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arrêtée conformément à ce principe.1 Mais il est hors de doute que les frontières naturelles doivent, quand il en existe, être préférées à une ligne imaginaire. Si un fleuve navigable se jette dans la mer entre les établissements d'une nation et ceux d'une autre, chacune sera censée avoir occupé le territoire jusqu'à la rive du fleuve qui se trouve de son côté : la ligne de démarcation suivra le milieu du chenal.

Les règles ci-dessus énoncées ferment la porte à bien des controverses, mais ne sont pas toutes assez précises en leurs termes pour couper court aux divergences d'interprétations quand on les applique à des espèces concrètes. De plus, on conçoit qu'un État puisse contester l'application de quelques-unes d'entre elles à l'Afrique, puisqu'elles dérivent principalement de l'expérience d'Amérique, et que les deux continents ne se ressemblent ni par la configuration géographique ni par les conditions politiques. Des considérations de cette nature ont amené les grands États européens, qui sont récemment entrés en concurrence pour le territoire et l'influence en Afrique, à établir entre eux des accords en vue de prévenir de futurs conflits. Ces accords ont pris la forme de traités pour la délimitation de ce qu'on nomme les sphères d'influence. Les parties contractantes sont libres d'acquérir le territoire par l'occupation et d'accomplir tout acte de souveraineté sans avoir à redouter l'action des autres, dans la limite des districts qu'ils se sont mutuellement assignés. Ainsi, chacune des grandes nations colonisatrices a obtenu sa liberté d'action sur de très vastes étendues de pays, et la possibilité de luttes comme celles dont le continent américain fut le théâtre est réduite au minimum. Elle n'est pas, naturellement, tout à fait détruite; car les Puissances qui n'ont pas pris part aux accords en question, et ne les reconnaissent pas, ne sont nullement liées par leurs clauses, et gardent la faculté, suivant le droit commun des nations, d'occuper n'importe

1 Treaties of the United States, p. 1017; Hall, International Law, 5th ed., p. 108.

2 V. § 81.

quel territoire qui techniquement est res nullius. Mais le danger de futurs conflits est très faible, vu que tous les États avides de participer au partage de l'Afrique ont déjà reçu plus de territoire qu'ils n'en pourront soumettre pendant un grand nombre d'années.

Mais le plus important et le plus caractéristique des développements modernes se trouve dans la tendance à exiger que la Puissance qui a occupé un territoire fasse, à chaque occupation nouvelle, connaître officiellement les limites du territoire qu'elle prétend avoir ajouté à ses possessions, et aussi à exiger qu'elle exerce sur le pays, ainsi délimité, une autorité suffisante pour y assurer les conditions primordiales de la vie civilisée. Ces conditions ont été groupées par l'Institut de Droit international dans sa Déclaration de Lausanne en 1888;1 elles sont substantiellement contenues dans l'Acte final de la Conférence de l'Afrique occidentale de 1885, Acte signé par toutes les Puissances de l'Europe et aussi par les États-Unis. Chacune des Puissances signataires s'engagea à adresser aux autres une notification expresse toutes les fois qu'à l'avenir elle acquerrait par l'occupation sur la côte d'Afrique un espace de terre ou y assumerait un protectorat; et il fut entendu que les notifications indiqueraient les limites du territoire nouvellement revendiqué. Ces règles ont été déjà mises en pratique dans plusieurs circonstances, et l'on peut espérer que tous les États les adopteront, et les étendront à toute acquisition future de terres vacantes, en quelque lieu qu'elles soient situées. Les Puissances représentées à la Conférence de l'Afrique occidentale convinrent, de plus, que l'État qui se les approprie doit maintenir sur tout le territoire occupé par lui sur les côtes du continent africain un ordre suffisant pour assurer la liberté du commerce et du transit, et protéger les droits acquis. Cette clause, aussi,

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1 Tableau général de l'Institut de Droit international, p. 145.

2 British State Papers, Africa, No. 4 (1885), p. 312; Supplement to the American Journal of International Law, vol. iii, p. 24.

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pourrait avec grand avantage se convertir en règle générale du droit international. Les États se montrent disposés à exiger quelque chose d'approchant dans tous les cas; et, quoiqu'il soit évident qu'une autorité effective parfaite doive être l'œuvre du temps, un constant progrès à cet égard peut bien être réclamé.

