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LES FABRIQUES

Au moment où la loi de séparation va être votée, il peut être intéressant de jeter un regard quasi rétrospectif sur l'institution des Conseils de fabrique, et de se demander si oui ou non on doit les regretter.

Pour résoudre cette question, il faut rappeler les principes. C'est ce que nous allons faire.

L'Eglise catholique, par cela même qu'elle est une société parfaite, a le droit de faire tout ce qui est nécessaire ou utile à sa fin.

S'il en était autrement, ce ne serait plus une société parfaite, car on appelle ainsi toute société qui trouve en elle-même et sans le secours d'aucune autre, tous les moyens d'atteindre sa fin.

On démontre que l'Eglise est une société parfaite par les paroles même adressées par Notre-Seigneur Jésus-Christ à saint Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et tout ce que tu auras lié sur la terre, sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié aussi dans le ciel. » Sur quoi le P. Tarquini (Du droit public de l'Eglise, n° 45) fait l'observation suivante : « Remarquez surtout ces mots tout ce que et ces expressions: sera lié dans le ciel, sera délié dans le ciel. Les premiers contiennent la formule du pouvoir le plus étendu, du pouvoir qui comprend tous les moyens nécessaires pour atteindre la fin avec la plus entière certitude. Les autres nous montrent qu'il n'y a pas d'intermédiaire entre le pouvoir de Pierre et le pouvoir céleste. »

On le démontre en second lieu par une raison de convenance. Il serait absurde de prétendre que NotreSeigneur Jésus-Christ, voulant constituer une société supérieure par sa fin à toute autre, l'ait cependant laissée dans la nécessité de recourir, pour atteindre cette fin, à une société inférieure, qui eût dû lui en fournir les moyens. C'eût été faire de la société de toutes la plus importante pour l'homme, une société précaire, subordonnée à toutes les vicissitudes des sociétés humaines et continuellement exposée à ne pouvoir atteindre sa fin.

L'Eglise est donc une société parfaite, elle possède dès lors, en raison de sa nature, et en vertu de la volonté de son divin fondateur, tous les droits nécessaires pour atteindre cette fin.

Elle possède notamment le droit de propriété.

L'Eglise est une société d'hommes qui vivent, non pas isolés, mais groupés et réunis à certains moments pour recevoir l'enseignement religieux et pratiquer les cérémonies du culte. Il lui faut donc des édifices pour abriter les personnes et les choses.

L'exercice du culte suppose un mobilier, des vases sacrés, des ornements.

Il faut pourvoir aux dépenses du culte et subvenir à la subsistance de ses ministres.

Toutes choses pour lesquelles il est indispensable de posséder des biens et des revenus.

L'Eglise a donc le droit d'être propriétaire.

L'Eglise a, comme conséquence, le droit d'administrer librement ses biens. Que serait un propriétaire qui n'aurait pas ce droit ?

L'Eglise a donc le droit de les administrer par ellemême ou par ceux auxquels il lui plaît de confier cette administration; mais nul ne peut se substituer à elle, soit pour lui imposer des administrateurs, soit pour réglementer cette administration.

Le rôle de l'Etat est au regard de l'Eglise ce qu'il est vis à vis de tous les propriétaires. Il doit faire respecter ses droits. L'Etat est avant tout un gendarme auquel la force matérielle est confiée pour la défense du droit. Non enim sine causa gladium portat, vindex in

iram ei qui male agit.

Mais de même que l'Etat, défendant le droit d'un propriétaire, n'a pas qualité pour se subtituer à celui-ci dans l'administration de sa fortune, de même il n'a aucune qualité pour s'emparer de l'administration des choses sacrées meubles ou immeubles.

Retenons donc que l'Eglise seule a le droit d'administrer ses biens, par elle-même ou par ceux qu'il lui plaît de préposer à cette administration.

Ces principes sont-ils observés en France.

Les fabriques existaient sous l'ancien régime.

On nommait Fabrique ce qui appartenait à une église, tant pour les fonds et les revenus affectés à l'entretien et à la réparation de l'Eglise, que pour l'argenterie et les ornements.

On désignait aussi sous ce nom le corps de ceux qui avaient l'administration de ces biens, c'étaient les marguilliers (Guyot, Rep. Fabriques).

