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Cette réforme s'impose surtout, ainsi que le dit M. Eymard-Duvernay, sénateur, dans un très remarquable projet sur la réforme de l'organisation judiciaire, parce qu'aujourd'hui « la magistrature n'est plus une institution; le juge n'est plus un magistrat, il est devenu un fonction«naire; or il y a un trait caractéristique par où, suivant la « définition de Royer-Collard, le magistrat doit se distinguer du fonctionnaire, c'est qu'il vient, non du pou<< voir, comme celui-ci, et de ses besoins changeants, mais <«< des institutions perpétuelles et indépendantes que le « pays possède ».

Rappelons-nous le passage de Thouret que nous avons rapporté sous le chapitre II et dans lequel il a décrit, il y a bien longtemps, et avec une si haute philosophie, le danger que présente la juridiction des hommes voués trop habituellement à la répression. Chez un peuple éclairé et démocratique la réforme que les législateurs doivent chercher et atteindre progressivement dans l'intérêt de la justice et de l'égalité c'est de soumettre au tribunal du Jury toutes les contestations, toutes les affaires aussi bien civiles que criminelles. Lorsqu'ils seront arrivés à ce but ils pourront dire qu'ils sont aussi près que possible de la perfection et ils seront sûrs de voir les choses humaines jugées humainement comme nous devons tous le désirer. Nul ne pourra plus se plaindre, car chacun sera responsable de la justice qui lui sera rendue.

CHAPITRE IV

EXPOSÉ DES MOTIFS DE NOTRE PROJET DE LOI

Voici maintenant le projet que nous proposons.

Dans l'article 1er nous posons le principe. Désormais le jury devient la juridiction de droit commun en matière pénale.

L'article 2 énumère limitativement les affaires qui, par dérogation à la règle générale posée par l'article 1o, continueront à être de la compétence des tribunaux correctionnels.

Deux raisons nous ont déterminé dans le choix de ces affaires rendre le jury applicable aux matières correctionnelles et garantir suffisamment la répression de certains délits pour lesquels les jurés ne se montreraient pas assez sévères.

Pour rendre le jury applicable il fallait ne lui renvoyer que les affaires présentant une certaine difficulté dans l'appréciation de la matérialité des faits et du mobile déterminant de l'auteur de ces faits. En agissant autrement on aurait multiplié à l'infini les procès devant le jury et, comme l'instruction à l'audience est nécessairement beaucoup plus longue quand il y a des jurés, on aurait rendu le jury inapplicable dans la pratique. Tout au moins il aurait fallu, pour ne pas retarder l'expédition des affaires, augmenter considérablement le nombre des sessions et, par conséquent, déplacer beaucoup plus souvent les jurés.

C'est pour cette raison que nous avons conservé aux tribunaux correctionnels la connaissance des délits de vaga

bondage, de mendicité, de récidive d'ivresse, d'infraction à un arrêté d'expulsion ou d'éloignement, dont la constatation ne présente aucune difficulté, et pour lesquels le mobile, c'est-à-dire l'intention coupable, n'est pas pris en considération, si ce n'est quant à la quotité de la peine.

Il fallait aussi, avons-nous dit, enlever aux jurés la connaissance de certains faits, pour lesquels on pouvait craindre qu'ils ne se montrassent pas assez sévères, par exemple les délits forestiers, les infractions aux lois sur les contributions indirectes, les douanes, les octrois, la police des chemins de fer, etc.

Beaucoup de personnes, fort honorables, qui ne pren draient pas une épingle à autrui, pensent encore malheureusement que ce n'est pas une mauvaise action que de frauder l'État. Les lois existent néanmoins et il y a un intérêt supérieur à ce qu'elles soient respectées.

Quant aux délits de contrefaçon, ils présentent presque toujours des questions de droit, de priorité, que le jury serait mal à l'aise pour trancher en connaissance de cause.

L'article 3 indique le siège des assises. Nous avons adopté le chef-lieu judiciaire de l'arrondissement afin d'éviter un trop long transport aux prévenus, aux témoins et aux jurés.