Il est impossible d'étudier l'histoire des récentes acquisitions territoriales, en Afrique et ailleurs, sans être frappé de la présence simultanée de deux choses qui à première vue paraissent incompatibles. Nous trouvons, d'une part, dans les traités et documents diplomatiques, peu ou point d'allusion à l'existence des indigènes. Les pays où ils vivent sont partagés sans le moindre égard à leurs vœux. Ils sont simplement ignorés comme n'ayant aucun locus standi dans l'affaire. D'autre part, nous découvrons que lorsque les États qui, dans leurs accords mutuels, ne prêtent aucune attention aux indigènes, viennent à traiter en particulier et directement avec le nouveau territoire qu'ils désirent acquérir, ils ont grand soin d'entrer en relations amicales avec les habitants, et en général de ne rien faire dans le pays d'une tribu sans quelque accord avec elle. Par exemple, de 1884 à 1886, trois cents traités environ furent conclus avec les États et tribus indigènes pour les territoires britanniques du bassin du Niger.1 Cette apparente contradiction s'explique quand on réfléchit que le droit international, en tant que système technique de règles en vue de déterminer les actions des États dans leurs rapports mutuels, ne s'adresse qu'aux seules communautés civilisées. L'occupation donne un titre d'après lui valable; mais ce titre ne peut l'être qu'au regard des États qui sont les sujets du droit. Lorsque ces États viennent à traiter avec les tribus indigènes, les règles techniques du droit international ne sont pas applicables, mais les considérations morales le sont. La justice veut que les habitants des districts occupés soient honnêtement traités. La vieille idée que les peuples non-chrétiens pouvaient 1 Statesman's Year Book, 1894, p. 1890.

être dépossédés illégalement, et même égorgés, blessait la conscience de la chrétienté, et a été depuis longtemps ensevelie dans les limbes des théories oubliées. Les sophismes par lesquels Vattel1 cherchait à justifier l'acquisition du territoire des nomades, sur le fondement qu'ils accaparaient plus de terre qu'il ne leur en fallait pour mener une vie laborieuse et agricole, ont peu de poids aujourd'hui. Mais la triste histoire de l'État Libre du Congo 2 montre que des hommes civilisés risquent de renouveler, aujourd'hui, sous le couvert du développement du commerce, les brutalités qui furent exercées au nom de la religion il y a quatre cents ans. Un système qui implique plusieurs des pires caractères de l'esclavage africain, ou même le dépasse en horreur, règne sur tout un territoire de près d'un million de milles carrés. . . . Des hommes, et même des femmes, sont contraints à mener une vie de travail incessant et non payé, auxquels la mort seule apporte une trêve. Les châtiments inhumains sont généralisés. La maladie et la famine, venant naturellement à la suite de la tyrannie et de la violence, dépeuplent des districts entiers.' Ainsi parlent des hommes de modération, qui ont le sens des responsabilités. Ces paroles sont tirées d'un manifeste nouvellement publié (juillet 1909) par les maîtres de la vie et de la pensée religieuses en Angleterre, y compris les deux archevêques de l'Église anglicane et les premiers théologiens non-conformistes. Les Puissances qui reconnurent l'État Libre du Congo et signèrent l'Acte final de la Conférence de l'Afrique occidentale de 1885 ont incontestablement le droit d'intervenir en raison du traité, ainsi qu'un devoir d'humanité à remplir. Mais de grandes améliorations sont en bonne voie de progrès; on peut espérer avec confiance que le bon sens et les honorables sentiments du peuple belge lui feront réaliser complètement et sans inutile retard les réformes qu'il a déjà commencées. La seule justification morale de l'extension d'une autorité civilisée sur des tribus 1 Droit des Gens, liv. I, § 209. 2 V. § 45.

Modes d'acquisition

de territoire Par les

Etats:

arriérées est de les rendre capables de s'élever par là à un plus haut degré d'existence. Lorsque les représentants des races supérieures et inférieures entrent en contact, les premiers doivent prévaloir, car les derniers sont incapables, suivant l'exacte observation du professeur Westlake, 'd'établir un gouvernement qui réponde aux besoins des hommes de race 'blanche et d'assurer leur propre protection.'1 Mais ils ne devraient jamais exercer leur autorité par des actes d'oppression, ou de cruauté, ou de mauvaise foi. Le bien de leurs sujets devrait être leur objet plutôt que leur propre enri

chissement, et leur fin dernière devrait être de faire l'éducation de leurs pupilles de telle sorte qu'avec le temps ils apprennent à se gouverner.

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Nous passons maintenant à l'examen de

L'accession,

(2)Accession. qui est le second des deux modes d'acquisition originaires connus du droit international. Il ne s'applique qu'aux frontières d'eau ; les règles qui le définissent et le limitent sont empruntées avec peu de modification au droit romain.2 Quand l'action des eaux ajoute à la terre, ou quand des îles se forment à la hauteur de la côte d'un État, par alluvion, ou par quelque autre cause, ces terres sont considérées comme des portions du territoire. Lorsqu'un cours d'eau sert de limite entre deux États, les îles formées de l'un ou l'autre côté du milieu du chenal appartiennent à l'État qui possède ce côté. Si elles s'élèvent au centre même du chenal, elles sont partagées entre les deux États par une ligne qui les coupe en long ou en large dans le prolongement de la ligne tracée par le milieu du chenal. Mais si une convulsion de la nature modifie tout à fait le lit du

29,

1 International Law, I, p. 205.

2 Justinien, Institutes, liv. II, tit. i, 20-24; Digeste, liv. XLI, tit. i, 7, 65.

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