On fait remonter l'origine des fabriques au XI ou XIIe siècle. Les marguilliers étaient, semble-t-il des laïcs chargés d'aider le curé dans la distribution des aumônes et ensuite dans l'administration du temporel de l'église. L'Etat s'immisça successivement dans cette administration?

Le Parlement de Paris rendit, à l'occasion de la paroisse Saint-Jean en Grève, un arrêt de règlement qui devint le code des Fabriques.

Il en fut de même dans d'autres villes.

C'est ainsi que nous voyons le Magistrat de Lille, régler les fonctions des marguilliers (ordonnance du 13 juil let 1686), fixer l'âge auquel ils peuvent être appelés

à cette fonction

(ordonnance du 30 avril 1745), et les conditions de domicile exigées (ordonnance du 12 mars 1747.

L'Eglise ne réclamait pas. Il est vrai que, dans notre pays de Flandre, le Magistrat, composé de bons chrétiens, prêtait véritablement à l'Eglise l'appui du bras séculier dans les grandes et les petites choses, sans chercher à la soumettre à sa domination.

C'est ainsi encore qu'à Lille, « pour le maintien de la révérence qui est due aux Lieux saints », une ordonnance (23 octobre 1751) frappait d'une amende de douze florins ceux qui amenaient des chiens à l'église, une autre ordonnance (15 mai 1662) punissait d'un mois de cachot au pain et à l'eau ceux qui « renient Dieu, jurent et blasphèment ».

La révolution française emporta dans son tourbillon les Fabriques avec tout ce qui touchait à l'Eglise catholique.

Le Concordat ne les rétablit pas. Il n'en dit rien.

L'Eglise catholique reprenait donc le droit qui lui appartient d'administrer comme elle l'entend son patrimoine.

Ce ne fut pas de longue durée. Le Premier Consul n'était pas homme à négliger ce moyen de s'immiscer dans les affaires de l'Eglise.

L'article 76, des articles dits organiques, ajoutés subrepticement au Concordat, annonça l'établissement de « Fabriques pour veiller à l'entretien et à la conservation des temples et à l'administration des aumônes ». Les Fabriques furent établies et réglementées par le décret du 30 décembre 1809.

Les premiers Conseils furent nommés par l'évêque et le préfet, l'évêque nommant la majorité des membres, le conseil se recrute ensuite lui-même.

Le décret de 1809 contient un règlement très minutieux en 113 articles, mais l'autorité civile n'intervient guère dans l'administration des biens d'Eglise.

L'Eglise catholique accepta les Conseils de fabrique. Ils furent généralement recrutés parmi les hommes connus pour leurs sentiments religieux, leur amour de l'Eglise, leur zèle pour sa défense, et devinrent, en réalité, des réunions de laïcs choisis par l'Eglise pour aider, sous l'autorité de l'évêque, le curé dans l'administration des biens de la paroisse.

L'article 78 de la loi du 26 janvier 1892 porta une grave atteinte au droit de l'Eglise. En vertu de l'article 86 des organiques, les comptes de la Fabrique relevaient de l'évêque. Les tribunaux civils ne pouvaient intervenir que si le Conseil poursuivait le trésorier pour le contraindre à rendre son compte ou à payer le reliquat.

Les officiers du ministère public auraient pu, il est vrai, agir d'office (art. 90) pour faire présenter le compte en cas de retard du trésorier, mais jamais ils n'usaient de ce droit.

Si l'on doit supposer qu'ils le connaissaient, c'est uniquement en vertu de la présomption légale que nul n'est censé ignorer la loi.

La loi de 1892 a soumis les comptes des fabriques au Conseil d'Etat ou aux Conseils de Préfecture.

Ce fut une nouvelle violation des droits de l'Eglise, et un moyen de vexation contre elle et ceux auxquels elle avait remis l'administration de son patrimoine.

Telle est l'histoire des Conseils de fabrique.

Au moment où ils vont disparaître, on peut la résumer en disant que cette institution, établie en violation du droit de l'Eglise, ne donna pas cependant en général les résultats qu'en attendait l'autorité civile; qu'elle fut au contraire, surtout dans les villes, souvent utile à l'Eglise, en donnant au curé des auxiliaires prudents et éclairés pour l'aider dans la gestion du patrinoine ecclésiastique.

Avant de disparaître, les Conseils de fabrique, si la

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