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REVUE CATHOLIQUE

DES INSTITUTIONS ET DU DROIT

(XXXIII ANNÉE)

L'abondance des matières nous oblige à remettre au prochain numéro la suite des travaux du 29o Congrès des Jurisconsultes Catholiques, réuni à Montpellier les 27 et 28 octobre 1905.

FAC CITIUS

C'est par ces mots qui stigmatiseront éternellement l'acte le plus honteux et le plus coupable de l'histoire du monde, qu'il convient de juger l'acte dont vient de se rendre coupable le gouvernement de la République.

La séparation de l'Eglise et de l'Etat est désormais un fait accompli par la seule volonté de l'Etat. Les auteurs de cette séparation ont achevéjleur œuvre avec la hâte fébrile qu'on met à commettre une mauvaise action. Si leur langage hypocrite a pu tromper les simples d'esprit et les aveugles volontaires, reconnaissons du moins que leur attitude n'a rien dissimulé de leur parti pris et de leur haine. Le souci des intérêts de la patrie, dont la fortune leur est confiée, n'a pu l'emporter un seul instant sur leur passion antireligieuse. La pensée de cette France, dont ils compromettent sciemment l'avenir et les destinées, n'a pu arrêter leur main au moment de commettre la suprême trahison. Fac citius.

La séparation est un acte d'apostasie officielle; la séparation est une loi de guerre contre l'Eglise de Jésus-Christ; la séparation est un reniement des traditions françaises; la séparation est une spoliation et un vol; la séparation est la violation d'un traité et des convenances diplomatiques; la' séparation est un souvenir et peut-être un présage des plus mauvais [jours de la Révolu6 LIV. 2me SEM. 330 ANN. DÉCEMBRE 1903.

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tion. Nous ne craignons donc pas de dire que c'est un crime dont nous ne cesserons de poursuivre la réparation.

Les Jurisconsultes catholiques ont constamment affirmé la nécessité sociale de l'accord de la législation de l'Etat avec la législation de l'Eglise.

« Nous croyons fermement à la souveraineté de l'Eglise. Nous ne méconnaissons pas le précepte divin de rendre à César ce qui est à César, mais nous affirmons que le premier devoir de César, prince, assemblée ou multitude, est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et de respecter et de protéger le droit de l'Eglise, libre dans l'exercice de son culte et de son apostolat, Jibre dans l'îndépendance souveraine de son gouvernement ». Deux fois nos principes étaient affirmés en ces mêmes termes au Vatican, et solennellement approuvés par Léon XIII et Pie X. Les Jurisconsultes catholiques ne changeront pas.

Depuis bien des années, ils défendent les droits de l'Eglise, dans leurs Congrès et leur Revue, dans les prétoires et les réunions publiques, et surtout à la tribune du Sénat. Ils ne se laisseront abattre par aucune nouvelle déception; fidèles aux traditions de leurs devanciers, ils ne laisseront jamais, par leur silence, la prescription s'établir sur la violation des droits de la conscience chrétienne et de l'honneur français..

Ils n'ont jamais partagé les illusions d'un trop grand nombre de Catholiques devenus par leur puéri! et lâche optimisme les dissolvants de la résistance. Ils ont combattu quand même et ils combattront encore « pour le devoir et pour l'honneur ».

Ils demeureront invinciblement attachés à l'Eglise romaine et à la France.

Catholiques ils écouteront avec respect la voix de Celui qui est désormais seul capable d'éclairer les esprits égarés et de ranimer les consciences endormies, la voix du Pontife suprême auquel nous devons tous, surtout aux heures difficiles, notre amour, notre dévouement et notre obéissance.

Français, ils aimeront leur patrie avec plus d'ardeur que jamais, et lui prouveront d'autant mieux leur fidélité, qu'ils feront mieux sentir leur mépris et leur aversion à ceux qui ne gouvernent la France que pour la déshonorer et l'entraîner à sa ruine.

Henry LUCIEN-BRUN.

LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT

ET LE CULTE PROTESTANT

Si l'on se reporte aux débats qu'a soulevés depuis le début de cette année devant la Chambre des députés la grave question de la séparation des Eglises et de l'Etat, il semble qu'on ne se soit guère préoccupé de cette mesure qu'au point de vue de la religion catholique.

