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réclamer leur liberté; tout esclave qui se réfugie à bord d'un navire portant le pavillon d'une des Puissances signataires doit être mis en liberté.1

On ne saurait douter que ces dispositions n'aient porté à la traite des noirs d'Afrique le plus rude coup qu'elle eût encore reçu. Depuis 1890 un merveilleux essor s'est opéré dans le développement de l'Afrique Orientale et Centrale. En dépit de la honteuse situation de l'État Libre du Congo, le mal de l'esclavage a grandement diminué. Il n'est pas de Puissance qui soit en mesure de parcourir entièrement les régions immenses, encore mal explorées, que se sont appropriées en Afrique les États européens. Mais le commerce, et, avec lui, la connaissance géographique, la puissance de domination, progressent très rapidement de sérieux efforts en vue de faire cesser la traite à l'intérieur les suivent à la trace. Ce serait être trop crédule que de se fier à la sincérité de quelques-unes des parties contractantes. La difficulté d'extirper de la société orientale l'esclavage domestique est extrême, et, jusqu'à ce que la tâche soit achevée, la traite des noirs ne cessera jamais tout à fait. Un autre obstacle se trouve dans le sentiment excessif qui tient le pavillon national pour déshonoré par la visite faite, sous lui, par les autorités d'une autre Puissance, quand même leur abstention aurait pour effet de voiler la plus odieuse des abominations humaines. Il est à prévoir que la construction des chemins de fer sera, pour l'extirpation du mal, plus puissante qu'un accord international. Elle développera le commerce légitime, et, quand les traitants arabes comprendront qu'il leur offre plus de profit que le rapt de leurs semblables, ils abandonneront leur cruel métier pour se livrer à d'autres, et plus morales, occupations. A vrai dire, ils l'ont déjà fait dans une certaine mesure. Mais cette possibilité d'éteindre la traite des esclaves dans l'avenir ne délie pas les États civilisés du devoir de la restreindre dans le présent. Ils sont morale

1 Supplement to the American Journal of International Law, vol. iii, pp. 29–59; British Parliamentary Papers, Treaty Series, No. 7 (1892).

Juridiction réclamée sur les étrangers pour les délits

commis à l'étranger.

ment tenus d'employer tous les moyens en leur pouvoir pour l'atténuation d'une si grande calamité; il faut espérer que l'opinion éclairée forcera les gouvernements à poursuivre, avec une grande activité, l'accomplissement des obligations qu'ils ont assumées en signant la grande Convention antiesclavagiste.

§ 104

Nous avons maintenant parcouru les règles générales et reconnues relatives à la juridiction de l'État, sauf celles qui concernent les pouvoirs exercés par les belligérants sur des particuliers neutres pour réprimer et punir les infractions aux règles établies par le droit de la neutralité. Nous discuterons celles-ci plus à propos quand nous arriverons à cette partie de notre sujet. Mais avant de nous occuper des exceptions aux droits ordinaires de juridiction, il nous faut considérer une catégorie de cas où la juridiction est parfois assumée par les États, quoiqu'il soit, pour ne pas dire plus, très douteux qu'ils aient le droit de le faire. Il y a dans les lois de plusieurs pays des textes qui rendent certains crimes commis par des étrangers sous une juridiction étrangère justiciables de leurs tribunaux. Ainsi la France, l'Allemagne et l'Autriche punissent les étrangers qui ont commis à l'étranger des crimes contre la sûreté de l'État français, allemand ou autrichien, et quelques Puissances, telles que la Russie et l'Italie, vont plus loin et punissent les infractions contre leurs sujets, comme le meurtre, l'incendie, et la contrefaçon, bien que commises en pays étranger par des personnes de nationalité étrangère.1 Il va de soi que les coupables ne peuvent pas être jugés et punis à moins qu'ils ne viennent dans le territoire de l'État lésé. Mais nous pouvons bien partager les doutes de Wheaton 2, Hall3,

1 Pour le droit de la plupart des nations civilisées sur ce sujet, voir le Rapport du Département d'État américain, Extraterritorial Crime and the Cutting Case, pp. 38-53.

