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mouvement révolutionnaire qu'il espère organiser. Dans le cours de sa tentative, il tue le gardien des fonds qui l'a surpris. Voici un acte qui est à la fois acte politique et crime de droit commun. Comment décidera-t-on si le gouvernement d'un autre pays doit remettre le meurtrier pour le faire juger s'il réussit à pénétrer dans son territoire? On dit souvent que le motif fait ici la grande distinction. Mais les motifs sont difficiles à pénétrer et sont souvent mélangés. Bien plus, il ne semble pas y avoir de raison pour qu'un homme échappe au châtiment de n'importe quel crime, quelque atroce qu'il soit, en montrant qu'il a obéi à des motifs politiques. Et l'on peut dire la même chose des vues politiques. L'extermination de toute une famille de jeunes enfants doit-elle être réputée crime politique sous le rapport de l'extradition, parce que l'assassin, monomane bienveillant, s'est persuadé qu'il rendrait service à Dieu et aux hommes en délivrant le monde d'une race de tyrans qu'il pense sincèrement être un fléau pour lui? Le sentiment que les auteurs de semblables actions ne doivent pas être protégés comme délinquants polițiques est si puissant, que plusieurs États, qu'on ne peut accuser de manquer d'attachement à la liberté politique, ont pris des mesures pour prévenir la revendication d'aucun droit d'asile à leur profit. La Belgique, par exemple, qui doit sa condition d'État à une révolution heureuse, a fait en 1856 une loi excluant de la catégorie des crimes politiques le meurtre, ou la tentative de meurtre, du chef d'un État étranger ou d'un membre de sa famille, et les États-Unis ont plusieurs traités d'extradition contenant des clauses à ce même effet.1 Si le principe est juste d'après lequel l'assassinat privé, distinct de l'homicide au cours d'une lutte déclarée, dans une guerre ou une insurrection, ne doit pas être réputé crime politique, il ne devrait pas assurément se limiter aux chefs d'États et à leurs familles, mais devrait s'appliquer à tous ceux qui sont revêtus de

1 Oppenheim, International Law, vol. i, p. 394; Moore, International Law Digest, vol. iv, pp. 352–354.

l'autorité, depuis les chefs de l'administration jusqu'aux plus humbles soldats et agents. La difficulté de traiter les délits politiques relatifs n'est pas vaincue par une solution partielle applicable à une classe et à un crime. Il nous faut un principe général dans son effet; à défaut d'un critérium simple et universel, il semble que le mieux soit de s'en remettre dans chaque cas au département judiciaire plutôt qu'au département politique du gouvernement, et d'avertir les tribunaux de refuser l'extradition dans les cas seulement où, à leur avis, dans le délit, les éléments politiques l'emportent sur les éléments ordinaires. Ils considéreront ensuite le motif et le dessein, mais seulement comme deux des facteurs qui composent le cas. Une autre alternative fort ingénieuse a été proposée par Despagnet. Il propose d'accorder l'extradition dans les cas mixtes que nous considérons, mais seulement à condition que le fugitif extradé soit traité en criminel ordinaire, et non en délinquant politique.1 Quel que soit l'avis préféré, même si cette variété si peu satisfaisante de solutions partielles et incomplètes devait persister, on devrait réfléchir à deux fois avant d'adopter cette proposition de l'Institut de Droit international2 que l'asile ne devrait jamais être accordé sous la rubrique des délinquants politiques à ceux qui sont accusés de crimes dirigés contre l'ordre social en général, non contre un État particulier ou une forme particulière de gouvernement. L'ordre social actuel, avec ses armées intermittentes de gens sans travail, ses bouges détestables, ses inégalités énormes dans la richesse et les conditions, ses fréquentes guerres et ses incessantes préparations à la guerre, a besoin de réformes autant qu'aucun gouvernement civilisé. Et si, dans la sphère sociale, il est parfois très difficile de distinguer le réformateur du criminel, on a pendant des siècles lutté contre la même difficulté dans la sphère politique. La dernière difficulté n'a pas été résolue par les répressions sans 1 Droit international public, p. 317. 2 Tableau général, p. 106.

discernement de la Sainte-Alliance; la première ne le sera pas par la remise sans distinction, en vertu de traités d'extradition, de tous ceux qui par le mépris de la loi et la violence ont attaqué le système social existant. Dans les deux cas il faut pareillement distinguer entre le réformateur qui s'est fondu dans le criminel et le criminel qui s'est fondu dans le réformateur, et, toute difficile que soit la tâche, on devrait essayer de la remplir dans tous les cas en connexion avec les délits politiques et la loi d'extradition.