Il devait naturellement en être ainsi l'existence du Concordat, le fait que la religion catholique est pratiquée par la grande majorité des Français, son influence sur la formation morale et même territoriale de notre patrie, la présence de traditions plusieurs fois séculaires, tous ces éléments constituent à l'Eglise romaine une situation exceptionnelle dans notre pays et il est naturel que l'attention se soit presque exclusivement portée sur elle. Aussi bien les auteurs de la récente mesure législative n'ont-ils point eaché qu'elle n'était de leur part qu'une nouvelle machine de guerre dirigée contre la religion catholique et que si les autres cultes se trouvaient également atteints, ce n'était que par voie de conséquences.

Cependant, la question n'est pas sans présenter une grave importance à l'égard de la religion israélite ou du culte protestant: leurs adeptes s'en sont préoccupés vivement et en particulier, parmi les différentes sectes protestantes, une émotion assez intense s'est produite et se manifeste actuellement par de nombreuses polémiques et par plusieurs tentatives d'organisation.

Quelle est actuellement l'importance numérique des protestants en France?

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Il est assez difficile de répondre à cette question d'une façon absolument précise. Les tentatives de dénombrement effectuées à des dates récentes par les soins des consistoires ou du synode évangélique se sont heurtées à toutes sortes de difficultés et ne paraissent pas avoir fourni de résultats certains. On est donc obligé de se reporter au recensement général de 1872, le dernier qui, en France, ait tenu compte de la religion des habitants.

Ce recensement, dont M. Lacheret a fait état dans une note remise par lui au gouvernement et à la commission de la Chambre des députés, au nom des représentants des églises protestantes', donne un total de 580.757 protestants, dont 467.531 calvinistes, 80.117 luthériens et 33.109 réformés se rattachant à d'autres sectes. La proportion des protestants au total de la population était d'environ 16 pour 1.000. Sur l'ensemble du territoire, les protestants sont répartis d'une façon fort inégale. S'ils ne sont que 17 dans le Cantal, 25 dans la Corrèze ou 38 dans le Lot, ils dépassent le chiffre de 5.000 adhérents dans 25 départements et dans les six départements de la Drôme, le Doubs, les Deux-Sèvres, la Lozère, l'Ardèche et le Gard, ils forment plus du dixième de la population.

Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, le calvinisme, qui est la vraie forme française de la Réforme, réunit sous son drapeau la plupart des protestants de France. Décimés par l'annexion de l'Alsace-Lorraine,

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les luthériens ne comptent plus guère d'adhérents qu'à Paris et dans le pays de Montbéliard. Quant aux autres sectes, elles sont nombreuses: méthodistes, convertis, baptistes, darbistes, quakers, moraves se partagent quelques milliers de fidèles, mais, en l'absence de tout recensement précis, il est d'autant plus difficile de fixer une évaluation que les protestants passent assez facilement d'une secte à l'autre, surtout dans les milieux populaires et que parfois même, ils suivent en même temps les offices de plusieurs églises différentes'.

Jusqu'au jour de la séparation, bénéficiant de la qualité de culte reconnu, le protestantisme aura eu une organisation officielle que Napoléon Ier lui imposa au moment où il venait de signer le Concordat.

Né du grand mouvement de la Réforme, le protestantisme s'organisa rapidement en France au XVI siècle au point de devenir dans certaines régions une puissance politique capable de tenir en échec l'autorité royale et celle-ci dut plusieurs fois traiter officiellement avec les protestants. L'Edit de Nantes vint, sous Henri IV, organiser régulièrement le culte réformé ; la révocation de l'Edit de Nantes en octobre 1685, enleva à la religion protestante son existence légale et si, à la veille de la Révolution, l'édit de 1787 rendit aux réformés la pleine possession de leurs droits civils, le culte public leur resta encore interdit.

Le protestantisme se réorganisa officiellement dans les premiers jours de la Révolution. Les principaux personnages des réformés se mirent à la tête du mou

1 Dans sa note au gouvernement, M. Lacheret parle seulement de 15.000 fidèles de l'Union des Eglises libres, répartis en 27 départements, et de 10.000 membres de l'église méthodiste française, groupés en 13 départements. (Temps 22 février 1905.)

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