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l'un, des fonctionnaires péruviens à l'autre. Il n'y avait derrière lui aucune organisation politique, aucun gouvernement provisoire pour lui donner commission; aucun territoire n'était en insurrection; pas un navire même ne prit sa cause. Il était seul dans son mouvement; et le Gouvernement péruvien refusa de prendre la responsabilité de ses actes. Dans ces conditions, la reconnaissance de la qualité de belligérant n'était pas en question; le Huascar ne pouvait être considéré que comme un écumeur de mer non autorisé. L'amiral anglais de la station du Pacifique déclara que c'était un pirate, du moins en ce qui concernait les sujets et les biens anglais. Il s'efforça de le prendre, mais ce fut en vain; et le navire se rendit à l'escadre péruvienne. Le Gouvernement anglais approuva la conduite de l'Amiral de Horsey malgré les représentations du Pérou et un débat soulevé par l'opposition dans la Chambre des Communes.1 Mais il aurait pu justifier sa conduite contre le Huascar sans soulever la question de piraterie. Un tel navire pouvait être empêché par la force de s'immiscer dans le commerce des tiers, et cependant être exempt de toute attaque tant qu'il ne les molesterait point, au lieu qu'un pirate ordinaire doit être attaqué par tout croiseur qui se trouve assez fort pour le prendre. Ainsi, en 1893, quand la majeure partie de la flotte brésilienne se révolta sous l'Amiral de Mello, et soutint à l'intérieur de la baie de Rio de Janeiro un duel d'artillerie avec les forts et les batteries qui restaient fidèles au Gouvernement, les commandants des forces navales anglaises, américaines, françaises, italiennes et portugaises qui mouillaient dans la baie, informèrent son chef qu'ils ne souffriraient point qu'il commît des actes hostiles au commerce de leurs nationaux, ou qu'il mît en danger leurs vies et leurs biens en ouvrant le feu sur les quartiers du commerce et des résidences. Tant que ces conditions furent observées, on le laissa libre de conduire ses opérations comme il voulut ; mais lorsque, peu de temps après, un navire insurgé fit feu

1 British Parliamentary Papers, Peru, No. 1 (1887); Hansard, 3o série, vol. ccxxxvi, pp. 787–802.

sur un bateau américain, le commandant américain, l'amiral Benham, riposta par les feux du Detroit. Ce cas et d'autres semblables montrent l'existence d'une situation qui tient le milieu entre l'hostilité et la piraterie, et qu'on pourrait fort bien reconnaître sous le nom d'insurrection '.1

§ 103

entre la

national et

d'après le

droit interne. des esclaves.

Le commerce

Nous devons à présent distinguer entre la piraterie iure Distinction gentium, que nous venons de décrire, et des délits qui piraterie du sont traités de piraterie par la loi civile, et par la loi civile droit interseule. Chaque État peut, en vertu de son indépendance, la piraterie disposer son code criminel de la manière qu'il juge la meilleure; et, s'il décide, dans l'exercice de son pouvoir, de nommer piraterie certains délits qui ne sont pas regardés comme tels par le droit international, il agit dans la limite de ses droits. De telles lois, liant les tribunaux de l'État qui les fait, ont force coercitive dans les limites de sa juridiction, mais pas au delà. Même si les lois d'autres pays contiennent de semblables dispositions, elles ne peuvent avoir effet que dans la sphère de l'autorité qui les promulgue. Sans accord spécial entre les États, aucun ne peut arrêter ou punir les sujets de l'autre pour délits commis hors de sa juridiction, même s'ils sont regardés comme délits par la loi de l'État du coupable. Cela est si clair qu'on n'a jamais tenté de prendre juridiction internationale sur les actes déclarés piraterie par le droit interne, hors le seul cas de traite. Dans son zèle pour la supprimer, la Grande-Bretagne a, durantl a première moitié du XIXe siècle, donné l'ordre à ses croiseurs d'arrêter et de visiter les bâtiments de toute nationalité suspects d'être engagés dans le commerce des noirs. Mais sa prétention de procéder ainsi fut vigoureusement attaquée, notamment par les États-Unis ; en 1858

1 Professor G. G. Wilson, Insurgency; Lawrence, Recognition of Belligerency, Journal of Royal United Service Institution, janvier 1897.