2 International Law, § 113.
3 Ibid., 5o éd., pp. 212–213.

Westlake et autres autorités sur l'existence d'un droit de

juridiction quelconque en ce cas. L'État a autorité sur les étrangers dans les limites de son territoire, non sur les étrangers qui sont à l'étranger. Tenter de punir un étranger dans les limites du territoire pour une infraction commise avant qu'il y soit venu, c'est entreprendre d'exercer la juridiction sur des actes accomplis dans un autre État, et c'est là un acte contraire au principe même de la juridiction territoriale sur lequel il est nominalement basé. En pareil cas, l'État peut punir ses propres citoyens ; mais son droit de le faire se base sur le titre personnel qu'il a à leur obéissance où qu'ils soient. Il n'y a pas de lien personnel au cas d'étrangers; et l'on peut soutenir avec raison que toute tentative d'exercer sur eux la juridiction que nous considérons fournirait un juste sujet de remontrance à l'État dont ils seraient citoyens. Si les infractions en question sont de grands crimes, les coupables peuvent être livrés par extradition aux autorités du pays où fut perpétré le mal. Si ce sont de petites fautes, il n'y a pas lieu d'y prêter attention. Il est vrai que la plupart des États refusent d'extrader les délinquants politiques; mais les réclamations diplomatiques assureront d'ordinaire l'exercice de la part du gouvernement d'une surveillance qui empêche son sol de devenir le théâtre de conspirations contre les institutions politiques d'autres pays. En tout cas, une défaillance occasionnelle de la justice est préférable au danger de mettre les sujets de chaque État à la merci de la loi et de l'administration de ses voisins. Cette manière de voir a été développée et suivie dans plusieurs cas récents, notamment dans un différend entre les États-Unis et le Mexique au sujet de M. Cutting, qui fut arrêté et jeté en prison à Mexico en 1886 pour un prétendu délit commis au Texas contre un citoyen mexicain. Le Gouvernement de Washington demanda son élargissement, qui fut accordé sans hâte. De

1 International Law, part I, pp. 251–253 ; Annuaire de l'Institut de Droit international, 1880, pp. 50 et seq.

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Exceptions aux règles ordinaires de juridiction.

l'action vigoureuse des autorités américaines en cette occasion il ressort que les États-Unis sont profondément attachés à la doctrine que nous n'avons pas craint d'énoncer.1 La GrandeBretagne prend la même position; mais, d'autre part, l’Institut de Droit international s'est prononcé en 1883 en faveur d'un droit de juridiction sur les étrangers quant aux actes faits hors du territoire, sous les deux conditions pourtant que les actes en question compromettent la sécurité et l'ordre social de l'État qui les punit, et qu'ils ne soient pas punis par la loi du pays où ils ont été commis. Ces restrictions atténuent considérablement le droit prétendu, mais n'écartent pas les objections tirées contre lui.

§ 105

2

On se souviendra que lorsque nous réclamions pour l'État la juridiction sur toutes personnes et toutes choses dans son territoire nous marquions qu'il y avait quelques exceptions. Nous allons maintenant en faire l'énumération. Et d'abord, étrangers et parmi ceux qui, dans un pays étranger, ne sont pas sujets aux règles ordinaires, viennent

(1) Souverains

leur suite.

Les souverains étrangers et leur suite.

Quand un chef d'État visite un pays étranger ou y voyage officiellement, non seulement les honneurs protocolaires d'usage doivent lui être rendus, mais il échappe entièrement, avec ses bagages, à la juridiction locale. Il ne peut être poursuivi ni au civil, ni au criminel, et ses immunités sont à cet égard partagées par les gens de sa suite. S'il conspire contre l'État, ou s'il laisse sa suite commettre des actes contre sa sûreté, ou donne asile à des criminels et des réfugiés dans la résidence qui lui est assignée, il peut être invité à quitter le territoire ou finalement chassé du pays, mais il n'y

1 Hall, International Law, 5o éd., pp. 210-211; Moore, International Law Digest, vol. ii, pp. 232–242.

2 Tableau général de l'Institut de Droit international, p. 100.

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peut être mis en jugement et puni. Il ne peut, d'ailleurs, exercer aucune juridiction personnelle dans l'État qu'il visite, quoiqu'il y puisse continuer son travail administratif ordinaire à l'égard des affaires de son pays. S'il survient des cas graves et urgents parmi les gens de sa suite, ils doivent être renvoyés chez eux pour être jugés. Toutes ces immunités cessent si le souverain voyage incognito comme personne privée; mais il peut à tout moment les reprendre en se montrant dans son caractère officiel. Si la même personne était à la fois souverain et sujet, comme le feu Duc d'Albany qui était souverain en Saxe-Cobourg-Gotha et sujet en Angleterre, il ne peut échapper à aucune des obligations qui lui incombent pendant sa résidence dans le pays où il est sujet en faisant valoir qu'il est souverain dans un autre. Les auteurs ont varié sur le point de savoir si le président d'une république a droit, à l'étranger, aux mêmes honneurs et immunités qu'un monarque; mais les récentes visites des présidents de la République française à la Cour de Russie semblent avoir tranché la question dans le sens de l'affirmative.1

§ 106

Puis viennent sur notre liste de ceux qui ne sont pas Exceptions soumis à la juridiction locale

aux règles
ordinaires

de juri-
diction.
(2) Agents

tiques

d'Etats

étrangers.

Les agents diplomatiques des Etats étrangers. Quand le représentant accrédité d'une Puissance étrangère diplomaréside dans l'État où il est envoyé ou voyage par ce pays ou un autre pays ami pour gagner son poste ou en revenir, il est en général, avec ses biens meubles, affranchi de la juridiction locale. Les membres de sa suite officielle jouissent de semblables immunités; l'inviolabilité attachée à la personne de l'ambassadeur s'étend à sa femme et à ses enfants, et aux membres de sa maison qui, bien que n'ayant pas le caractère diplomatique, sont nécessaires à sa commodité 1 Despagnet, Droit international public, p. 246.

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