Aux termes de l'article 4, les assises correctionnelles auront lieu tous les huit jours à Paris et dans les tribunaux de deuxième classe. La session sera ainsi moins longue que si elle n'avait lieu que tous les mois ou mème tous les quinze jours. Avec notre projet, à part trois ou quatre tribunaux, chaque juré ne siégera pas plus de 2 ou 3 jours tous les 3 ou 4 ans.

Dans les autres tribunaux les assises correctionnelles se tiendront tous les quinze jours au moins. Pour la plupart de ces tribunaux la session ne durera pas plus d'un ou deux jours. Il faut néanmoins que le jury se réunisse plus

souvent que tous les mois afin de ne pas prolonger trop longtemps la détention préventive.

Aux termes de l'article 5, le tribunal fixera le jour de l'ouverture de chaque session. Nous avons choisi la première quinzaine d'août parce que c'est à cette époque que le tribunal établit son roulement pour l'année suivante.

Rien ne lui sera plus facile que de décider que la session ordinaire des assises correctionnelles s'ouvrira tel jour de chaque semaine ou tel jour de chaque quinzaine, selon que le tribunal sera de la première ou de la seconde catégorie.

La composition du tribunal d'assises est déterminée par l'article 6. Nous n'y faisons entrer en dehors du ministère public qu'un seul magistrat. Nous avons été amené à cette résolution par l'expérience qui nous a démontré l'inutilité des assesseurs dans une cour d'assises.

L'application de la peine quand le jury a prononcé ne présente aucune espèce de difficulté. D'ailleurs le président, qui a été obligé d'étudier le dossier pour diriger les débats, exercerait toujours une influence prépondérante sur l'esprit de ses assesseurs qui le plus souvent, même après les débats, ne connaissent pas le premier mot de l'affaire.

Avec notre système on économise deux magistrats qui pourront être employés plus utilement à l'expédition des affaires civiles, lesquelles éprouvent toujours un retard souvent ruineux pour l'une des parties, quand ce n'est pas pour toutes les deux.

Nous avons expliqué dans le chapitre Ier comment était formée la liste annuelle du jury criminel. Les articles 7 et 8 ne font que déclarer applicables à la formation de la liste du jury correctionnel les dispositions de la loi du 21 novembre 1872 (art. 8 à 17) sauf deux exceptions : 1" pour les assises correctionnelles la liste annuelle définitive est formée par arrondissement au lieu de l'être par département; 2o le nombre des jurés, devant figurer sur la liste

annuelle du jury correctionnel, n'est pas limité. Tous les citoyens remplissant les conditions exigées par la loi du 21 novembre 1872 doivent y être inscrits d'office par la commission. Cette mesure est nécessaire afin de ne pas ètre contraint d'appeler trop fréquemment les mêmes hommes pour constituer le jury. Avec l'institution des assises correctionnelles, en effet, les sessions seront beaucoup plus fréquentes puisqu'il y en aura une tous les quinze jours et dans certains tribunaux une tous les huit jours. D'ailleurs la fonction de juré est une charge qui doit ètre supportée également par tous ceux qui remplissent les conditions prescrites par la loi.

Nous avons adopté dans l'article 9 le nombre de 14 jurés pour la liste de session afin de laisser au prévenu un droit de récusation suffisamment étendu. Ce droit s'exercera conformément aux dispositions des articles 399 à 105 du Code d'instruction criminelle.

Les articles 10, 11 et 12 sont relatifs à la formation du jury de jugement.

L'article 10 déclare que la formation du jury de jugement, en matière correctionnelle, est soumise aux mêmes règles que celle du jury de jugement des assises départementales, sauf quelques détails qui s'expliquent eux-mêmes :

qui a paru

C'est ainsi que le délai de huit jours suffisant pour un ressort d'arrondissement pour le tirage au sort des jurés, a été substitué au délai de dix jours prescrit par l'article 388;

Que le délai de la convocation de huit jours, d'après l'article 389 - est réduit à cinq jours par l'article 11; Que cette convocation est faite par lettre recommandée au lieu de l'être par un huissier;

Enfin qu'aux termes de l'article 12 la notification de la liste du jury et des témoins aux prévenus est faite vingtquatre heures au moins avant l'audience.

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