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comprise comme devant faire de part et d'autre l'objet de mutuelles concessions. La commission nommée en vertu du Traité de 1871 se prononça en faveur de la Grande-Bretagne et fixa la compensation à cinq millions et demi de dollars, que les États-Unis payèrent immédiatement tout en soutenant qu'elle dépassait de beaucoup la valeur des droits que leurs citoyens avaient obtenus. A l'expiration d'un délai de dix ans depuis la mise en vigueur en 1873 de l'arrangement relatif à la pêche, chaque partie avait le droit d'y mettre un terme en en prévenant l'autre deux ans à l'avance. Il prit fin en 1885 à la suite d'une notification faite par le Président des États-Unis en 1883. Les dispositions du Traité de 1818 reprirent immédiatement force, et les vieilles difficultés commencèrent immédiatement de renaître. Dans l'espérance d'y mettre un terme le Gouvernement anglais envoya des plénipotentiaires à Washington en 1887, pour négocier un nouveau traité de pêche. Ils parvinrent à s'entendre avec les plénipotentiaires américains sur la base d'une exacte et minutieuse délimitation des baies, dans lesquelles les habitants des États-Unis se voyaient interdire de pêcher par le Traité de 1818, et sur la base d'une description également méticuleuse des privilèges et devoirs des vaisseaux de pêche américains dans les ports et rades du Canada.1 Mais le traité qu'ils avaient négocié ne fut pas ratifié par le Sénat des États-Unis, et les parties contractantes furent obligées d'en revenir aux dispositions du modus vivendi que les plénipotentiaires avaient arrêté pour éviter toute difficulté entre la signature et la mise en vigueur du traité.2 Ce plan d'une solution temporaire pour sortir des difficultés présentes a été plus d'une fois repris, l'insuccès de plus d'une tentative d'un traité définitif l'ayant toujours rendu nécessaire pour empêcher que les relations pacifiques des deux pays ne fussent sérieusement mises en péril par des troubles,

1 British Parliamentary Papers, United States, No. 1 (1888).

2 Pour l'ensemble du sujet, v. Moore, International Law Digest, vol. i, pp. 767-784; Wheaton, International Law (Dana's ed.), pp. 342-350 et note 142; Hall, International Law, 5o éd., pp. 94, 95.

mais à la longue une solution définitive a été obtenue. Les deux Puissances ont soumis la question à un tribunal arbitral nommé en vertu des stipulations de la Convention de La Haye de 1907 pour la solution pacifique des conflits internationaux. Cet arbitrage, magnifique morceau de raisonnement juridique, a été rendu en septembre 1910. Il adopte en principe les demandes anglaises relatives à l'étendue des baies dont les pêcheurs américains sont exclus, et rejette la prétention américaine de restreindre la souveraineté de la Grande-Bretagne dans les eaux territoriales engagées dans la controverse, mais donne à une commission mixte technique le droit de se prononcer sur la valeur des règles faites par l'Angleterre pour le contrôle des pêcheries.1

§ 92

Le dernier point à considérer par rapport au présent Droits sur sujet est

La navigation des grandes artères fluviales.

A leur égard nous avons à distinguer entre ce qu'on appelle maintenant fleuves internationaux et les grands cours d'eau navigables qui de la source à l'embouchure coulent à travers le territoire d'un seul État. Par les premiers on entend les fleuves qui sont les grandes routes du commerce, traversent le territoire de deux ou plusieurs États, ou forment frontière entre les deux États, ou font l'un et l'autre. Pour eux, il n'y a pas de doute que chaque État possède des droits territoriaux sur la portion du fleuve qui se trouve entièrement comprise dans ses frontières., Mais tous les États riverains ont-ils le droit de naviguer sur l'ensemble du fleuve, ou bien chacun d'eux peut-il exclure les navires des autres de la partie de la route d'eau qui lui appartient? Il n'y a pas d'accord général entre les autorités doctrinales du droit international au regard de cette question. Les uns tiennent

1 Pour le texte complet de l'arbitrage, v. American Journal of International Law, vol. iv, pp. 948-1000.

les eaux.
(8) La navi-
gation sur les
grands

fleuves.

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pour un droit de navigation,' les autres dénient l'existence d'un droit de cette sorte, tandis qu'une troisième opinion déclare que le droit est imparfait — adjectif qui peut signifier, soit que le droit existe, mais que son exercice doit normalement être réglé par un accord, soit qu'il ne peut être exercé sans que la sécurité et l'avantage de l'État qui l'accorde soient assurés par une convention spéciale. Cette dernière version de la doctrine du droit imparfait semble contradictoire; car un droit qu'on ne peut exiger n'a rien d'un droit, c'est une simple permission qui dépend du bon plaisir. Les deux autres systèmes tirent des doctrines opposées des prétentions irréconciliables. Le principe que chaque État a un droit illimité de propriété sur ses terres et eaux ne laisse pas de place pour une servitude de passage innocent sur les fleuves internationaux. Le principe que l'intérêt général de l'humanité l'emporte sur tous les privilèges particuliers prive de sens l'assertion que les États ont un droit exclusif à leur territoire. Mais le droit international ne se déduit pas de principes posés. Il se base sur la pratique des nations; on doit examiner les cas qui se sont présentés, et tâcher d'en dégager une règle qui se tienne. On trouve ainsi que les grands fleuves européens qui courent à travers les territoires de plusieurs Puissances sont soumis à des péages jusqu'au commencement du XIXe siècle. Mais en 1804 le Congrès de Rastadt a aboli les péages du Rhin; et, en 1815, le Congrès de Vienne a décidé que les grands fleuves de l'Europe Occidentale devaient à l'avenir être ouverts à la navigation, et que les taxes à percevoir sur chacun d'eux seraient fixées d'un commun accord entre les Puissances riveraines.

