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mier groupe comprend les plus imposés jusqu'à ce que le tiers de la totalité des impôts payés par la circonscription soit représenté. Les contribuables payant le second tiers des impôts formeront la seconde catégorie. Quant à la troisième, elle comprendra tous les citoyens âgés de 24 ans et non indigents. D'après les documents officiels, il y a un électeur secondaire, ou wahlmann, par 5 électeurs primaires du premier groupe, par 18 du second groupe, par 142 du troisième, cela parce que, chaque contribuable paie, en moyenne, comme impôts, 838 francs dans la première classe, 205 dans la deuxième, 26 seulement dans la troisième. Ce sont là des conditions tout à fait différentes de celles qui se rencontrent dans les pays de suffrage universel: jamais l'imposé n'est à la merci du non payant.

Cependant, malgré la discipline traditionnelle des contribuables dans un pays où, suivant le mot de Bismarck, «chacun naît avec une tunique », si l'Einkommensteuer est très productif pour le Trésor, il soulève par ailleurs les protestations les plus vives. Ce n'est pas Le taux de la taxe qui est surtout critiqué : aussi bien le contribuable prussien est peu chargé, car le budget demande à l'impôt le tiers de ses ressources seulement, le reste lui advenant des produits du domaine et des bénéfices commerciaux ou industriels de l'Etat. Mais ce qui provoque le mécontentement, ce sont les procédés rigoureux et inquisitoriaux des agents du fisc, qui considèrent trop souvent les déclarants comme des accusés, les font comparaître et procèdent à des investigations intolérables dans les affaires les plus intimes de la vie privée. N'a-t-on pas demandé à des employés de commerce de Berlin combien de fois ils dînent dans l'année chez leur patron, parce que ces dîners non payés constituent un élément de leur revenu! N'a-t-on pas demandé à d'autres contribuables combien ils dépensent d'argent de poche ou pour l'éducation de leurs enfants,

et même à un propriétaire s'il avait l'intention d'augmenter ses locataires au prochain terme! N'a-t-on pas? fait examiner, illégalement du reste, les livres d'un industriel par son concurrent! La preuve que les investigations sont très minutieuses, c'est que, quoique gratuites, les fonctions de membres des commissions de taxation sont très recherchées par les hommes d'affaires ils trouvent là les plus précieuses informations sur le crédit que méritent leurs correspondants. De tels procédés ont eu pour effet d'abord de faire passer à l'étranger de grandes quantités de capitaux, puis de provoquer des plaintes dont M. von Eynern s'est fait l'écho devant le Landtag, lors du vote du budget pour 1897. En février 1896, la Gazette de Cologne protestait contre cette « intrusion des autorités fiscales dans les affaires des particuliers » et signalait « la masse de malaise et de mécontentement qui est ainsi créée dans les meilleures couches de la population, et qui va en augmentant de jour en jour: » En résumé, on peut conclure, avec un membre d'une commission d'évaluation, que la loi du 24 juin 1891 est « une des plus inquisitoriales et des plus vexatoires qui existent » et que la Prusse, hiérarchisée et militarisée jusqu'aux moëlles, « est à peu près le seul pays où une pareille loi puisse fonctionner, même imparfaitement ».

(A suivre.)

Henry TAUDIÈRE.

UN PRÉLIMINAIRE de la SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT

LA LOI DU 28 DÉCEMBRE 1904 SUR LE MONOPOLE DES INHUMATIONS

§ I. ORIGINES ET ESPRIT GÉNÉRAL DE LA LOI.

La division des choses en res divini et res humani juris semble avoir été, à l'origine, la division essentielle du droit romain. Gaïus la présente encore comme la plus importante: « summa »; sans doute parce que les choses divini juris étaient soumises à l'autorité des pontifes investis à leur égard d'une juridiction qui ne leur était point dévolue en ce qui concerne les res humani juris.

Au premier rang des res religiosa, subdivision des res divini juris, les jurisconsultes romains avaient rangé les sépultures. On sait avec quelle pieuse sollicitude était organisé à Rome le jus sepulchri '. Sénèque rangeait le droit à la tombe « non point parmi les droits écrits, mais parmi ceux plus certains que les droits écrits ». A l'accomplissement des rites funéraires étaient attachées de si redoutables conséquences que l'esclave lui-même, compté jusque-là comme une chose, était en face de la mort presque assimilé à l'homme libre, au point de vue du moins du caractère religieux de sa sépulture : « Locum in quo servus sepultus est religiosum esse, Aristo ait » 3.

