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quand nous en viendrons à les traiter en détail. Il suffira de remarquer ici que, puisque les droits et devoirs normaux se rattachent à la paix, nous obtenons une division du Droit International en Droit de la Paix, Droit de la Guerre, et Droit de la Neutralité. Chacun d'eux sera examiné dans une des trois parties suivantes de ce livre. Le tableau ci-joint permettra d'apercevoir d'un coup d'œil l'ordre que nous nous proposons d'adopter.

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DEUXIÈME PARTIE

LE DROIT DE LA PAIX

CHAPITRE I

DROITS ET OBLIGATIONS RELATIFS A L'INDÉPENDANCE

§ 58

nature du

L'INDÉPENDANCE peut se définir le droit d'un Etat d'ad- Définition et ministrer toutes ses affaires extérieures ou intérieures sans droit d'indécontrôle des autres Etats. Ce droit d'action indépendante pendance. est le résultat naturel de la souveraineté. C'est, en fait, la souveraineté considérée du point de vue des autres nations. Quand un État est entièrement son maître, il est souverain au regard de lui-même, indépendant au regard des autres. L'indépendance est donc accordée par le droit international moderne à tous les États souverains qui sont ses sujets.

On ne doit pas cependant oublier que, jusqu'à la chute du moyen âge, la notion de souveraineté universelle fut la conception dominante des politiques et des écrivains dans l'ordre des relations internationales. Ils pensaient qu'il y avait, ou tout au moins qu'il aurait dû y avoir, au-dessus des nations un supérieur commun. Les derniers vestiges de cette idée furent emportés dans le tourbillon de la Réforme, et la doctrine de l'indépendance des États lui fut substituée par les grands jurisconsultes auxquels nous devons la forme que le droit international a prise à l'époque moderne. C'est une tendance de la part de beaucoup d'auteurs de regarder l'indépendance et la souveraineté comme des attributs des États, conférés à eux d'une manière quasi-mystérieuse, tout à fait en dehors des dispositions de la loi qui définit leurs droits et leurs obligations. On nous dit qu'ils naissent de la nature même de la Société des nations, qu'ils sont nécessaires à la conception de l'État ou qu'ils sont conférés par le Grand Auteur

États misouverains qui ne jouissent pas d'une complète indépendance.

de la Société. De telles spéculations n'ont manifestement aucune base : une simple référence aux faits de l'histoire nous le démontre. Les États, comme les individus, ont les droits qui leur sont conférés par la loi sous laquelle ils vivent. Il fut un temps où la pleine souveraineté leur était déniée par la loi alors existante. Mais, depuis la Paix de Westphalie, de 1648, le principe de l'indépendance complète a été accepté par tous les hommes d'État et incorporé au Code interna

tional du monde civilisé.

§ 59

Les Etats mi-souverains ne possèdent pas le droit d'indépendance dans sa totalité, bien que, pour sauver les apparences, on en parle dans les documents diplomatiques comme s'ils étaient indépendants. Mais il est clair que les limitations de leur souveraineté extérieure sont aussi des limitations de leur indépendance. Par exemple, en vertu de l'art. 4 du Traité du 27 février 1884, la République du Transvaal, dans l'Afrique du Sud, s'engageait à ne traiter avec aucun État ou nation autre que l'État libre d'Orange, ni avec aucune tribu indigène, à l'est ou à l'ouest de la République, sans l'approbation de la Grande-Bretagne.

Comme dès lors les chefs du Transvaal étaient tenus d'obtenir l'assentiment de la Grande-Bretagne avant de pouvoir agir dans une sphère très importante, on ne pouvait rigoureusement dire de la République Boer qu'elle possédât la plénitude de l'indépendance, bien qu'elle fût nommée État indépendant dans les traités, les dépêches, et que le terme de suzeraineté qui avait fait son apparition dans la Convention de 1882 n'eût pas été inséré dans celle de 1884. Dans les négociations qui précédèrent la rupture finale en 1899, la République de l'Afrique du Sud réclama le droit d'être un 'État souverain international', ce qui n'était certainement pas possible si, comme nous l'avons soutenu, les restrictions à la souveraineté extérieure sont aussi des restrictions à l'indépendance.

