actuelle engagés sur les actions en reprise et en revendication intentées en vertu de l'article 18. Ils sont l'objet de solutions diverses. Chaque tribunal s'efforce de se faire une jurisprudence en attendant que la Cour de cassation ait statué. Les questions de fait tiennent la plus grande place dans ces affaires, qui se ramènent le plus souvent à une question d'interposition de personne.

Mais les liquidations n'intéressent pas seulement ceux qui peuvent exercer des actions en reprise et en revendication, elles intéressent aussi les créanciers, et c'est sur la situation de ceux-ci que nous voulons appeler l'attention, sans avoir d'ailleurs la prétention de traiter à fond la question qui comporte des développements considérables.

A vrai dire, cette question semblait tranchée il y a quelques mois. Le 4 août 1904, la première chambre du tribunal de la Seine a, en effet, rendu un jugement très soigneusement motivé, dans lequel elle reconnaît formellement les droits des créanciers hypothécaires ayant traité de bonne foi, avant la loi de 1901, avec une société jugée depuis personne interposée au profit d'une congrégation non autorisée. (Aff. Soye Ménage.)

La formule adoptée par le tribunal de la Seine a même une portée plus générale encore, et on peut dire qu'elle s'applique non seulement aux créances hypothécaires, mais encore aux créances chirographaires. Voici, en effet, dans quels termes il s'exprime : « ...Attendu que les auteurs de la loi du 1er juillet 1901, uniquement préoccupés d'assurer la dispersion, dans l'avenir, des biens détenus par les congrégations non autorisées au moment de la promulgation de ladite loi, se sont bornés à prescrire que la liquidation desdits biens aurait lieu en justice, mais qu'ils n'ont aucunement modifié pour le passé, en ce qui concerne les biens dont il s'agit, les règles générales qui leur étaient et leur demeurent applicables.

* Attendu qu'il suit de là que pour le passé, lesdits biens doivent être considérés, au regard de tous autres que les pouvoirs publics, comme ayant été uniquement la chose de leurs propriétaires apparents, lesquels ont pu valablement, sauf le cas de fraude constatée, les acquérir, les aliéner, les hypothéquer, les gérer et administrer sans que les actes régulièrement passés par eux avec des tiers de bonne foi, puissent être l'objet de la part du liquidateur, d'aucune critique ou d'aucun recours autre que ceux basés sur une entente des cocontractants ayant pour but de faire fraude à la loi.

...Attendu que, par application des principes posés plus haut, l'effet dudit jugement du 6 janvier 1904, rendu en exécution de la loi du 1er juillet 1901 (qui avait,

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