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elle fut abandonnée, de l'avis des légistes de la Couronne.1 On ne saurait douter que, sauf accord, aucun droit de visite n'existe en temps de paix, même pour un aussi louable objet que l'abolition de la traite. Si les États avaient accepté la proposition américaine de 1823, d'après laquelle la traite devait être assimilée d'un commun accord à la piraterie iure gentium, un croiseur quelconque d'une Puissance civilisée aurait pu arrêter en haute mer tout bâtiment suspect d'être un négrier, en agissant, naturellement, à ses risques et périls, de sorte que, si le bâtiment justifiait de son innocence, excuse et réparation lui fussent dues, à moins que son attitude eût été assez étrange pour provoquer les soupçons. Mais, comme la proposition ne put obtenir l'approbation générale, le seul parti qui restât aux États désireux de mettre fin à la traite fut d'adopter la méthode anglaise de passer des traités avec les autres Puissances pour se donner mutuellement droit de visite, de sorte que les croiseurs d'une des parties contractantes eussent le droit d'arrêter, d'examiner, et, le cas échéant, de saisir et juger les navires marchands des co-contractants suspects de traite des noirs. Mais le respect religieux du pavillon, emblème de la souveraineté nationale, le sentiment que le droit de visite, odieux de sa nature, devait être enfermé dans les plus étroites limites, l'emportèrent plus d'une fois sur les intérêts de l'humanité; et la Grande-Bretagne eut beaucoup de peine à assurer la reconnaissance générale de son point de vue. L'abolition de l'esclavage dans les États d'Amérique a mis fin à la traite des noirs dans l'Afrique occidentale; mais la traite persiste encore sur la côte orientale de l'Afrique, bien que l'effet des mesures vigoureuses prises dans les dernières années pour la supprimer commence à se faire sentir. La dernière et la plus importante est la grande Convention internationale de 1890, Acte final d'une Conférence de représentants de toutes les Puissances civilisées

1 Moore, International Law Digest, vol. ii, pp. 914-945.

2 Voir le Marianna Flora, Wheaton, Reports of U. S. Supreme Court, vol. xi, p. 1.

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convoquée par la Belgique à l'instigation de la GrandeBretagne.1 Des difficultés s'élevèrent au sujet de sa ratification. Le Parlement français hésitait à cause de la concession d'un droit de visite remanié, le Sénat des États-Unis ne voulait pas, par principe, que l'Amérique participât aux arrangements européens et africains. Mais les objections ont été surmontées ou réservées pour un règlement à venir. La France a ratifié la Convention en janvier 1892, en spécifiant, pour les mesures navales, une révision ultérieure ; et le Sénat des États-Unis sanctionna l'accord en février de la même année, en insérant dans l'acte de ratification qu'il n'entendait pas ainsi donner son approbation aux protectorats et autres arrangements territoriaux qui s'y trouvaient visés. Au milieu de 1892 la Convention avait reçu l'adhésion expresse du monde civilisé.2

Cet important accord international attaque le mal sur terre comme sur mer, ouvrant ainsi une nouvelle phase dans l'histoire des tentatives de suppression de la traite. C'est un document très soigné, divisé en chapitres et articles dont beaucoup n'eussent pu être élaborés si l'intérieur de l'Afrique ne s'était ouvert à l'influence, et, jusqu'à un certain degré, à la domination des Puissances civilisées. Nous ne pouvons donner qu'un très court aperçu de ses dispositions. L'Acte arrête les mesures de répression à appliquer par chacune des Puissances signataires dans le territoire d'Afrique sur lequel elle exerce soit la souveraineté, soit un protectorat. Des postes et des points fortifiés doivent être établis au fur et à mesure de l'ouverture du pays, tandis que des croiseurs armés sont placés sur les lacs et les eaux navigables de l'intérieur. L'importation et la vente des armes à feu et des munitions doivent être sévèrement défendues dans une zone qui couvre la plus grande partie du continent et comprend les îles situées dans les cent milles

1 British Parliamentary Papers, Africa, No. 7 (1890).

2 British Parliamentary Papers, Treaty Series, No. 7 (1892); Moore, International Law Digest, vol. ii, pp. 948–951.

de la côte. A l'intérieur de cette zone, le trafic des boissons alcooliques est prohibé ou sévèrement restreint. Celles des -Puissances signataires qui permettent l'esclavage chez elles doivent empêcher l'importation dans leurs territoires des esclaves africains. Un grand bureau international de renseignements doit s'ouvrir à Zanzibar, avec des succursales dans les autres ports africains, pour centraliser les documents de toute sorte relatifs au progrès de l'abolition de la traite par application de la Convention, et permettre un constant échange d'informations entre les Puissances intéressées. Quant aux mesures de répression relatives à la mer, une grande zone maritime se crée: elle couvre la partie occidentale de l'Océan Indien, de Madagascar aux Côtes du Béloutchistan. Dans cette zone les Puissances signataires s'accordent réciproquement droit de visite. Les navires soupçonnés de se livrer à la traite doivent être remis à un tribunal de leur pays pour être jugés; en cas de condamnation, les esclaves doivent être mis en liberté, et le capitaine et l'équipage punis selon leur délit. Les bâtiments indigènes ne peuvent être autorisés à prendre le pavillon d'une des parties contractantes pendant plus d'un an, leurs propriétaires doivent être sujets de la Puissance dont ils demandent à porter le pavillon, et jouir d'une bonne réputation, spécialement au point de vue de la traite. L'autorisation doit être retirée dès que des faits ou des tentatives de traite sont prouvés à l'encontre du capitaine ou du propriétaire. Les listes de l'équipage et des passagers noirs doivent être remises au port de partance par le capitaine du bâtiment aux autorités du pavillon qui doivent questionner, soit les matelots, soit les passagers, sur le caractère libre de leur engagement. Ces listes doivent être contrôlées au port de destination et à tous les ports de relâche. Des copies légalisées de toutes les autorisations et des avis de tous les retraits d'autorisations doivent être envoyés au bureau international d'information à Zanzibar. Les esclaves retenus à bord d'un vaisseau indigène contre leur gré peuvent

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