§ 60

volontaires

Même au cas d'États pleinement souverains et au regard Restrictions de la conduite des plus puissants d'entre eux, des restrictions à la liberté à la liberté illimitée d'agir sont imposées temporairement des Etats par les évènements et les circonstances; toutefois, comme ce souverains. ne sont pas des incidents légaux permanents de l'existence politique des communautés qui les subissent, mais des conditions nécessaires de la vie sociale imposées par la sagesse des Puissances intéressées, elles ne privent pas de l'indépendance et de la souveraineté les États qui vivent sous elles. Elles naissent souvent des stipulations des traités où elles sont introduites volontairement par les gouvernements pour éviter des difficultés dans leurs relations extérieures. Par

1

exemple, les États-Unis et la Grande-Bretagne se sont engagés par le traité Clayton-Bulwer de 1850, qui a été abrogé et remplacé par le traité Hay-Pauncefote de 1901, à n'acquérir aucun territoire dans l'Amérique centrale; et, en 1886, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont fait une déclaration formelle par quoi les limites de leurs sphères d'influence respectives dans le Pacifique occidental ont été définies et chaque Puissance s'est engagée à ne pas entrer dans la région assignée à l'autre. Et encore les Déclarations faites en 1907 par la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne pour le maintien du status quo territorial de ces trois Puissances dans la Méditerranée, et la Déclaration semblable faite en 1908 par les Puissances riveraines de la mer Baltique et du Nord, participent de la nature d'auto-limitations, car elles obligent leurs signataires à s'abstenir de modifier les frontières existantes dans le territoire auquel elles s'appliquent.3

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Une autre source d'auto-limitation à la liberté d'action concédée par le droit d'indépendance se trouve dans la considération du droit correspondant d'autres États. De même que

1 Treaties of the United States, p. 441.

2 British Parliamentary Papers, Western Pacific, No. 1 (1886).

3 Supplement to the American Journal of International Law, vol. i, p. 425, et vol. ii, pp. 270–274.

Restrictions involontaires à la liberté d'action

des États souverains.

dans la société des individus les relations amicales seraient impossibles si chacun insistait pour user de la pleine liberté à lui donnée par la loi, sans égard aux sentiments et convenances de ses voisins, ainsi dans la société des nations une abstention semblable est nécessaire pour conserver la paix. De mutuelles concessions sont le prix de la vie sociale. Un État qui conduirait sa politique étrangère, réglerait son commerce, exercerait sa juridiction sans souci ni soin des désirs et intérêts des autres États, serait sans doute dans son droit strict de communauté politique indépendante, mais il ne tarderait pas à se voir regarder comme un danger international, soumis, comme tel, au très désagréable procédé de la rétorsion.

§ 61

Parfois un État indépendant se trouve obligé de se soumettre pour un temps à des restrictions qui lui sont imposées par une force supérieure, comme la Prusse, quand elle fut en 1808 empêchée par Napoléon d'entretenir une armée de plus de quarante mille hommes,1 la Russie et la Turquie lorsqu'elles furent obligées par le Traité de Paris de 1856 de ne pas construire 'd'arsenaux de marine militaire' sur la côte de la mer Noire et de ne pas entretenir sur cette mer de navires de guerre. De telles stipulations ne sont pas exceptionnelles dans l'histoire des relations internationales. Elles sont souvent imposées à un belligérant après la défaite comme une partie du prix de la paix. Les Puissances à elles soumises les éludent constamment et toujours saisissent la première occasion de s'en affranchir. La Prusse déjoua le dessein de Napoléon d'anéantir son pouvoir comme État militaire en faisant sortir de son armée active les meilleurs de ses jeunes soldats pour les garder bien entraînés dans sa réserve; et la Russie prit avantage de la guerre franco-allemande de 1870 pour obtenir par la Convention de Londres de 1871 d'être formellement déliée de ses engagements relatifs à la mer

1 Fyffe, Modern Europe, vol. i, p. 382.

2 Holland, European Concert in the Eastern Question, p. 247.

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