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possédés sur ces territoires. L'envie de partager l'Afrique et les transactions qui ont eu lieu dans le but de lui assurer une satisfaction pacifique ont mis ces questions à l'ordre du jour, si même elles n'ont pas créé les problèmes qui, maintenant, attendent une solution. Le droit international moderne était familier avec la souveraineté, et s'il connaissait la suzeraineté, c'était plutôt, il est vrai, comme relation entre gouvernements qu'en qualité de pouvoir sur un territoire. Les rares protectorats qu'il connaissait offraient peu de place au développement des difficultés internationales. Aujourd'hui, au contraire, tout est changé. En ces quelques dernières années, les protectorats ont poussé en Afrique avec la rapidité de la végétation tropicale: avec eux sont nées des questions relatives aux responsabilités et aux devoirs mutuels des Puissances protectrices. La création des sphères d'influence a cru à vue d'œil; mais le nom et la chose sont d'une telle nouveauté qu'il n'est pas encore possible d'en définir exactement les conséquences légales. En fait, un chapitre nouveau s'ajoute au droit international; et dans les remarques qui suivent nous ne pourrons guère qu'indiquer la direction prise par l'opinion et la pratique au regard des questions qui s'y rattachent.

Toutefois, il ne peut exister ni doute, ni difficulté, quant au territoire sur lequel un État exerce son autorité comme portion de ses domaines. Soit que ce territoire ait été possédé depuis un temps immémorial ou seulement acquis depuis la veille, soit qu'il donne d'abondantes marques de la civilisation la plus avancée ou qu'il soit couvert de forêts et de déserts, soit que la plupart des hommes y soient cultivés et polis ou grossiers et barbares, les pouvoirs exercés sur lui et sur tous ses habitants sont ceux d'une entière souveraineté.

L'État qui le possède dirige entièrement et exclusivement ses affaires intérieures et extérieures, sauf dans les rares cas où, comme nous l'avons dit plus haut,' quelques-uns des pouvoirs de la souveraineté extérieure sont pour un temps ou 1 V. §§ 60, 61.

à toujours aliénés. Ses droits et devoirs sont déterminés par le droit commun des nations, et peuvent être connus de quiconque prend la peine de s'en instruire.

§ 80

peut exercer

un territoire

(2) de pro

Au regard des 'Protectorats' il y a plus de complexité. Un État Comme on l'a déjà vu,1 ce terme peut désigner des rapports sa souvede dépendance d'un côté et de protection d'un autre entre raineté sur deux personnes internationales, ou bien une attitude de pro- au titre priété expectante et réserve actuelle de la part d'un État tectorat. civilisé au regard de territoires habités par une population incapable de rien qui ressemble à une existence d'État, au sens où l'entend la société des nations. Les protectorats de la première espèce sont en très petit nombre et trop peu importants pour réclamer d'autre explication.2 Les protectorats de la seconde sont nombreux. Ce sont de simples artifices par lesquels un État colonisateur se réserve pour lui-même diverses régions qu'il ne juge pas mûres pour l'occupation immédiate, mais désire avoir la liberté d'occuper plus tard.

En attendant, de gré à gré ou autrement, il exerce une certaine mesure d'autorité sur les tribus indigènes, et les oblige à n'entrer en relations politiques avec aucune Puissance étrangère, tandis qu'il donne en même temps à entendre à ces Puissances qu'elles doivent s'abstenir de tout rapport direct avec les indigènes. Par une inspiration qui n'est pas très heureuse, la dénomination de ' protectorats coloniaux ' 3 a été donnée, et aux régions qui sont l'objet de ces arrangements, et à ces arrangements mêmes. Elle servira, cependant, à faire des distinctions. En employant cette expression il faut nous souvenir qu'il n'y a pas d'État à protéger, mais des tribus plus ou moins barbares, — et que 1 V. §§ 39, 43.

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2 Oppenheim, International Law, vol. i, p. 139.

3

Nys, Droit international, vol. i, p. 365, et vol. ii, pp. 80-98; Westlake, International Law, part I, pp. 119-127.

la région qui est sous le protectorat n'est pas annexée à l'État protecteur, mais réservée pour une annexion future. De fait, le protectorat colonial est à la souveraineté ce que les fiançailles sont au mariage.

Entre les protectorats ordinaires, qui furent pendant longtemps la seule espèce connue en droit international, et les protectorats dits coloniaux, se trouve une troisième classe, relativement moderne dans son origine et un peu anormale dans sa nature. Nous faisons allusion aux cas où un État appartenant à la famille des nations, et généralement un de ses membres importants, a établi ce qu'il nomme protectorat sur une communauté politique à laquelle il est impossible de refuser le nom d'État, mais qui ne se trouve pas suffisamment civilisée selon la mode européenne pour être regardée comme un membre parfait de la société internationale. Comme exemples, nous pouvons citer le protectorat britannique de Zanzibar, qui fut établi en 1890, et le protectorat français de l'Annam, qui date de 1886. Dans ces deux pays il y a un souverain indigène un sultan à Zanzibar et un roi dans l'Annam. Mais l'administration du sultan est contrôlée par un agent et consul général britannique, celle du roi par un résident supérieur français. Dans l'un et l'autre cas les relations extérieures sont dans les mains de la Puissance