La Grande-Bretagne et l'Amérique sont les seuls États de premier rang qui consentent à remettre leurs sujets à une juridiction étrangère en vue d'être jugés pour des délits commis en territoire étranger, encore qu'elles aient accepté des stipulations en vue de la pratique contraire dans quelquesuns de leurs traités d'extradition. La plupart des pays se refusent, en matière criminelle, à pousser le principe de la territorialité jusqu'à sa conséquence logique, quoiqu'il y ait un puissant courant de doctrine en ce sens parmi les juristes internationaux.1 Les coupables, ou sont jugés dans leur pays, quand il assume juridiction sur ses sujets pour les délits commis au dehors et qu'ils y sont rentrés de leur plein gré, ou restent impunis. Il semble peu raisonnable de suivre une manière d'agir dictée, soit par une notion exagérée des privilèges du citoyen, soit par une profonde défiance de l'administration de la justice dans les pays étrangers. On peut toujours surveiller une affaire et, dans le cas peu probable où elle serait conduite avec une injustice manifeste, faire des remontrances. Si les États civilisés ont suffisamment confiance les uns dans les autres pour passer des traités d'extradition, ils doivent être disposés à se remettre leurs sujets quand l'occasion s'en présente.

1 Moore, International Law Digest, vol. iv, pp. 287–304; Tableau général, p. 104.

CHAPITRE IV

DROITS ET DEVOIRS RELATIFS A L'ÉGALITÉ

§ 112

l'utilité du

De Grotius à ce jour, les publicistes ont déclaré que tous Le sens et les États indépendants sont égaux au regard du droit inter- principe national. L'égalité dont ils parlent n'est pas une égalité de d'égalité. pouvoir et d'influence, mais de droits légaux. Ils admettent que la plus petite et la plus faible des communautés politiques indépendantes a exactement la même position devant le droit des gens que l'empire le plus puissant et le plus étendu. Il est hors de doute que cette théorie fut pendant longtemps riche d'heureuses conséquences. Elle fournissait aux États faibles un principe d'appel à l'aide au cas d'agression de la part de puissants voisins; et, bien qu'elle n'empêchât pas souvent les actes d'injustice et de force, elle imprimait la flétrissure de l'illégalité sur des opérations de l'ordre familier aux lecteurs de la fable du loup et de l'agneau. Il s'ensuivait que, lorsque des États impuissants étaient capricieusement attaqués, l'agresseur inventait une excuse plausible. Les faibles s'étaient rendus coupables d'un tort qu'il fallait venger, ou l'équilibre était sérieusement troublé à raison de leur conduite criminelle, ou bien ils méditaient des attentats contre des voisins qui étaient en conséquence forcés malgré eux de les attaquer pour leur propre défense. Ainsi les paroles rendaient encore un certain hommage aux principes de moralité; et quelque respect du droit international se gardait au milieu d'actes qui étaient en réalité iniques.

§ 113

Mais l'examen de l'histoire internationale moderne révèle quantité de faits qu'il est difficile de concilier avec l'ancienne théorie de l'égalité complète de tous les États pleinement

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Faits difficiles à con

cilier avec

le principe d'égalité.

souverains. Ils semblent indiquer, au contraire, une primauté de la part des premières Puissances du monde civilisé. Si nous fixons notre attention tout d'abord sur l'Europe, comme sur le berceau où le droit international a pris une forte vitalité, nous trouvons, au début du dernier siècle, une certaine direction assumée par un groupe de Puissances qui avaient supporté le choc de la lutte contre Napoléon. Au Congrès de Vienne de 1814-1815, la France, toute vaincue qu'elle était, réussit à obtenir une place à leurs côtés, et, en 1818, elle était formellement admise à part égale dans leurs délibérations et leurs décisions.1 Ainsi fut constitué le Concert européen. Il comprenait à l'origine l'Angleterre, la France, l'Autriche, la Prusse (depuis fondue dans l'Allemagne) et la Russie; en 1867 le royaume d'Italie, nouvellement créé, y fut ajouté. Il a passé par des périodes de plus ou moins grande force; mais, s'il a, par moments, paru s'éclipser, il a toujours repris sa place et son autorité. Pour faire un tableau complet de son activité, il faudrait écrire une grande partie de l'histoire internationale de l'Europe pendant un siècle rempli de grands évènements. Un tel travail n'est ni possible ni désirable dans un traité de droit international. Tout ce qu'on peut faire ici est de donner un rapide aperçu, juste assez pour appeler l'attention sur les faits principaux.

Les Grandes Puissances ayant, ainsi qu'on vient de le voir, établi l'ordre européen qui suivit les guerres de la Révolution française et les conquêtes de Napoléon, dirigèrent plusieurs des importantes modifications qui en eurent lieu depuis. Le royaume de Grèce a grandi sous la protection du Concert européen, qui l'a plus d'une fois contenu, lui a une fois assuré un accroissement de territoire, et l'a préservé au moins une fois de la destruction. La part la plus active dans son établissement en 1832 fut prise par l'Angleterre, la France et la Russie, et ces trois mêmes Puissances

1 Dupuis, Le Principe d'Équilibre et le Concert européen, pp. 114–198; Westlake, Chapters on the Principles of International Law, pp. 92–101.

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