A l'exemple du Rhin, l'Elbe et les autres fleuves furent à divers moments, après 1815, ouverts à la libre navigation, moyennant le paiement de taxes modérées suffisantes pour

1 Cp. Bluntschli, Droit international codifié, § 314.
2 Twiss, Law of Nations, vol. i, § 145.

3 Westlake, International Law, part I, pp. 154-157.
Wheaton, International Law, § 193.

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couvrir les Puissances territoriales de leurs dépenses relatives à la route d'eau.1 Dans les négociations relatives à ces accords une question de première importance surgit de la foule des détails. La liberté stipulée devait-elle se restreindre aux navires des États dont le fleuve traversait les territoires ou s'étendre à ceux des autres États qui pouvaient désirer entrer de la mer dans le fleuve? La pratique a varié durant la première moitié du XIX° siècle; mais en 1856 un grand acte international, le Traité de Paris, ouvrit le Danube au pavillon de toutes les nations et la concession fut interprétée dans le sens le plus large par les Puissances signataires. Une commission européenne fut chargée du soin d'exécuter les travaux nécessaires à l'embouchure du fleuve et autorisée à lever des taxes suffisantes pour en acquitter le coût. Les pouvoirs de cette commission ont été renouvelés et accrus par une série d'accords internationaux, dont le dernier, intervenu en 1904, prévoit la prolongation de ses pouvoirs pour des périodes successives de trois ans, mais réserve à chacun des huit États qui y sont représentés le droit d'y mettre fin par une dénonciation intervenue dans le délai d'un an avant l'achèvement d'une des périodes triennales.

En dehors de l'Europe on trouve les mêmes tendances en œuvre au regard des grands fleuves du continent américain. Quand les États-Unis obtinrent de la Grande-Bretagne en 1783 la reconnaissance expresse de leur indépendance, l'Espagne tenait la Louisiane et la Floride et possédait ainsi les deux rives du Mississipi, à son embouchure et sur une distance considérable à l'intérieur. Le Gouvernement américain réclamait pour ses citoyens, comme un droit, la libre navigation jusqu'à la mer; mais, après de longues négociations, le différend fut terminé en 1795 par le Traité de San-Lorenzo-el-Real, disposant que la navigation du fleuve, de la source à l'embouchure, serait, par faveur spéciale, libre aux sujets et citoyens des deux États. Au regard du Saint

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1 Hall, International Law, 5e éd., pp. 137, 138.

2 Twiss, Law of Nations, vol. i, § 145; Treaties of the United States, pp. 1007, 1382-1384.

Laurent les évènements suivirent un cours semblable. Les États-Unis affirmaient, et la Grande-Bretagne déniait, que les citoyens américains avaient, en vertu du droit international, la liberté de naviguer dans la partie du fleuve qui coule en entier sur le territoire canadien. Le Traité de réciprocité de 1854 leur accorda le privilège réclamé, en retour d'une concession aux sujets anglais de la liberté de naviguer sur le lac Michigan, mais réserva le droit de suspendre la concession en en donnant avis; et finalement, par le Traité de Washington de 1871, la navigation de la partie anglaise du SaintLaurent fut ouverte à toujours' aux citoyens des ÉtatsUnis. Cependant la concession ne s'applique pas aux sujets des autres pays, bien qu'elle s'étende à trois autres fleuves, le Yukon, le Porcupine et le Stikine.1 En 1909 la navigation, avec l'usage des eaux frontières, fut réglée par traité entre les deux États. Les fleuves internationaux de l'Amérique du Sud ont été ouverts aux navires de toutes les nations, tantôt par un accord, comme lorsqu'en 1853 l'Angleterre, la France et les États-Unis ont assuré la liberté du Parana et du Paraguay par traité avec la Confédération Argentine, et tantôt par acte unilatéral, comme lorsqu'en 1867 l'Empereur du Brésil a, par décret, ouvert l'Amazone.3 Au regard de l'Afrique, l'Acte final de la Conférence africaine de 1885 a décrété que le Congo, le Niger, leurs affluents, et, quoique avec quelques réserves, tous les fleuves de la zone de liberté commerciale créée par l'article 1er, seraient librement ouverts à la navigation des navires marchands de toutes les nations.* Nous pouvons tirer de tous ces faits la conclusion que, au regard de la navigation des fleuves qui traversent plus d'un pays, le droit international est dans une phase de tran

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1 Moore, International Law Digest, vol. i, pp. 626-636; Treaties of the United States, pp. 488, 489.

2 Supplement to the American Journal of International Law, vol. iv, pp. 239-249. 3 Hall, International Law, 5o éd., pp. 138-139.

4 Supplement to the American Journal of International Law, vol. iii, pp. 10 à 23; British Parliamentary Papers, Africa, No. 4 (1885), pp. 308

311.

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