protectrice.1 Il y a, cependant, un État à protéger, bien qu'il ne soit pas ce qu'on nomme un État du droit international. Les protectorats de cette espèce se confondent aisément avec les vrais protectorats coloniaux ; car il est impossible de tracer avec fermeté une ligne sûre entre les communautés qui sont assez civilisées pour nouer des relations politiques rudimentaires avec un grand État, et les communautés trop barbares pour avoir droit à une qualité d'État quelconque. Néanmoins la distinction est réelle. Il y a une immense différence entre les États tels que Zanzibar et l'Annam, avec des gouvernements organisés sur le type oriental, et

1 Statesman's Year Book, 1909, pp. 185–187, 783-785; Despagnet, Droit international public, p. 130.

une tribu de sauvages à demi nus vivant de la chasse sur les plaines de l'Afrique. Leur destinée politique est pourtant la même. Les protectorats sont établis sur les premiers, ainsi que sur les seconds, en vue d'une annexion finale. La France, par exemple, convertit Madagascar, qui avait été un protectorat français depuis 1885, en une colonie en 1896, et en fit ainsi une portion du territoire de la République. Mais il arrive quelquefois que l'État protégé grandit en organisation et en puissance, et qu'il rejette une protection qui lui déplaît. Ce cas s'est présenté en 1896, quand l'Abyssinie, soumise au protectorat de l'Italie en 1889, défit l'armée italienne et regagna sa pleine indépendance par le Traité de Adis Ababa.1

Des trois espèces de protectorats que nous avons discutés, les protectorats coloniaux seuls présentent des problèmes d'une importance internationale marquée. Les traités sur lesquels chaque exemple des deux autres est basé sont en général assez explicites pour établir clairement les droits et devoirs des parties, et leur reconnaissance expresse ou tacite par les autres États leur donne la validité internationale. Mais un protectorat colonial est parfois assumé sans rien conclure qui ressemble à un accord; et en tout cas les accords ainsi contractés ne sont pas des traités au sens strict du mot, puisque l'une des parties n'est pas un État. La justice demande qu'une sorte de consentement soit obtenu des tribus et des chefs qui vivent dans le territoire protégé. Mais, en tant que le droit international s'y trouve impliqué, les pouvoirs exercés par l'État protecteur découlent, non d'un accord, mais de la prise des droits territoriaux qui, bien qu'ils n'atteignent pas à la souveraineté complète, tendent vers elle. Nous devons donc rechercher si le commun droit des gens n'attache point des droits et des devoirs déterminés à la création et au maintien du protectorat colonial. Et la réponse ne peut pas être aussi claire et précise qu'on le souhaiterait, parce que le temps écoulé depuis que ce genre

1 Statesman's Year Book, 1899, pp. 336, 557.

spécial de protectorat est devenu commun n'a pas été assez long pour qu'un nouveau chapitre de droit incontesté ait pu se développer. Dans l'exposé qui suit, on indiquera des tendances plutôt que des règles établies.

Lorsqu'un État assume un protectorat colonial, il est bien avisé de notifier aussitôt le fait par la voie diplomatique à tous les autres membres de la société des nations. L'obligation d'agir ainsi ne s'applique qu'aux Puissances signataires de l'Acte final de la Conférence de l'Afrique occidentale de 1885, et seulement pour leurs protectorats de la côte d'Afrique. Mais la mesure est si bien calculée pour écarter toutes difficultés dans l'avenir, en donnant à toute Puissance qui a des titres contraires à faire valoir l'occasion d'exposer ses objections avant que le nouvel ordre ait eu le temps de prendre racine, que la règle qui commande la notification pourrait bien devenir d'une application universelle. La même Conférence, tout en obligeant ses membres à maintenir un ordre raisonnable dans tout territoire qu'ils pourraient acquérir à l'avenir par occupation sur la côte africaine, refusa d'étendre cette obligation aux protectorats. Mais, comme le dit fort bien le professeur Westlake: Une Puissance qui prétend exclure l'action des autres Puissances d'une région ouverte à l'entreprise des blancs doit fournir elle-même l'action civilisatrice nécessaire à la sauvegarde et à la réglementation d'une telle entreprise.' Il est certain que si, par exemple, un sujet allemand était lésé et dépouillé dans l'Ouganda ou le Protectorat britannique de l'Afrique orientale, l'Allemagne s'adresserait à la Grande-Bretagne pour obtenir justice; et il est également certain que l'Allemagne ferait réparation à un sujet britannique qui aurait subi un dommage dans l'Afrique orientale allemande. Cette obligation de maintenir un ordre convenable et d'offrir une protection raisonnable entraîne avec elle, comme conséquence, le droit d'exercer la juridiction sur les étrangers qui habitent le

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1 British Parliamentary Papers, Africa, No. 4 (1885), pp. 215–312. 2 International Law, part I, pp. 124, 125.

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