La divinisation des morts remonte d'ailleurs à la plus haute antiquité. L'étudier chez les différents peuples anciens serait rechercher l'histoire du sentiment

1 V. notamment H. Daniel-Lacombe, la Législation des sépultures. Poitiers, Oudin, 1886.

2 Marc Ann. Sénèque, liv. I. Controv.

3 Liv. II, pr. D. De religiosis et somptibus funerum.

religieux ehez chacun d'eux. Elle était aussi bien en honneur dans l'Inde qu'en Grèce et en Italie, et on en trouve la trace dans les lois de Manou comme dans celles de Solon. Il semble qu'après avoir perdu la notion du vrai Dieu créateur, l'homme, ne gardant plus de la révélation primitive qu'un souvenir altéré, a tout au moins en face de la mort l'idée du surnaturel. Séparé de ceux qui lui sont chers par l'inexorable loi de la nature, il s'est refusé à voir dans leur disparition un anéantissement. Tout au contraire, en leur assignant une vie nouvelle et heureuse par delà le tombeau, il s'est donné à lui-même la certitude de les rejoindre un jour, et pour réaliser cet idéal de bonheur parfait, il a inscrit ses ancêtres au nombre des dieux. C'est sur cette pensée irrésistible que le paganisme avait établi ses religions, et Cicéron disait magnifiquement : « Quid ipsa sepulcrorum monumenta... significant, nisinos futura etiam cogitare ? »2

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Il était réservé à notre triste époque de contester, contrairement au sentiment unanime des peuples' chrétiens ou non, le caractère religieux des sépultures et de tout ce qui s'y rattache. Après avoir traqué les catholiques toute leur vie, le Gouvernement de la troisième république ne les laisse même pas ensevelir leurs morts en paix la haine antireligieuse les poursuit jusqu'au delà du tombeau. Tel est bien, nous allons le voir, l'esprit de la « loi du 28 décembre 1904, portant abrogation des lois conférant aux fabriques des églises et aux consistoires le monopole des inhumations ».

La mainmise du pouvoir séculier sur ces questions d'ordre essentiellement religieux ne date d'ailleurs pas d'hier. Les lieux de sépulture, soit qu'ils appar

'Daniel-Lacombe, op cit.

2 Tuseul. I. 14.

tiennent aux communes, soit qu'ils appartiennent aux particuliers car « toute personne peut être enterrée -sur sa propriété, pourvu que ladite propriété soit hors et à la distance prescrite de l'enceinte des villes et bourgs sont soumis, par le décret du 23 prairial an XII (art. 16), à l'autorité, police et surveillance des administrations municipales » '.

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Les cimetières sont, depuis la Révolution, propriété communale. C'est la commune qui en perçoit les produits, même les produits spontanés, enlevés aux fabriques par la loi municipale (art. 133 § 9). Le tarif des concessions est voté par le conseil municipal (même loi art. 68 § 7), et le produit en est ainsi réparti : deux tiers pour la commune, un tiers pour les établissements de bienfaisance. Ce qui n'empêchait pas d'ailleurs, par une injustice que la loi de 1904 n'a pas osé maintenir3, de laisser à la charge des fabriques toutes les dépenses d'entretien des cimetières. La jurisprudence décidait en effet, en dépit de l'article 136 de la loi municipale qui range au nombre des dépenses obligatoires des communes, la clôture des cimetières, leur entretien et leur translation dans les cas déterminés, que cette dépense incombait aux communes dans le cas seulement d'insuffisance des ressources des fabriques *.

Non seulement le maire a seul qualité pour constater les décès et délivrer les permis d'inhumer (art. 77 C. civ.); mais il est chargé d'une manière générale, par la loi municipale (art. 97 § 4), de « régler le mode de trans

1 Voir dans Revue catholique des Institutions et du Droit, juillet 1903, un article de M. Pabbé Crouzil sur la police et l'entretien des cimetières.

Les cimetières font-ils partie du domaine privé ou du domaine public de la commune? M. Ducrocq enseigne la première opinion (Droit admin., t. II, 60 éd., p. 573 et suiv.), Contra Dalloz, répert. V. Cultes, suppl., n° 916.

Art. 5 fin.

4 Cass. 30 mai 1888. D. P. 88. I. 257. V. sur cette question de l'entretien des cimetières l'article précité de M. Crouzil.

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